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Le concept de registre

3.1 Définition du domaine

Depuis les premières occurrences du mot « phraséologie » datant de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la moitié du XXe, la phraséologie n’est pas considérée comme une discipline à part entière ; elle forme essentiellement un domaine inter-disciplinaire.

Longtemps ignorée des linguistes, puis annexée tantôt par la lexicologie, tantôt par la grammaire, tantôt par la stylistique, elle a toujours cherché sa place comme discipline, soit en marge des autres, soit à leur intersection. (Gonzáles Rey, 2002, 19-20)

Une comparaison chronologique des différentes définitions de la phraséolo-gie au XXe siècle montre que le domaine, au départ restreint à la parémiologie, l’étude des proverbes, s’est progressivement ouvert pour englober un vaste en-semble de phénomènes. Pour C. Bally, la phraséologie est l’héritière directe de la parémiologie en ce qu’elle est un « terme général regroupant l’ensemble des locu-tions composées dont les éléments constitutifs perdent tout ou une partie de leur sens » (1951, 66). Pour R. Gläser (1986), la phraséologie n’est pas tant une dis-cipline qu’un niveau intermédiaire d’analyse situé entre le lexique et la syntaxe : «a linguistic inter-level between lexicology and syntax in the system of

stylistics» (1986, 41). Cette dimension de la phraséologie comme sous-domaine de la stylistique est rappelée dans J. Duboiset al.:

Ensemble des expressions figées spécifiques à une langue, à l’exclusion des pro-verbes lorsque ceux-ci forment une phrase. La phraséologie se définit par le carac-tère stabilisé de la combinaison qu’elle constitue. (1994, 366)

Le linguiste soviétique V.V. Vinogradov (1947) propose une première typolo-gie à partir de trois catégories : les fusions phraséologiques (la catégorie la plus opaque, celle des idiomes), les unités phraséologiques (les expressions métapho-riques, mais non-idiomatiques) et les combinaisons phraséologiques (les collo-cations). Cette typologie reste toujours en vigueur dans la mesure où la majorité des typologies présente des systèmes organisés en fonction du degré d’opacité et d’unité des expressions. Cependant, l’existence d’une « zone trouble39» entre la catégorie des unités et celle des combinaisons mène d’autres linguistes à re-considérer ce premier classement (Cowie, 1998; Mel’ ˘Cuk, 1998; Gläser, 1986; Howarth, 1998).

De nos jours, les préoccupations en matière de phraséologie semblent s’être déplacées. D’une part, la recherche se préoccupe désormais davantage de cette zone trouble. La distinction faite par Vinogradov entre unités phraséologiques et combinaisons phraséologiques est alors abandonnée au profit de l’unité phraséo-logique définie par R. Gläser de la façon suivante :

A « phraseological unit » is a lexicalized, reproducible bilexemic or polylexemic word group in common use, which has relative syntactic and semantic stability, may be idiomatized, may carry connotations, and may have an emphatic or inten-sifying function in a text. (1998, 125)

Pour l’auteur, les unités phraséologiques forment un continuum allant des formes les plus figées, comme les proverbes et les idiomes, aux expressions non-idiomatiques pouvant elle-mêmes faire l’objet de « modification créative » (1998, 130).

D’autre part, la recherche fait une place plus importante à la dimension sta-tistique. La notion d’unité phraséologique comme unité sémantique cède alors

progressivement sa place à des phénomènes plus larges, définis de manière pu-rement statistique. B. Altenberg rappelle que dans le cas de l’anglais parlé la fréquence d’une combinaison dans un corpus donné est un indicateur du statut phraséologique :

The frequency threshold gives at least some guarantee that the selected word-combinations have some currency in spoken discourse and that they are of some interest from that point of view. (1998, 102)

Ainsi, depuis les années 2000 les chercheurs explorent-t-ils des « paquets » ou « faisceaux lexicaux »40 définis comme des collocations « étendues », des « séquences co-occurrentes de deux ou trois mots » dans des registres particu-liers (Cortes, 2004). Les observations portent sur l’« environnement typique des mots » (Anderson, 2006, 47) allant des expressions les plus figées (statistique-ment faibles mais sémantique(statistique-ment fortes) aux paquets lexicaux (statistique(statistique-ment forts et sémantiquement faibles).

A cet élargissement définitoire correspond naturellement un élargissement épistémologique. Ancrée dans le champ de la stylistique (Vinogradov, 1947; Bally, 1951; Gläser, 1998) le domaine d’application de la phraséologie se dé-veloppe à la fin du XXe siècle et au début du XXIe pour rejoindre les études de registre et de genre. La phraséologie devient alors un outil d’identification et de caractérisation des textes écrits et oraux, marqués par des schémas routiniers et pré-fabriqués (Coulmas, 1981; Aijmer et Stenström, 2004). Domaine de prédi-lection pour les linguistes de corpus, elle contribue par exemple à la distinction des registres écrits et oraux (Biber et Conrad, 1999; Biberet al., 1999), littéraires et publicitaires (Gläser, 1986), professionnels et universitaires (Mauranen, 2004; Biber et Barbieri, 2007; Anderson, 2006). Pour A. Partington les expressions préfabriquées (prefabs) sont « de puissants indicateurs de registre » (1998, 20). Parallèlement, la phraséologie contribue à la caractérisation de genres spécialisés (Resche, 1997; Gledhill, 2000). Enfin, la définition donnée par P. Charaudeau et D. Maingueneau :

Phraséologie : Désigne l’ensemble des expressions figées, simples ou composées, caractéristiques d’une langue ou d’un type de discours. (2002, 432)

convient aux trois volets de cette étude concernant la caractérisation de trois as-pects de la phraséologie de l’anglais comme langue de travail entre locuteurs natifs d’autres langues. Le premier aspect concerne les formes figées par la rou-tine des actions professionnelles telles que les formules épistolaires standardi-sées de type please find attached. Le second aspect concerne l’hypothèse que les échanges, et plus particulièrement la résolution de problèmes par courriel, forment un registre particulier de la langue anglaise. Nous formons en effet ici l’hypothèse qu’il existe, au-delà de la simple terminologie des métiers, des formes composées et relativement figées, liées aux domaines spécialisés des employés (ce phénomène a par exemple été observé pour le français dans W.J. Ander-son (2006). Enfin, le troisième aspect concerne les formes idiomatiques de la langue anglaise et, incidemment, les potentielles innovations liées aux situations de contact entre locuteurs de langues maternelles différentes.