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1 Vers une définition de la notion d’enjeu dans une analyse de risque

De plus en plus fréquemment, la notion d’enjeu est associée à celle du risque et apparaît de plus en plus dans la définition même du risque. Par exemple, le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable définit le risque de la façon suivante : « le risque (majeur) est une confrontation d’aléas avec des enjeux ». Ceci dit, le ministère n’approfondit pas davantage ce qui peut-être retenu comme enjeu, ni selon quelle méthode on peut les identifier. Il ne place pas non plus la notion d’enjeu au centre de la définition du risque, mais préconise une approche dite « classique » qui aborde d’emblée les aléas.

La philosophie générale du programme « Système d’Information et Risques dans le District Métropolitain de Quito » dans lequel s’insère ce travail, se fonde en premier lieu sur l’identification des enjeux du système urbain dans la mesure où il est impossible de procéder à des analyses exhaustives notamment lorsqu’on travaille dans une grande ville. De plus, dans une perspective d’optimisation de réduction des risques compte tenu de la capacité financière relativement restreinte de la ville de Quito, il paraissait pertinent de se focaliser sur les structures essentielles, c’est-à-dire sur celles dont l’endommagement serait le plus préjudiciable pour le système urbain, et qu’il faut par conséquent protéger ou épargner à tout prix.

1.1 – Une démarche récente : présentation des travaux préalables menés à l’échelle d’une agglomération

1.1.1 – Les exemples niçois et annecien : des enjeux face à l’aléa sismique

Cette démarche, somme toute nouvelle, qui implique au préalable une analyse détaillée du système, telle que nous venons de le faire en première partie, a été développée dans des travaux antérieurs menés notamment à Nice116 et à Annecy117 par un groupe de géographes de

116 LUTOFF C., 2000, Le système urbain niçois face à un séisme – Analyse des enjeux et des

l’Université de Savoie. Cependant, les enjeux sont traités de manière différente dans chacun des cas, compte tenu de l’information disponible (influençant les variables considérées pour leur identification) et surtout compte tenu de l’objectif à atteindre. A Nice et à Annecy, il s’agissait avant tout, de discerner les enjeux dans une perspective de réduction du risque sismique. Cette perspective a donc influencé directement l’échelle d’identification des enjeux, l’échelle de l’agglomération, dans la mesure où les effets d’un séisme se font ressentir sur une vaste zone englobant de loin une agglomération.

C. LUTOFF (2000), dans un tour d’horizon sur l’utilisation de la notion d’enjeu dans les pratiques européennes (françaises, espagnoles, italiennes) de gestion du risque sismique, fait ressortir que les enjeux, même si leur définition juridique reste floue, sont dans la pratique souvent examinés conjointement à leur exposition à l’aléa. L’influence de l’aléa sismique est donc décisive sur l’identification des enjeux dans ces études dont la finalité est d’estimer les impacts directs possibles (pertes, dégâts) pour les sociétés concernées. Les enjeux sont d’ordre humain, économique, infrastructurel, patrimonial. Une attention particulière est portée sur le décryptage des enjeux logistiques et fonctionnels en situation de crise (postes de télécommunication, hôpitaux, centres décisionnels, voies de circulation…). C. LUTOFF fait ressortir trois notions liées au concept d’enjeu :

- la notion de valeur exprimée en termes financiers, mais aussi sur d’autres échelles de référence (valeur patrimoniale, fonctionnelle, environnementale, sociale, etc.), - l’opposition entre pertes possibles et gains supposés : l’enjeu résulte d’une volonté

individuelle ou collective mettant en balance ces deux aspects, - la notion de risque, d’incertitude.

Elle propose le schéma suivant :

Figure 8 : Représentation schématique de la notion d’enjeu (C. LUTOFF, 2000)

117 D’ERCOLE R., PIGEON P., BAUSSART O., CAMBOT V., GNEMMI L., WATTEZ J., 2000, Analyse du

système urbain d’Annecy et définition de ses enjeux, Département de Géographie – Université de Savoie, 52p. + figures.

