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Partie I. Cadre théorique de la recherche

Chapitre 1. Introduction à l’analyse du récit : structure, cohérence et cohésion textuelle

1. Définition du récit

Il existe aujourd’hui de nombreux travaux littéraires, linguistiques et psycholinguistiques sur le récit (Bremond 1966, Fayol 1985, Charolles 1978, 2006, 2008, 2012 ; Combettes 2006 ; Adam 2005, 2017…). En tant qu’unité textuelle, tout récit correspond […] à une suite de propositions liées progressant vers une fin » (Adam, 2017 : 117). Fayol (1985) considère que cette forme littéraire correspond à une intrigue où il y a un passage d’un état initial à un état final par l’intermédiaire de transformations subis par le sujet du fait que les faits se déroulent dans le temps. Pour Ricciardi-Rigault (1989 : 56) le récit représente

un enchainement de situations narratives statiques, cinématiques ou dynamiques à l’intérieur d’une séquence directrice (ou principale et que d’aucuns appellent plan), par rapport à laquelle toutes les autres s’ordonnent». Sa caractérisation globale résulte d’un effet de dominante qui est déterminé par le plus grand nombre de séquences d’un type donné présente, soit par le type de séquences enchâssantes. S’il est souvent difficile de déterminer de quel type un texte global est l’actualisation, c’est que la plupart des textes se présentent comme des mélanges de plusieurs types de séquences.

Selon Bremond (1966 : 62) :

Tout récit consiste en un discours intégrant une succession d’événements d’intérêt humain dans l’unité d’une même action. Où il n'y a pas récit il y a, par exemple, description (si les objets du discours sont associés par une contiguïté spatiale), déduction (s'ils s'impliquent l'un l'autre), effusion lyrique (s'ils évoquent par métaphore ou métonymie), etc. Où il n'y a pas intégration dans l'unité d'une action, il n'y a pas non plus récit,

28 mais seulement chronologie, énonciation d'une succession de faits incoordonnés. Où enfin, il n'y a pas implication d'intérêt humain (où les événements rapportés ne sont ni produits par des agents ni subis par les patients anthropomorphes, il ne peut y avoir de récit, parce que c'est seulement par rapport à un projet humain que les événements prennent sens et s'organisent en une série temporelle structurée.»

D’après Adam (2017 : 118), six critères semblent définir cette définition :

1.1. La succession d'événements dans le temps

L’affirmation de Bremond « Où il n’y a pas succession, il n’y a pas de récit », montre qu’un récit ne peut être considéré comme tel s’il n’y a pas une succession minimale d’événements racontés qui se déroule dans le temps. Cette temporalité est généralement accompagnée d’une tension. Bremond (1966 : 76) le confirme d’ailleurs en affirmant que « le narrateur qui veut ordonner la succession chronologique des événements qu’il relate, leur donner un sens, n’a d’autre ressource que de les lier dans l’unité d’une conduite orientée vers une fin ».

1.2. L’unité thématique

Pour qu’il y ait récit, il est nécessaire d’après Adam (2017, 118.) qu’il y ait une unité de thème : « Où […] il n’y a pas implication d’intérêt humain […] Il ne peut y avoir de récit ». La présence d’un personnage principal ou plusieurs semble représenter un élément essentiel pour l’unité de l’action. Ce critère est discuté par Aristote dans son œuvre La poétique (Chapitre 8, intitulé « De l’unité d’action ») :

Ce qui fait que la fable est une, ce n’est pas, comme le croient quelques-uns, qu’elle se rapporte à un seul personnage, car il peut arriver à un seul une infinité d’aventures dont l’ensemble, dans quelques parties, ne constituerait nullement l’unité ; de même, les actions d’un seul peuvent être en grand nombre sans qu’il en résulte aucunement unité d’action.

Un seul acteur n’assure pas des fois l’unité de l’action selon Aristote. La présence d’autres à ses côtés semble nécessaire.

1.3. La transformation des prédicats

Le critère trois se rapporte au passage du ou des personnages d’un état initial à un état final à travers un ensemble d’événements qui se déroule dans le temps. Dans un conte par exemple, le malheur peut se transformer en bonheur ou vice-versa.

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1.4. L’unité d’un procès

Dans la citation de Bremond « Où il n’y a pas intégration dans l’unité d’une même action, il n’y a pas […) récit » apparait l’idée de l’unité du procès qui forme un tout. D’après Adam, le « tout » défini par Aristote (Poétique, ibis : 50b26.) comme « un commencement, un milieu, et une fin. » est en fait un procès transformationnel dominé par une tension qui précise la composante temporelle et la transformation des prédicats. Le schéma ci-dessous met en relief les trois constituants du procès transformationnel.

