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DÉFINITION D’UN PÉRIMÈTRE

Dans le document Quel modèle de bibliothèque ? (Page 83-86)

LA PLACE DES PUBLICS DANS LE MODÈLE FRANÇAIS :

DÉFINITION D’UN PÉRIMÈTRE

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Comme le suggèrent un peu ironiquement les deux citations reproduites en exergue, on peut distinguer deux niveaux de sens en ce qui concerne la question polysémique de la place des publics dans les bibliothèques françaises :

1. Ce texte prend appui sur une séance du séminaire « Jalons pour une histoire des bibliothèques au

XXesiècle », intitulée « La place des publics », tenue à l’enssib le 23 mars 2007. Je remercie Romuald

Ripon, chargé de mission à la délégation à la stratégie à la Bibliothèque nationale de France, Marion Lhuillier, responsable de la Bibliothèque municipale internationale de Grenoble et Dominique Arot, directeur de la Bibliothèque municipale de Lille et président de l’Association des bibliothécaires de France, qui sont intervenus en ma compagnie au cours de cette séance. Leurs contributions et les discussions qui ont suivies avec les participants au séminaire ont considérablement alimenté ma réflexion.

– d’une part la place que l’on octroie aux publics, sous entendu, la place que les institutions – l’État, les collectivités territoriales, les bibliothèques et leurs personnels – leur réservent ou leur accordent2;

– d’autre part la place effective que ces publics prennent, celle qu’ils s’attribuent à la faveur de leurs visites, au prix parfois de processus de territorialisation, c’est-à-dire en mettant en œuvre des tactiques d’appro- priation physique et symbolique de l’espace public (telles que celles étudiées dans l’enquête consacrée aux usagers hyper-assidus de la Bibliothèque publique d’information citée plus haut).

Le second niveau de sens a déjà fait l’objet de nombreuses publications dans le domaine de la sociologie des publics des institutions culturelles. On peut d’ailleurs dire qu’il est attendu et même convenu aujourd’hui, quand on évoque ces questions. Le premier niveau de sens est beaucoup plus rare- ment exploité. Un ouvrage récent, portant justement sur la place des publics dans les musées, ne couvre ainsi que le champ restreint de la question de l’usage des études de publics par ces établissements3

. Tout laisse à pen- ser, en fait, que la réflexion sur le positionnement des établissements par rapport aux usagers potentiels (« réflexion sur soi par rapport à eux ») a un peu cédé le pas sur la connaissance des publics effectifs (« réflexion sur eux »), sans toutefois que les connaissances engrangées aient réellement bouleversé la donne sur le terrain des bibliothèques4. C’est par conséquent le premier niveau qui va essentiellement retenir mon attention ici. Il sera plus précisément question, dans les lignes qui suivent, de la place symbo- lique (dans les représentations, les discours…) et effective (dans les pro- grammes, les réalisations, les services…) qu’occupent aujourd’hui les publics dans les mondes des bibliothèques françaises.

Comme on le voit, avant de parler de « modèle de bibliothèque français », au sens d’un idéal-type singulier qui permettrait de caractériser le système bibliothéconomique national dans son intégralité et sa substance, il me semble préférable en effet, dans un premier temps, de recourir à la notion descriptive de « mondes », telle que Howard Becker l’a conceptualisée5.

2. On peut « réserver » une place aux usagers lors de la préfiguration d’un établissement culturel, et on peut leur « accorder » une place, après coup : en acceptant, par exemple, d’héberger à sa demande un club de lecture dans une bibliothèque.

3. Eidelman Jacqueline, Roustan Mélanie, Goldstein Bernadette (dir.), La place des publics. De l’usage des études et recherche par les musées, La Documentation française, 2007 (collection Musées-Mondes). 4. L’accumulation de données concernant les limites de l’autonomie des usagers, les difficultés d’orienta- tion dans les espaces et l’offre de collection ainsi que les problèmes d’image des bibliothèques parmi la popu- lation n’ont semble t-il pas encore modifié en profondeur les pratiques professionnelles dans l’ensemble. 5. Becker Howard, Les mondes de l’art, Flammarion, 1988.

L’intérêt de cette notion faussement creuse réside dans son pouvoir de rappel : rappel que les institutions et les activités humaines, même les plus organisées, sont complexes et plurielles ; rappel qu’elles ne sont évidemment pas repliées sur elles-mêmes mais insérées ou connectées à d’autres mondes sociaux ; rap- pel, enfin, qu’elles sont constituées en leur sein de vastes chaînes de coopéra- tion où différents types d’acteurs sont engagés, des plus prestigieux aux plus modestes (du peintre renommé, aux fabricants de toiles et de couleurs pour les arts plastiques, selon Becker). Entreprendre un travail d’analyse sociologique sur la place des publics dans les mondes des bibliothèques en France invite ainsi à resituer cette question dans un contexte historique, culturel et institu- tionnel plus vaste (en analysant, par exemple, la culture professionnelle ou la nature et les fondements du service public culturel à la française) ; elle invite également à se saisir d’indicateurs objectivés qui devraient pouvoir permettre de caractériser cette place, parfois même par défaut (manque de place). De fait, si le travail de modélisation se révèle complexe et délicat, on verra qu’il est possible d’esquisser les contours du système français en plaçant l’éclairage sur des éléments problématiques de ce système, des points de fric- tion, des butoirs, que l’on va utiliser comme des révélateurs. C’est un parti pris méthodologique qu’il ne faut évidemment pas confondre avec une pos- ture normative : l’entreprise n’a pas pour objectif de saborder le « modèle » en question mais de l’analyser au travers de ses marges ou de ses impensés. La thématique des publics et de la place qu’on leur accorde dans les discours et les faits, on le sait, est l’un de ces révélateurs des frontières implicites du système bibliothéconomique français ; des analyses comparées internationa- les ont d’ailleurs déjà montré l’intérêt heuristique de cette démarche, notam- ment dans le champ de l’histoire ou des sciences politiques6

. C’est dans cette voie que je souhaite poursuivre ici, en faisant appel notamment à la sociologie des organisations ainsi qu’à celle du travail et des professions. Plutôt qu’une recherche aboutie à proprement parler, il s’agira de pistes de travail ouvertes à discussion qui s’inscrivent dans une réflexion plus générale por- tant sur la notion de « culture de la bibliothèque » organisée autour du questionnement suivant : quels signes, quels messages les institutions- bibliothèques envoient-elles aux populations ? Et comment ces signes sont-ils reçus par ces populations, interprétés, réinterprétés ou ignorés ?

6. Tacheau Olivier, Bibliothèque publique et multiculturalisme aux États-Unis. Jalons pour repenser la situation française. Mémoire d’étude du diplôme de conservateur des bibliothèques : école nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques : 1997. Evans Christophe, « Les « lieux rayonnants dans les romans policiers ». Occurrences et comparaisons internationales », in André Marie-Odile, Ducas Sylvie, Écrire la bibliothèque aujourd’hui, Éditions du Cercle de la Librairie, 2007.

CENTRE ET PÉRIPHÉRIE : FONDEMENTS CULTURELS

Dans le document Quel modèle de bibliothèque ? (Page 83-86)