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Chapitre 1 — La non-prolifération et le désarmement des armes nucléaires en droit

1.1 La non-prolifération et le désarmement des armes nucléaires en droit international,

1.1.2 Désarmement et contrôle de l’armement

1.1.2.2 La dissuasion nucléaire et la doctrine du no first use

1.1.2.2.1 Définition de la dissuasion nucléaire

Le terme « dissuasion » est fréquemment pertinent en droit. Par exemple, il occupe un rôle central en droit criminel et pénal, où il est question de l’inhibition de comportements criminels par la peur de la sanction. D’un point de vue général, cela fait référence au fait de faire renoncer à quelqu’un son intention de faire quelque chose112. Bien qu’utilisé dans

nombre de sphères, ce principe aurait une importante connotation militaire.

En effet, la définition du mot « dissuasion » soumise par la Commission d’enrichissement de la langue française et reprise par l’Office québécois de la langue française est la suivante :

« Action visant à empêcher un adversaire ou un ennemi potentiel d’accomplir une action hostile, par crainte des conséquences, en particulier de représailles par arme nucléaire.113 »

Dans le cadre du droit international de la non-prolifération et du désarmement des armes nucléaires, la dissuasion comporterait deux facettes, l’une physique et l’autre, psychologique. La première concerne les conséquences tangibles causées par l’existence de ce type d’armes, ainsi que les politiques et stratégies se rattachant à leur usage. La deuxième, quant à elle, réfère aux réactions psychologiques de l’humanité à la suite de la réalisation du potentiel de destruction pouvant potentiellement être causé par l’arme nucléaire114.

111David CARLTON, Carlo SCHAERF (eds), The Arms Race in an Era of Negotiations, New York, St. Martin’s

Press, 1991, p. 161.

112 « dissuader », Larousse, en ligne :

<https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dissuader/26034?q=dissuader#25917> (consulté le 7 avril 2020).

113 Le grand dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française, en ligne :

<http://www.granddictionnaire.com/index.aspx> (consulté le 5 janvier 2019).

114 Teng JIANQUN, « On New Concept of Nuclear Deterrence », (2009) 19 China International Studies, 135-

Le but de la dissuasion nucléaire est conséquemment de dissuader un adversaire de lancer en premier une frappe nucléaire, et ce, en possédant des armes nucléaires capables de lui infliger un niveau inacceptable de représailles nucléaires malgré l’attaque. La dissuasion, en outre, se décline à deux niveaux : la dissuasion minimale et la dissuasion élargie.

La dissuasion nucléaire, minimalement, implique que les puissances nucléaires ont accepté que la seule utilité de l’arme nucléaire soit de dissuader un rival de l’utiliser. Ainsi, ce type de dissuasion se base sur un nombre d’armes nucléaires le plus bas possible permettant tout de même de décourager l’usage d’une telle arme par d’autres États115. Si cette étape est

atteinte avec succès grâce à des accords efficaces comportant des limitations sévères, suivant la logique, il serait techniquement possible de mettre en œuvre une réelle réduction des armements. Éventuellement, cela permettrait de totalement éliminer ce type d’armes de destruction massive. En effet, selon la doctrine de la dissuasion minimale, conserver l’arme nucléaire deviendrait désuet si la possibilité qu’on l’utilise contre son rival a disparu. Bref, cela encouragerait la fin de la course aux armements116.

Contrairement à une croyance adoptée par certains États à une époque, la dissuasion minimale ne doit pas obligatoirement reposer sur une égalité numérique des armes. Pensons notamment aux États-Unis qui, après la signature en 1972 de l’Accord Intérim limitant les

armes offensives stratégiques117 (ci-après « Accord Intérim ») permettant aux Soviétiques

d’être en possession d’un arsenal plus conséquent sur certains aspects, se sont engagés à ne pas ratifier d’accord ultérieur sauf s’il comprenait un plafonnement égal118. L’Accord

Intérim, signé à la suite des négociations SALT I, prévoyait entre autres que les États-Unis pouvaient posséder un maximum de 710 lanceurs de missiles balistiques fixés sur des sous- marins et au plus 44 sous-marins équipés de missiles balistiques, comparativement à un maximum de 950 et 62 respectivement pour l’URSS119. Il n’a néanmoins pas été prouvé que

115R. HULLMAN, préc., note 61, p. 184.

116D. CARLTON, C. SCHAERF, préc., note 111, p. 162.

117Accord Intérim limitant les armes offensives stratégiques, 26 mai 1972, (3 octobre 1972) (ci-après « Accord

Intérim »).