Situation initiale Transformation (agie ou subie)

Situation finale

AVANT PROCÈS APRÈS « commencement » « milieu » « fin »

Figure 1. Les trois constituants du procès transformationnel. Adam 2017

1.5. La causalité narrative d’une mise en intrigue

Pour qu’il y ait récit, il faut qu’il existe une causalité narrative traduite par la logique de l’histoire. Un texte qui comporte une succession chronologique d'événements ne peut être considéré comme un récit car il n’est pas soumis au critère de la mise en intrigue. Dans l’exemple suivant proposé par Adam (Ibid. : 129), la notion de mise en intrique n’existe pas. L’énoncé ne comporte qu’une suite d’actes ; donc il ne peut être considéré comme un récit :

Hier je suis sorti de chez moi pour aller prendre le train de 8h30 qui arrive à Turin à 10 heures. J’ai pris un taxi qui m’a amené à la gare, là j’ai acheté un billet et je me suis rendu sur le bon quai ; à 8 h 20 je suis monté dans le train qui est parti à l’heure et qui m’a conduit à Turin.

Par contre dans le résumé suivant de Colomba de Mérimée, proposé par Adam (2017 : 126), on remarque que la causalité de la mise en intrigue est respectée :

[a] Un jeune lieutenant en demi-solde, Orso, fait connaissance, en regagnant la Corse, sa patrie, du colonel

Nevil et de sa fille Lydia, dont il s’éprend. [b] A son arrivée dans l’île, sa sœur Colomba trouble son beau

rêve en l’appelant à une vendetta contre les Barricini, meurtriers de son père, [c] Orso, bléssé par les deux

frères Barricini, riposte et les abat d’un coup double, puis gagne le maquis ; [d] Colomba et Lydia le

30 défense [g] et célèbre ses fiançailles avec Lydia, [h] tandis que Colomba, implacable, savoure son triomphe

en présence du vieux Barricini mourant.

Le découpage de cette séquence linguistique en macropropositions (les idées les plus importantes) effectué par Adam (Ibid. : 128) nous permet d’identifier les différents moments du récit :

MPn1= [a] + [b]= bonheur d’Orso et déshonneur ressenti d’abord par Colomba (d’où le mandement) dans une Situation initiale type qui conjoint trois acteurs dans la perspective de deux quêtes liées : Orso et Lydia (bonheur visé), Orso et Colomba (honneur visé).

MPn2 = [c]= Orso, blessé par les Barricini, riposte et les tue : soit un faire transformateur qui peut modifier les prédicats de base de MPh1 en introduisant le malheur et le désonheur (Nœud).

MPn3 = [d] +[e]= réaction constituée par la fuite et la capture des trois acteurs.

MPn4= [f]=Dénouement amené par la reconnaissance de la légitime défense comme caractéristique du faire de MPn2.

MPn5= [g]+[h]= Situation finale qui conjoint les trois actants avec le bonheur (fiançailles d’Orso et de Lydia) et l’honneur (vengeance de Colomba).

On constate qu’il y a cinq moments qui constituent le procès dans cette séquence. Dans le schéma quinaire présenté par Adam (Ibid. : 145), on peut distinguer ce que représente chaque moment :

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1.6. L’évaluation finale (explicite ou implicite)

Dans tout récit, on retrouve une "morale" exprimée ou sous-entendue. Si l’on prend l’exemple des fables de la fontaine, on remarque qu’elles expriment toutes des leçons de vie. On ne raconte donc pas un texte pour rien ; de ce fait chaque récit à une fonction symbolique.

Ces six composantes constituent le schéma séquentiel prototype du récit. Toutefois, le texte narratif objet de notre recherche, peut comporter des séquences descriptives, conversationnelles, explicatives ou argumentatives qui font qu’on hésite des fois à le distinguer des autres types de texte. À ce stade, c’est la globalité des séquences d’un type donné qui détermine s’il s’agit d’un texte narratif ou autre. Selon Adam (Ibid. : 309), « l’effet de dominante est soit déterminé par le grand nombre de séquences d’un type donné présentes, soit par le type de la séquence enchâssante ». C’est donc dans le dosage des relations entre ces divers constituants compositionnels…qu’ [un texte peut construire] ses effets de sens, et parfois même ses intentions esthétiques.» (Adam 2017 : 309).

Les scripteurs novices tunisiens trouvent des difficultés pour distinguer le texte narratif des autres types de texte malgré qu’ils aient eu l’occasion d’étudier ses caractéristiques en langue arabe. Les enseignants essayent souvent de rappeler aux apprenants que les constituants du récit sont les mêmes qu’ils ont étudiés auparavant mais à priori le problème ne se situe pas au niveau de l’identification des constituants du texte.