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Concepts analytiques d’une théorie de légitimité pour l’UE Introduction

Chapitre 1 : La notion de la légitimité

A. Définition générale

I. La légitimité – une matière pluridisciplinaire et un concept protéiforme

La légitimité est un problème central du politique112 au sujet duquel il existe presque autant d’avis que d’auteurs et chercheurs qui s’y sont intéressés :

« An der Legitimität scheiden sich die Geister, doch das schmälert nicht ihre Bedeutung. Es führt vielmehr vor Augen, dass es sich bei der Legitimität um einen zentralen Begriff politischen Denkens handelt. »113

Le constitutionnaliste français Olivier Beaud observe que « comme tout concept politique, la légitimité est historiquement située » :

« Elle est apparue en tant que problème politique avec la philosophie des Lumières et avec la première crise de légitimité moderne : la Révolution française. »114

Dans Elemente einer Theorie der Verfassung Europas la juriste allemande Anne Peters explicite un peu plus le processus historique et intellectuel qui a mené à la compréhension moderne de la légitimité, et elle la met d’emblée en relation avec les notions de domination, pouvoir, justice et droit :

« Legitimität ist eine neuzeitliche Kategorie. Erst die Aufgabe der mittelalterlichen Vorstellung von der göttlichen Vorgegebenheit des Rechts, seine Positivierung und die Möglichkeit der Diskrepanz zwischen Recht und Gerechtigkeit löste den Zwang zur Legitimierung, also Rechtfertigung des gesetzten Rechts anhand externer Prinzipien aus. Zunächst konkurrierten noch religiöse und säkularisierte Begründungen der Legitimität. Als legitim galt Herrschaft einerseits aufgrund ihres göttlichen Ursprungs, andererseits nur insoweit sie das Gemeinwohl verwirklichte.

Schliesslich entwickelte sich im Zusammenhang mit der Figur des Herrschaftsvertrages die Vorstellung der Legitimität einer volksursprünglichen Herrschaft. »115

L’Encyclopédie Universalis confirme que « le terme de légitimité évoque le fondement du pouvoir et la justification de l’obéissance qui lui est due ». Ses auteurs ajoutent :

« Dans certaines périodes troublées, le problème de la légitimité se pose d’une manière aiguë : l’autorité se trouvant discutée, il est nécessaire de lui chercher une raison d’être ».116

La question de la légitimité surgit donc lorsque le pouvoir politique est mis en cause :

112 Concernant la définition du politique, nous renvoyons aux pages 11 et 12 ainsi qu’à la note n° 36. La notion de légitimité s’utilise dans d’autres sphères de la vie sociale, notamment économique ainsi que morale et religieuse. La papauté réclame par exemple l’autorité légitime sur les croyants catholiques-romains. Aujourd’hui la légitimité du pouvoir spirituel et juridique de la Curie repose sur la libre adhésion du fidèle par son acte de foi.

113 RONGE, Frank, Legitimität durch Subsidiarität – Der Beitrag des Subsidiaritätsprinzips zur Legitimation einer überstaatlichen politischen Ordnung in Europa, Baden-Baden, Nomos, 1998, p. 15; cité dorénavant : RONGE, Frank, Legitimität durch Subsidiarität, p. x.

114 BEAUD, Olivier, « Propos sceptiques sur la légitimité d’un référendum européen ou plaidoyer pour plus de réalisme constitutionnel », in : Le référendum européen, Andreas Auer & Jean-François Flauss (édit.), Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 125-180 ; ici p. 130-131.

115 PETERS, Anne, Elemente einer Theorie der Verfassung Europas, p. 505.

116 ENCYCLOPEDIA UNIVERSALIS, Paris, 1996, p. 578.

« Là où des révolutions, des coups d’Etat, des réformes et des contre-réformes se déroulent, là où l’instabilité des pouvoirs, des intérêts et des positions reflète, dans le domaine du politique, un conflit de situations qui bouleverse les institutions et les modifie en profondeur, la légitimité occupe la première place dans la discussion ; […] La légitimité est la formule par laquelle les fondements du pouvoir sont renouvelés ; […]. Ainsi, la légitimité émerge historiquement lors des situations de crise, lorsqu’a lieu un changement de la société ou de forme de gouvernement. »117 Certes, l’Europe ne vit à l’aube du troisième millénaire pas de soubresauts révolutionnaires violents comme lors du renversement de l’Ancien Régime et de sa légitimité monarchique à la fin du dix-huitième ou encore au dix-neuvième siècle lorsque l’Etat-nation s’est imposé partout sur notre continent. Cependant, nous avons vu lors de l’exposé de la problématique de notre étude que l’intégration européenne et les institutions de l’UE ont modifié la configuration du politique en Europe, car elles ont établi au-dessus de la domination de l’Etat, une nouvelle instance de pouvoir. Le problème de la légitimité se pose donc bien aux peuples et aux Etats européens dans les termes généraux du concept que nous venons d’esquisser.