118Stobe TALBOTT, Endgame: The Inside Story of SALT II, New York, Harper and Row, 1979, p. 24. 119Accord Intérim, protocole.

la dissuasion repose sur une égalité numérique. C’est plutôt la croyance de l’adversaire à la possibilité élevée que l’État visé soit capable de riposter malgré une attaque nucléaire qui est importante. Il n’y aurait donc pas de raisons logiques pour faire de l’équilibre conventionnel de réductions une précondition pour amorcer un mouvement vers un régime de profondes réductions et de dissuasion minimale120.

Malheureusement, en pratique, le contexte géopolitique tel que nous le connaissons, teinté de conflits et de tensions divers, ne permet pas de procéder à de telles réductions. Actuellement, des réductions extrêmes de la taille des arsenaux nucléaires des superpuissances ne seraient pas sages puisque des plafonds d’armement très bas augmentent le risque d’une crise en cas de découverte de violations des engagements, tel un stockage illégal d’armes nucléaires. De telles réductions pourraient être menées de façon sécuritaire seulement lorsque la confiance envers des accords de vérification augmente et, conséquemment, lorsque la confiance entre les nations se renforce. Cela fut affirmé au début des années 1990, mais demeure vrai dans le monde encore plus polarisé d’aujourd’hui121. De

plus, cela souligne l’importance de bâtir et de renforcer les liens de confiance entre États, puisqu’une perception réciproque erronée signifie que la dissuasion est basée sur une certitude minime, ce qui est risqué. Tout de même, certains États ont souscrit à la doctrine de la dissuasion minimale, notamment la France, le Royaume-Uni et la Chine. Ils ont implicitement promis de ne pas accroître leurs forces nucléaires au-delà de ce qui est nécessaire pour détruire tout au plus quelques villes clés sur le territoire d’un adversaire potentiel122.

Se distinguant de la dissuasion minimale, il y a la dissuasion nucléaire élargie. Celle-ci est alarmante puisqu’elle vise à dissuader également les attaques d’armes conventionnelles en faisant planer la menace que l’arme nucléaire soit potentiellement utilisée dans n’importe quel conflit, nucléaire ou non. Cela diffère du but originel de la dissuasion nucléaire, qui se limite aux armes de destruction massive et surtout aux arsenaux nucléaires. La dissuasion

120R. HULLMAN, préc., note 61, p. 193. 121Id., p. 201.

élargie mine la rationalité de la dissuasion nucléaire, augmentant du fait même les risques d’un échange nucléaire. Essentiellement, la dissuasion nucléaire dans son sens général est basée sur une intention défensive d’utiliser l’arme nucléaire comme représailles après avoir subi une attaque nucléaire. La dissuasion étendue, elle, est basée sur l’intention offensive de venir en aide à ceux attaqués par des armes conventionnelles. Elle va souvent de pair avec la doctrine de l’usage en premier des armes nucléaires, le first use123, et va à l’encontre de la

rationalité de la doctrine de la dissuasion, basée sur la croyance que l’arme nucléaire n’est pas une arme conventionnelle et ne devrait pas être traitée comme telle124. Soulignons

d’ailleurs que la doctrine du first use, adoptée par le États-Unis, a exacerbé les tensions et méfiance entre l’OTAN et l’URSS125, situation qui s’est peu améliorée depuis126.

Les superpuissances nucléaires ont par moment menacé d’utiliser leur arsenal nucléaire afin de dissuader des attaques conventionnelles. Ainsi, les États-Unis ont fourni la première garantie nucléaire à l’OTAN en octobre 1953, avec le document NSC 162/2, un rapport au Conseil de sécurité national127, ainsi que lors du discours du secrétaire d’État américain John

Foster Dulles portant sur les « représailles massives » lors du Conseil des relations étrangères, en janvier 1945128. Ces deux documents suggéraient d’importantes représailles nucléaires de

la part des Américains en cas d’empiètement sur l’Europe de l’Ouest par les Soviétiques. Cette politique de dissuasion élargie fut approuvée par l’OTAN en décembre 1954129.

Néanmoins, l’utilisation de l’arme nucléaire par les États-Unis pour le compte de l’Europe devint moins crédible pour ses alliés et bien plus risquée pour les Américains lors de l’acquisition de l’arme nucléaire par l’URSS130.

123D. CARLTON, C. SCHAERF, préc., note 111, p. 162 et 163. 124Id., p. 164.

125Id., p. 165.

126 « Relations with Russia », Organisation du Traité de l’Atlantique nord, 14 août 2019, en ligne :

<https://www.nato.int/cps/en/natolive/topics_50090.htm> (consulté le 5 janvier 2019).

127United States Executive Secretary, on basic national security policy, A Report to the National Security

Council, NSC 162/2, Washington (30 octobre 1953), en ligne: <http://goodtimesweb.org/documentation/fas-

nsc-162-2.pdf>, p. 22.

128D. CARLTON, C. SCHAERF, préc., note 111, p. 171. 129Id., p. 171.

1.1.2.2.2 L’implantation de la dissuasion nucléaire minimale et la doctrine du no first