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Section II) LA FORMALISATION ETHIQUE AU COEUR DE LA RELATION INDIVIDU-ORGANISATION.

B) La définition du management selon Simon.

H. Simon a élaboré à partir des années 40 une théorie de l'organisation et du management qui procède d'un triple postulat :

- le problème clé du management est la décision

- l'organisation est un processus permanent de choix à tous les niveaux - toute décision implique le choix (la sélection) d'un but. (Fiol et Solé, 1993).

La contribution de Simon à la réflexion éthique est présente dans son ouvrage «Administration et processus de décision ». Nous allons mettre en évidence, dans ce paragraphe, trois contributions importantes pour nos travaux : l’analyse de la décision, le concept d'objectif et la définition du rôle de l'autorité.

1) Fait et valeur dans la prise de décision.

Le point de départ philosophique de sa pensée est la distinction qu'il établit entre «fait» et «valeur». Prenant pour point de départ les conclusions du positivisme logique, l'auteur distingue :

- les propositions factuelles qui sont des énoncés concernant le mo nde observable. On se réfère à des faits, à l'expérience, à des événements qui se produisent ou ne se produisent pas. C'est le domaine de l'objectivité, de la vérité empirique, l'univers où l'on peut distinguer le vrai du faux, ce qui est correct de ce qui est incorrect.

- les propositions de valeur ou éthiques qui concernent des impératifs, des préférences, des désirs. On est dans l'univers où l'on affirme ce qui est bon ou mauvais, juste ou injuste, etc. Le domaine de l'éthique a trait aux choix des vale urs, à la sélection des impératifs.

Dans ses travaux, «valeur» renvoie à ce qui devrait être et «fait» à ce qui est.

L'idée clé de Simon est que toute décision contient à la fois des propositions factuelles et des énoncés éthiques, inextricablement liés. Dans son esprit, tout acte de

management est, par nature, un acte éthique (au sens où il met obligatoirement en jeu des valeurs essentielles concernant l'homme et la société). Son approche fait ainsi ressortir deux dérives possibles pour le management : d'une part, le management par les faits authentiques et indiscutables, qui oublie le niveau éthique, d'autre part le management par les valeurs qui, lui, ignore l'univers factuel.

Par ailleurs, dans la théorie de Simon, tout comme pour Barnard, l'idée de but est centrale.

2) Le concept d'objectif de l'organisation.

Le comportement de l'individu au sein d'une organisation est intentionnel c’est-à- dire tourné vers des buts ou des objectifs. Chaque décision implique le choix d'un but et un comportement approprié (Simon, 1983, p. 6). Ainsi, dans l'entreprise, «les décisions

cherchent à trouver des solutions qui satisfassent tout un ensemble de contraintes. C'est cet ensemble (...) qui donne la meilleure approximation du but de l'action» (p. 249). Les

contraintes sont imposées par les différents rôles organisationnels tenus par les individus dans l'entreprise.

Les buts, décrivant un état de choses désiré, sont donc des «prémisses de valeur» dans la prise de décision. Toute décision d'entreprise commence par une prémisse éthique : le but de l'entreprise. Or, tout but peut être considéré comme un élément intermédiaire conduisant à un but plus lointain, cela jusqu'à ce qu'un but relativement final soit atteint. Plus on se rapproche du niveau de direction générale, plus les buts relèvent de l'ordre de l'éthique. A l'inverse, plus on est proche des décisions de terrain, plus il s'agit d'un univers factuel. Les buts d'entreprise, qualifiés de finaux, sont difficiles à formuler ; quand ils sont explicités, c'est en termes généraux, abstraits et vagues. Comme ils ne sont pas de l'ordre de l'observable et du directement maîtrisable, mais de nature éthique, la réalisation parfaite de ces buts ultimes est, bien entendu, impossible.

Cette remarque met en lumière le risque de déplacement des buts dans l'organisation. Les objectifs intermédiaires n'ont-ils pas fini par supplanter, voire faire oublier, les buts ultimes de l'entreprise ?

Ce dernier point s’avère extrêmement pertinent pour notre problématique : la vague de formalisation éthique peut être interprétée comme étant une réaction de compensation au «vide éthique». Dans cet esprit, elle aurait pour objectif de préciser les buts finaux de l’entreprise.

On peut également supposer que si la formalisation est développée en parallèle, c’est-à-dire sans relations avec les politiques d'élaboration des objectifs opérationnels, les membres de l'organisation réagiront comme s'ils avaient affaire avec deux choses disjointes, et donc distinctes.

La mise en évidence de ce problème nous amène alors à soulever la question du rôle des cadres dans la théorie de Simon.

3) Le rôle de l'autorité.

Simon explique qu'il existe deux manières d'influer sur le comportement des exécutants.

La première est l'autorité, ainsi que le stipule la vision traditionnelle du management. «Le supérieur ne cherche pas à convaincre son subordonné mais seulement à obtenir son consentement» (p. 12). Il lui impose donc des décisions prises à d'autres instances de l'organisation. Simon définit «l'autorité comme le pouvoir de prendre les décisions qui

orientent les actions d'autrui» (Simon, 1983, p. 112). Une des fonctions importantes de

l'autorité est de permettre qu'une décision soit prise et appliquée alors même que l'on n'a pu arriver à aucun accord. Cependant, si l'on veut recourir à l'autorité au-delà d'un certain seuil, que Simon décrit comme la «zone de consentement» (Barnard parle lui de «zone d'indifférence») du subordonné, le risque de désobéissance augmente (Simon, 1983, p. 12). L'étendue de cette «zone de consentement» dépend des sanctions dont dispose l'autorité pour faire exécuter ses ordres.