Dans le champ scientifique la légitimité est le lieu théorique où se débattent toutes les controverses sur le pouvoir politique. La légitimité est pluridisciplinaire, utilisée en philosophie, anthropologie politique, sociologie, science politique, droit et en histoire.

Chacune de ces disciplines académiques jette son propre regard sur la réalité politique, diverse, complexe et insaisissable dans son ensemble. Chaque science étudie le politique selon son focus et chacune définit la légitimité en fonction. Souvent la conception de la légitimité diffère même d’un auteur à l’autre. Néanmoins, il existe le terrain d’entente qu’elle s’inscrit dans une relation socio-politique d’un genre particulier : La légitimité qualifie le type de rapport entre des gouvernants et des gouvernés qui comporte et justifie simultanément l’exercice du pouvoir, c’est-à-dire le droit de commander. Olivier Beaud dit par exemple :

« […] le mot ‘légitimité’ est une expression qui convient pour décrire en termes généraux les conditions de la ‘validité’ du pouvoir, son ‘titre’ pour donner des ordres et pour exiger l’obéissance de ceux qui se trouvent dans l’obligation d’obéir. »118

Le politologue Jean-Marc Coicaud renchérit :

« […] l’idée de légitimité concerne d’abord et surtout le droit de gouverner. A cet égard, elle tente d’apporter une solution à un problème politique fondamental, qui consiste à justifier simultanément le pouvoir politique et l’obéissance. Justifier simultanément pouvoir et obéissance est le premier enjeu de la légitimité. »119

Nous concluons cette délimitation introductive du concept de légitimité avec la définition concise, mais à notre avis tout de même complète, qui est proposée par les politologues Richard Bellamy et Dario Castiglione :

« Legitimacy can be defined as the normatively conditioned and voluntary acceptance by the ruled of the government of their rulers. »120

117 BEAUD, Olivier, « Propos sceptiques sur la légitimité d’un référendum européen », op. cit., p. 142.

118 Idem, p. 135.

119 COICAUD, Jean-Marc, Légitimité et politique – Contribution à l’étude du droit et de la responsabilité politiques, Paris, PUF, 1997, p. 14 ; cité dorénavant : COICAUD, Jean-Marc, Légitimité et politique, p. x.

120 BELLAMY, Richard et CASTIGLIONE Dario, « Legitimizing the Euro-‘Polity’ and its ‘Regime’ – The Normative Turn in EU Studies », European Journal of Political Theory, vol. 2, n° 1, 2003, p. 10.

II. Les deux dimensions de la légitimité

1. L’autorité factuelle de la domination politique grâce au consentement à obéir

La détermination introductive du concept de légitimité vient de montrer qu’il s’intègre dans le rapport social spécifique de l’exercice du pouvoir. Cette relation, communément appelée la domination politique (politische Herrschaft), se compose du commandement des dominants-gouvernants et de l’obéissance à sa contrainte de la part des dominés-gouvernés. La domination politique se distingue du brut rapport de force reposant sur la menace et le recours à la violence par le consentement des gouvernés d’obéir à l’autorité politique :

« […] le consentement joue un rôle essentiel dans la légitimité définie comme le droit de gouverner. Il fonde le sentiment d’obligation et fait de la vie politique la recherche des règles et des procédures par lesquelles les membres d’une communauté s’entendent pour s’obliger. De ce point de vue, et au contraire des actions politiques exclusivement fondées sur la violence, il justifie, à l’intérieur de limites précises, le recours à la contrainte. Cette justification n’élimine pas la tension que désigne le terme de consentement. Consentir, c’est accepter une situation comportant une part de renoncement, qui se manifeste dans le devoir d’obéissance. C’est en ce sens que la relation […] entre les gouvernants et les gouvernés peut être perçue en termes d’autorité politique.»121

Dans le cadre d’une domination légitime l’obéissance au commandement politique non seulement ne s’opère ni par crainte ni par intérêt personnel, ni par l’inlassable répétition d’assentiments mais par un consentement général qui est quasi automatique. Olivier Beaud dit que l’obéissance est intériorisée par les gouvernés au point que leur consentement va de soi :