HASARD

GAINS PERTES

« Face à une situation d’incertitude, faire l’hypothèse d’une perte revient à considérer les risques des choix retenus, alors qu’assurer les gains nécessite le développement de mesures de sécurité. La notion d’enjeux est donc à double face et désigne à la fois :

- tout élément exposé à la perte dans l’espoir d’un gain

- tout élément permettant d’assurer les gains ou la pérennité des choix retenus ». Cette définition correspond à un schéma qui est sans doute valable dans les pays du nord capitalistes, c’est-à-dire dans les états où il existe une prise de conscience assez répandue des différents risques, lesquels sont largement étudiés, car ces derniers remettent en cause « de manière tout à fait intolérable » les gains et retardent les profits dans des sociétés pressées par le temps et désireuses de garder richesses et confort. J. VILLÉ (2003) souligne « que la population (française) dans sa majorité accepte de moins en moins d'être assujettie à des risques, que ces risques soient dus à des dysfonctionnements des systèmes eux-mêmes et de leurs automatismes de plus en plus nombreux et complexes ou à des événements extérieurs, risques technologiques ou risques naturels ». Prenons un autre exemple, celui de l’Allemagne. Ce pays semble, de l’extérieur, avoir paré à toutes les éventualités, en minimisant à leur plus faible expression les risques technologiques quantifiables émanant de son important arsenal industriel. Ceci étant, l’unique autre risque, auquel est véritablement confrontée l’Allemagne, est le risque d’inondation et les évènements de l’été 2002 montrent que l’Allemagne n’en demeure pas moins vulnérable.

Le schéma proposé par C. LUTOFF n’est pas aussi vrai dans les pays du sud, où la plupart des gains importants sont manipulés par une minorité de la population, où la notion du temps est tout autre, où les gens sont habituées à survivre et à affronter des évènements aussi imprévus qu’inimaginables vus de l’extérieur, où les risques ne sont finalement pas tellement connus et sont loin d’être une préoccupation principale. Cette dernière considération est importante car dans les pays du sud, l’extension spatiale et la gravité des phénomènes dommageables d’origine naturelle ne sont que partiellement connues118. Faute d’information suffisante, et faute d’une perception du risque aussi bien par les pouvoirs locaux que par les sociétés civiles en général, il n’y a donc pas toujours le choix concerté, en toute connaissance de cause, d’exposer un élément à la perte dans l’espoir d’un gain.

1.1.2 – Autres exemples

A. PETIN (1999), dans son étude sur les risques d’inondation dans le Pays du Voironnais, en Isère, définit les enjeux dans une démarche plus systémique en les associant à des interactions, qu’elle définit comme « des interrelations dynamiques entre objets d’un territoire qui entraînent des modifications sur d’autres objets du système ». « Un enjeu apparaît comme le fruit d’une interaction entre au moins deux objets, qui devient facteur de structuration du territoire au travers du système de valeurs qui lui est associé par les acteurs. Par exemple, la qualité de l’eau n’est pas un enjeu en soi, c’est une composante du territoire. Par contre, la dégradation de la qualité de l’eau par des rejets industriels peut constituer un enjeu au regard

de certains acteurs (agence de l’eau, consommateur, pêcheurs…) ». Elle considère que ce système de valeurs est susceptible de s’exprimer au travers de :

- « la perception de l’interaction, vécue comme positive (effet dynamisant d’un objet sur un autre) ou négative (problème) ;

- la dynamique des acteurs autour de cette interaction, vécue comme positive (les acteurs s’emparent du constat d’interaction pour y réfléchir, s’organiser, se concerter) ou négative (génération de conflit) ;

- les actions visant à modifier l’interaction (aménagement local, procédure réglementaire). »

Cette définition considère donc l’identification des enjeux uniquement à partir de la perception qu’ont les acteurs de certaines interactions se manifestant à l’intérieur d’un système territorial face à un aléa déterminé : les inondations. En ce sens, A. PETIN n’analyse pas les enjeux comme un chercheur extérieur au système, qui pourrait avoir ses propres critères d’identification « objectifs » sans parti pris, différents de ceux des agents du système. Il nous semble impératif de concilier les deux approches. A. PETIN rajoute « qu’il existe différents niveaux d’enjeux. Un enjeu peut, en effet, être associé à un niveau primaire à l’interaction directe entre deux objets. Mais il peut également être associé à des niveaux plus complexes, à des interactions « en chaîne », du fait de la transitivité de la relation. On peut alors être amené à parler par raccourci d’interactions entre enjeux. » Cette considération est particulièrement intéressante car elle met l’accent sur le rôle de certains enjeux dans l’identification d’autres enjeux, comme nous le développerons par la suite (les axes enjeux majeurs permettront d’identifier les ouvrages enjeux majeurs).