L'autre démarche consiste à «donner au personnel subalterne lui-même les

attitudes, les habitudes et un état d'esprit qui le conduisent à prendre une décision favorable à l'organisation.» (p. 12). Dans cette perspective, l'encadrement sert de «courroie de

transmission» des buts le long des lignes hiérarchiques, d'aider à imprégner les opérations quotidiennes de l'éthique de l'organisation, d'inculquer à l'employé une attitude de loyauté, de

fidélité et d'identification envers l'entreprise. Chaque membre de l'organisation internalise progressivement les valeurs de celle-ci et les intègre à sa psychologie et à ses attitudes. La loyauté qui en découle implique un attachement aux objectifs et à la croissance de l'organisation.

L'organisation assigne donc un rôle à l'employé : «elle spécifie les valeurs, les

faits, les alternatives particulières sur lesquels il doit fonder ses décisions au sein de l'organisation.»

Se pose ici le problème de la division verticale du travail car «une des principales fonctions

de l'organisation est de renforcer la conformité des individus aux normes instituées par le groupe ou par les membres investis de l'autorité» (Simon, 1983, p. 11).

Les travaux de Simon s’avèrent extrêmement pertinents puisqu’ils constituent le fondement de notre perspective de recherche. On peut déplorer que Simon, au nom d’une certaine conception de la science, ne se soit préoccupé que de la dimension factuelle du management.

En effet, il précise que la science de l'organisation ne peut s'intéresser qu'aux faits. «Il faut

vider les décisions de leur élément éthique» (p. 223). «La science se préoccupe des aspects pratiques d'une affirmation et non des aspects éthiques» (p. 224).

Par contre, le management ne saurait ignorer les buts et donc la question des valeurs. Il laisse donc entendre que le management ne peut être une démarche scientifique.

Sa prise de position rejoint un des postulats majeurs du positivisme logique qui précise que la science s'intéresse exclusivement aux propositions factuelles, ce qui implique qu'«une science

ne laisse pas de place aux affirmations éthiques» (p. 277).

Le positivisme logique a pourtant été totalement remis en cause à partir des années 30. Ainsi, Kuhn en 1962 (1983 pour la traduction française) explique que la démarche scientifique n'est pas purement objective, elle s'appuie sur des présupposés éthiques. Edgar Morin (1996, p. 218) souligne, également, l’apport de Popper dont l’oeuvre a permis de « comprendre qu’une

théorie scientifique n’existe comme telle que dans la mesure où elle accepte d’être faillible et de se soumettre au jeu de la falsifiabilité ». Il convient, toutefois, de souligner que, depuis ses

Barnard et Simon ont permis de mettre en évidence deux notions centrales : l’établissement de buts communs et l’importance de l’autorité qui a la charge de mettre en oeuvre cette vision commune.

Il convient, toutefois, de souligner que l’analyse de Barnard a été remise en perspective et vivement critiquée par Perrow (1972) dans son analyse des buts différents qui peuvent exister entre les individus et entre les groupes dans une organisation41. Pour Perrow, l’analyse de Barnard comporte une faille importante : il accepte aveuglément le fait que les organisations soient utiles et fonctionnelles pour tous ceux qui sont concernés par elles. Or, Perrow considère que les organisations sont des outils pour former le monde aux fins de ceux qui les dirigent. Il s’en inquiète car ces dirigeants disposent de la capacité de contrôler d’énormes ressources42.

Leur contribution soulève, de façon pertinente, le problème du comportement des individus dans l’organisation.

Cependant, l’intégration de la dimension éthique dans l’organisation n’est que suggérée, les développements récents qui se situent dans le cadre de la relation individu-organisation permettent de réparer cet « oubli ».

41

Nous tenons à remercier Monsieur le Professeur Jacques Rojot pour nous avoir incité à approfondir cette controverse.

42 Le lecteur désireux d’en savoir plus pourra se reporter avec profit à l’ouvrage de Jacques Rojot et Alexander

Bergmann (1989).

Notons, en outre que cette inquietude pour l’avenir du capitalisme a fait l’objet de développements de la part de certains grands économistes. Ainsi, Schumpeter craint, du point de vue sociologique, la montée du corporatisme managérial ; Perroux s’intéresse aux effets de domination asymétriques qui contribuent au dynamisme du capitalisme : les firmes souhaitent conserver le pouvoir et l’accroître ; enfin, les travaux de Galbraith sur la technostructure développent l’idée que le pouvoir est exercé par l’organisation et que l ’économie est dominée par des stratégies de pouvoir menées par des entreprises opérant mondialement.

II) La formalisation éthique : une logique spécifique de contrôle.

La politique de formalisation de l'éthique dans l'entreprise peut s'interpréter grâce aux développements modernes de la théorie de l'entreprise. La volonté de formaliser l’éthique se fonde sur une logique de contrôle des comportements qui repose, soit sur la recherche de l’obéissance, soit sur la recherche de la responsabilité. Les travaux récents se situent dans ces deux directions.

Ainsi, nous présenterons, d’abord, la contribution du paradigme transactionnel à l'analyse de la relation individu-organisation puis nous montrerons que la formalisation de l’éthique repose sur une logique spécifique de contrôle : le contrôle informel.