« L’obéissance est intériorisée ; elle n’est pas le produit d’une contrainte extérieure, ou de la menace de la force. […] Un gouvernement est légitime, si le pouvoir est attribué et exercé d’après des principes et des règles acceptées sans discussion par ceux qui doivent obéir. Ce sans discussion signifie non pas que le principe de légitimité est un principe imposé autoritairement [au sens de violamment], mais au contraire que sa reconnaissance par les citoyens va de soi. Il y a une évidence de la légitimité, et s’il n’y a plus cette évidence, la légitimité est en péril parce qu’elle est mise en question, alors que les fondements du pouvoir non pas à l’être s’ils veulent être efficaces socialement. »122

2. Le droit de gouverner – la dimension normative de la légitimité

En plus du consentement factuel de la domination par les gouvernés la légitimité possède aussi une dimension normative. Jean-Marc Coicaud affirme que « l’idée de légitimité concerne d’abord et surtout le droit123 de gouverner ». Et Richard Bellamy et Dario Castiglione stipulent: « Legitimacy can be defined as the normatively conditioned124 and voluntary acceptance by the ruled of the government of their rulers. »

Les mots allemands désignant la légitimité, la Rechtfertigung et plus précisément le Gerechtfertigtsein éclairent cette deuxième dimension, car ils découlent étymologiquement des termes de droit (Recht) et de justice (gerecht, Gerechtigkeit). La notion de justice signale que le pouvoir politique doit respecter des valeurs qui le dépassent afin d’être légitime. Aussi

121 COICAUD, Jean-Marc, Légitimité et politique, p. 17.

122 BEAUD, Olivier, « Propos sceptiques sur la légitimité d’un référendum européen », op. cit., p. 137.

123 C’est nous qui soulignons.

124 C’est nous qui soulignons.

la grande encyclopédie Brockhaus insiste dans sa définition de la légitimité que le pouvoir de l’Etat se justifie en fonction de valeurs et de principes qui lui sont antérieurs et qui se distinguent clairement de la légalité formelle et de l’exercice factuel du pouvoir :

« Legitimität ist die Rechtfertigung des Staates, seiner Herrschaftsgewalt und seiner Handlungen durch Wertvorstellungen und Grundsätze, im Unterschied zur formellen Gesetzmässigkeit (Legalität) oder rein faktischen Machtausübung. Das Bedürfnis nach Legitimität ist jeder staatlichen Herrschaft eigen, will sie nicht auf ein Mindestmass an Zustimmung der beherrschten Menschen verzichten. […] »125

Frank Ronge soutient également que la légitimité outrepasse la conformité à la loi, la légalité (Rechtmässigkeit), ainsi que l’autorisation (Berechtigung) d’exercer la puissance publique qui est toujours concrète. La légitimité concerne l’acceptabilité per se du pouvoir politique :

« ‘Rechtmässig’ ist im alltäglichen Sprachgebrauch etwas, das den Gesetzen entspricht, und

‘berechtigt’ ist jemand immer zu konkreten Handlungen. Beide Ausdrücke beziehen also die Legitimität zu eng auf Legalität oder auf konkretes Handeln. Am ehesten scheint deshalb der Begriff der Rechtfertigung zu passen. Doch auch er trifft nicht genau, insofern Rechtfertigung in erster Linie einen Vorgang und nicht einen Zustand beschreibt. Mit ‘Rechtfertigung’ lässt sich deshalb besser der Begriff der Legitimation umschreiben. Unter Legitimität soll dann deren Ergebnis verstanden werden : das Gerechtfertigtsein. Diese erste Klärung macht bereits deutlich, dass es bei der Legitimität nicht bloss um die rein empirisch fassbare Anerkennung politischer Ordnung, sondern immer auch zugleich um ihre Anerkennungswürdigkeit geht – um ein normatives Phänomen also. »126

Anerkennungswürdigkeit – acceptabilité ! Le pouvoir des gouvernants doit être digne du consentement des gouvernés. Nous ne pouvons affirmer plus explicitement la dimension prescriptive de la légitimité.127 Le consentement est une condition indispensable pour une domination légitime. Or, cet accord se donne en fonction de représentations préalables : des attentes, des espoirs et des rêves, des valeurs et des objectifs. Jean-Marc Coicaud constate à juste titre que la légitimité « nécessite la prise en considération de normes, ne serait-ce que parce qu’elle a pour condition une entente sur ce que l’activité de gouverner doit être. Car gouverner n’est un acte de droit qu’une fois que ceux qui commandent et ceux qui obéissent s’accordent sur les valeurs que la politique se donne pour objectif de promouvoir. »128 En conséquence, la légitimité est aussi et surtout le titre de validité normative par lequel les fondements du pouvoir et du droit politique129 sont affirmés et l’obéissance qui leur est due est justifiée.