A. SIERRA (2000) dans sa thèse sur la gestion et les enjeux des espaces urbains à risque d’origine naturelle à Quito, définit la notion d’enjeu politique comme suit : « Enjeu et risque sont deux notions intimement liées, ce qui suggère l'expression courante « prendre un risque »; un enjeu politique est donc quelque chose qui à la fois motive et inquiète le politique, puisque c'est ce qui renforcera son crédit ou au contraire le discréditera. Un enjeu politique est donc un risque politique. Dire que le risque d'origine naturelle est un enjeu politique, c'est considérer que la position qu'aura l'homme politique face au risque naturel l'accréditera ou le discréditera aux yeux de certains groupes ou de l'opinion publique. Or, le bien que le politique risque de perdre en conséquence d'un discrédit, c'est son pouvoir. Dans ces crises (phénomène El Niño, éruption du volcan Pichincha en octobre 1999), la gestion du risque d'origine naturelle est un enjeu politique dans la mesure où le pouvoir est en jeu ». A. SIERRA identifie trois enjeux de pouvoir que sont la responsabilité, la crédibilité et la légitimité. Dans ce travail, les enjeux sont donc des valeurs et non des objets du territoire, même si les enjeux politiques s’appliquent à un espace donné (les versants du massif du

Pichincha).

Les définitions des enjeux dans les analyses de risques concernant des agglomérations et leur environnement immédiat sont extrêmement variées, définies selon des systèmes de valeur fort différents et dans le cadre de problématiques distinctes. Le plus souvent, ils sont identifiés en corollaire d’un aléa spécifique et font parfois l’objet de représentation cartographique. Quelle est l’approche que nous proposons dans ce travail ? Quelles définitions donnons-nous à la notion d’enjeu, à la notion d’enjeu de la mobilité ?

1.2 – L’usage de la notion d’enjeu dans le cadre du programme « Système d’Information et Risques dans le DMQ » : présentation et pertinence

1.2.1 – Une approche par les enjeux de fonctionnement de la ville, indépendante des aléas

Dans le programme « Système d’Information et Risques dans le DMQ », l’approche considère d’abord les enjeux indépendamment des aléas, ce qui est novateur dans une étude de risque et implique une méthodologie d’analyse particulière. La démarche sous-jacente consiste à penser la ville et ses enjeux de fonctionnement avant tout autre considération. Cette orientation a en partie été influencée par notre partenaire, la mairie de Quito, organisme-clef en charge de la gestion et de la planification urbaine, dont les compétences ont été notablement renforcées depuis la loi sur le Régime Municipal du District Métropolitain de 1993. D’autre part, face à la multiplicité des aléas auxquels est confronté le district, et face à l’impossibilité de prévoir avec certitude leur occurrence, les lieux de survenance, leur étendue, il nous paraissait opportun d’analyser de prime abord les piliers du fonctionnement du système urbain beaucoup plus tangibles, avant d’analyser dans un deuxième temps leurs vulnérabilités et exposition éventuelle aux aléas, thèmes développés en troisième partie.

1.2.2 – Les trois grands types d’enjeux du fonctionnement du système territorial de Quito analysés dans le cadre du programme

L’ouvrage « Los lugares esenciales del Distrito Metropolitano de Quito »119 présente un bilan de cette analyse de décryptage des enjeux, notamment majeurs120, menée dans le cadre du programme de recherche. Il présente trois grandes sections :

- 1 / les enjeux des habitants et de leurs besoins, - 2 / les enjeux de la logistique urbaine,

- 3 / les enjeux de l’économie et de la gestion du district.

Le chapitre XII121 en deuxième section, aborde plus spécifiquement les enjeux de la mobilité urbaine. Ce dernier détaille les enjeux de la gestion de la mobilité (acteurs), les enjeux du support physique (réseau viaire, infrastructures routières et équipement de transport) et les enjeux de fonctionnement de la mobilité (couloir de transport en commun, axes les plus transités, zone de plus grande affluence…) que nous reprenons ici en approfondissant la méthode de décryptage.

119 D’ERCOLE R., METZGER P., 2002.

120 Nota : les enjeux de crise ne sont pas développés dans ce premier ouvrage. Ils seront analysés dans le prochain volume sur la vulnérabilité.

1.2.3 – Les enjeux : une notion toute relative, fonction de l’échelle d’étude

En introduction de l’ouvrage, est présentée une réflexion qui montre le gradient croissant qui existe entre d’une part ce qui est important, c’est-à-dire les enjeux à différentes échelles, que ce soit au niveau de l’individu, du ménage, du quartier, et d’autre part, ce qui est enjeu majeur, c’est-à-dire essentiel à la société dans son ensemble, essentiel au fonctionnement du système territorial métropolitain122. « Bien sûr, la notion d’importance est toute relative. En effet, ce qui est important pour un individu ne le sera pas nécessairement pour un autre. Le degré d’importance varie selon deux grands types de logiques : une logique issue du niveau socio-économique de la population, de leurs ambitions, des pratiques sociales et une logique spatiale ou de proximité. Par exemple, les transports en commun ne présentent qu’un intérêt mineur pour celui qui possède une voiture. D’un autre côté, la logique de localisation ou de proximité fera que ce qui importe particulièrement dans un lieu donné, se révèle d’un intérêt secondaire ailleurs. Par exemple, une installation d’eau potable approvisionnant un quartier est d’une importance vitale pour les habitants de ce quartier, mais d’un intérêt secondaire pour ceux qui résident dans d’autres secteurs fournis en eau par des installations différentes ». Il ressort donc que « l’échelle à laquelle se place le chercheur est fondamentale pour déterminer ce qui est important. Se situer à l’échelle d’une agglomération permet d’identifier les éléments d’intérêt commun, qui sont importants pour tout le monde, comme l’approvisionnement en denrées alimentaires, l’emploi ou les axes de circulation, ou pour une grande partie de la population comme un hôpital ou une université. La même procédure appliquée à un quartier ne fournira pas le même résultat. Une association, une petite école, un terrain de sport, un espace vert ou un marché local, de faible importance au niveau de l’agglomération, peut se révéler fondamental pour la vie de ce quartier ».

1.2.4 – Intérêt d’une démarche par les enjeux dans une analyse de risque

Il y a encore quelques années, la définition du risque se contentait de mettre en relation les aléas (phénomènes d’origine naturelle capables d’affecter les intérêts humains) et la vulnérabilité (propension à connaître des dommages) des éléments exposés (personnes, patrimoine, activités, infrastructures). Grâce à quelques travaux de recherche123 entrepris dans le milieu de la décennie 90, cette définition a progressivement évolué en tentant de ne plus considérer seulement l’ensemble des éléments présentant un intérêt humain exposés à un aléa mais de leur donner du relief afin de distinguer les enjeux majeurs sur lesquels toute l’attention devra être portée. Cette évolution sous-tend des implications en matière de recherche sur les risques et d’aide à la prévention. Pour être efficace et opérationnelle en matière d’aide à la décision, les travaux doivent se focaliser sur certains espaces et certains éléments qui doivent être pris en compte de manière prioritaire. En effet leur perte, leur

122 Cette introduction apparaissait d’autant plus nécessaire que le terme « enjeu » n’a pas d’équivalent en langue castillane, dans laquelle est écrit le livre. La notion « d’enjeu » est donc traduite par les termes « elemento importante » ou « elemento de interés » et la notion « d’enjeu majeur » par les termes « elemento esencial » ou « elemento de mayor interés ». La notion d’enjeu n’a pas non plus d’équivalent direct en anglais.

123 Les premières réflexions méthodologiques dans ce domaine ont commencé en 1996 dans le cadre d’une collaboration entre le Bureau de Recherche Géologique et Minière (BRGM) et le Département de Géographie de l’Université de Savoie dont sont issus les travaux sur Nice et Annecy, préalablement mentionnés.

endommagement constituerait un grave handicap pour le fonctionnement et le développement du système étudié et pour le fonctionnement et le développement d’autres systèmes qui lui sont liés. Le défi est de taille puisque « la proposition conceptuelle sous-jacente à cette démarche, situe la question des enjeux majeurs (susceptibles d’être exposés aux aléas et d’être vulnérables) au centre de la définition du risque ».

Comment définissons nous dans cette étude les enjeux de la mobilité ? Quels types d’enjeux de la mobilité considérons-nous ? Quels sont donc les enjeux du fonctionnement de la mobilité à Quito ? Quelles échelles retenons-nous ? Quelles méthodes allons-nous développer pour les identifier ?

2 - Les enjeux majeurs du fonctionnement du système de mobilité