La légitimité possède bien deux dimensions : le consentement d’obéir au pouvoir dans les faits et sa justification. Les sciences sociales étudient prioritairement les conditions empiriques qui mènent à obéir à la domination politique. La philosophie et le droit s’intéressent à la justification du pouvoir et donc à la dimension normative de la légitimité.

125 BROCKHAUS ENZYKLOPEDIE, op. cit., vol. 13, p. 210.

126 RONGE, Frank, Legitimität durch Subsidiarität, p. 15 et 16.

127 Selon l’encyclopédie Brockhaus (op. cit., vol. 24, p. 365) le mot allemand Würde (dignité) provient du vieu allemand wirdi qui signifie ‘qui a de la valeur’ et qui a aussi engendré le mot moderne Wert (valeur). La dignitié est la valeur intrinsèque d’une chose ou d’une personne. L’étymologie latine de dignité (dignitas, dignus) comporte l’idée de mérite et donc aussi le jugement qualitatif de valeur.

128 COICAUD, Jean-Marc, Légitimité et politique, p. 19.

129 Rappelons que nous entendons par droit politique toute norme juridique qui est liée à l’organisation et à la gestion du pouvoir politique au sens le plus large.

B. Les motifs d’obéissance au pouvoir – le regard sociologique sur la légitimité I. Généralités

1. Les raisons pour l’excursus dans la sociologie de domination de Max Weber

Lorsque nous rapprochons la définition introductive de la légitimité que nous venons d’exposer du questionnement de notre étude, c’est-à-dire si la philosophie politique et du droit d’Immanuel Kant est susceptible de contribuer à la légitimation de l’ordre constitutionnel de l’Union européenne, il appert d’emblée que la dimension normative de la légitimité sera au centre de notre recherche. Toutefois, nous estimons qu’un excursus dans la sociologie de domination de Max Weber, le père allemand de la sociologie moderne130, s’impose dans le présent contexte de la détermination générale du concept de légitimité.

Nous sommes de cet avis non pas parce que Max Weber est un héritier lointain du rationnalisme des Lumières et qu’au-delà du temps et des divergences qui le sépare de Kant, une parenté intellectuelle lie le grand sociologue du début du vingtième siècle au père des Lumières allemandes, mais bien plus parce que les travaux de Weber sur la domination politique et sa légitimité sont en sociologie aussi classiques que la pensée kantienne en philosophie. L’analyse idéal-typique, compréhensive certes, mais aussi factuelle et descriptive de la réalité sociale opérée par Weber ainsi que son approche empirique et neutre d’un point de vue de valeur (wertneutral) de la légitimité sont devenues caractéristiques de la méthodologie des sciences sociales en général et de l’étude de la domination en particulier.131 Dans l’introduction à notre recherche nous avons signalé que la légitimité de l’Union européenne a surtout été étudiée par les politologues. Nous sommes tributaires de leurs idées et réflexions théoriques ainsi que des résultats de leurs recherches empiriques. Cependant, étant donné la démarche philosophique et juridique de notre étude, nous développons à la suite du court excursus dans la sociologie de Max Weber une conception normative de la légitimité qui diverge foncièrement de la sienne et de celle des sciences sociales. Par souci de clarté conceptuelle et séduits par l’élégante simplicité méthodique de la réflexion a contrario, nous déployons notre définition prescriptive de la légitimité par opposition à celle factuelle et empirique de Max Weber. A la vue d’une introduction au raisonnement wéberien nous supposons pouvoir circonscrire l’apport et la limite du regard sociologique sur la légitimité pour le questionnement de notre recherche et uniquement cela. Nous nous limitons à la pensée du célèbre sociologue allemand parce qu’elle est idéal-typique – c’est le cas de le dire – pour l’optique des sciences sociales sur la domination et la légitimité. Nous sommes conscients de la hardiesse de notre entreprise étant donné la richesse et les divergences d’approches des travaux des sciences sociales en la matière. Pourtant, la problématique spécifique de notre étude et la place accordée à la définition du concept de légitimité dans ce cadre ne nécessite et n’autorise à notre avis pas d’aller au-delà.132

130 Il est communément admis que la sociologie moderne a trois pères fondateurs principaux : Le français Émile Durckheim (1858-1917), l’allemand Max Weber (1864-1920) et l’italien Vilfredo Pareto (1848-1923). Voir à ce propos : VALADE, Bernard, Introduction aux sciences sociales, Paris, PUF, 1996, p. 351-390.

131 « […] les réflexions de méthode wéberiennes font aujourd’hui office de paradigme dans le champ des sciences sociales […]. », COICAUD, Jean-Marc, Légitimité et politique, p. 160.

132 Au sujet d’autres définitions sociologiques et politologiques de la légitimité et leurs relations avec l’œuvre de Max Weber nous renvoyons à Frank Ronge, Legitimität durch Subsidiarität (op. cit.) qui présente aux pages 86 à 108 les théories de N. Luhmann, J. Habermas, W. Hennis et U. Matz. Anne Peters propose dans Elemente einer Theorie der Verfassung Europas aux pages 508 à 515 également les définitions de la légitimité selon N.

2. Introduction à la méthode empirique et factuelle de la sociologie

A travers la sociologie Max Weber souhaite comprendre et expliquer la réalité sociale :

« Nous appelons sociologie […] une science qui se propose de comprendre par interprétation [deutend verstehend] l’activité sociale et par là d’expliquer causalement [ursächlich erklären] son déroulement et ses effets. ».133

Max Weber étudie les actions relationnelles des agents sociaux, comme les scientifiques du social nomment les individus, en fonction de l’intention qui les anime dans un contexte donné. La sociologie wéberienne s’applique à identifier des types de comportements sociaux qui par leur répétition et leur régularité acquièrent un sens non pas seulement aux yeux de l’agent social particulier mais pour l’ensemble du groupe social auquel il appartient.134 Toutefois, le sociologue n’émet pas de jugement qualitatif, de valeur à propos de l’activité et des relations sociales :

« Ainsi, chez Max Weber, cette approche correspond-elle à une étude des comportements en termes d’intentionnalité. L’objet de la sociologie n’est pas d’énoncer ce qui est bien ou mal, mais de reconstruire l’intention à l’origine des actions des individus selon le contexte dans lequel ils évoluent. »135

La méthode des sciences sociales en général et la sociologie de Max Weber en particulier sont donc résolument neutres en matière de valeur (wertneutral)136 :

« Avec lui [Max Weber], la séparation entre l’être et le devoir-être est même revendiquée de la façon la plus nette qui soit. Weber assure que l’absolue irréductibilité des faits aux valeurs implique nécessairement la neutralité éthique des sciences sociales. Celles-ci peuvent apporter une réponse à des problèmes de fait et de causalité, mais restent incompétentes sur la question des valeurs. Weber insiste vivement sur le rôle joué par les valeurs. […] Toutefois, il considère qu’il existe une différence fondamentale entre le rapport aux valeurs et la notion de jugement de valeur. En affirmant qu’une mesure peut influer sur la liberté politique, par exemple, le sociologue ne prend pas position pour ou contre. Il doit se contenter d’expliquer les objectifs en les rattachant à leurs causes. Cela signifie que la théorie sociale ne résout pas les problèmes cruciaux que soulèvent les valeurs. »137

Luhmann, J.-F. Lyotard et M. Weber. Aux pages 539 à 552 de son ouvrage Peters consacre un chapitre entier à la légitimité selon la théorie discursive et elle discute les points de vue de J. Habermas et de R. Alexy.

133 WEBER, Max, Economie et société, volume 1 Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, Pocket, 1995 (traduction de Wirtschaft und Gesellschaft, Tübingen, Mohr, 1956), p. 28 ; cité dorénavant : WEBER, Max, Economie et société, p. x.

134 « Nous désignons par ‘relation’ sociale le comportement de plusieurs individus en tant que, par son contenu significatif [Sinngehalt], celui des uns se règle sur celui des autres [aufeinander gegenseitig eingestellt] et s’oriente en conséquence. La relation sociale consiste donc essentiellement et exclusivement dans la chance que

134 « Nous désignons par ‘relation’ sociale le comportement de plusieurs individus en tant que, par son contenu significatif [Sinngehalt], celui des uns se règle sur celui des autres [aufeinander gegenseitig eingestellt] et s’oriente en conséquence. La relation sociale consiste donc essentiellement et exclusivement dans la chance que

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