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Chapitre 1 — La non-prolifération et le désarmement des armes nucléaires en droit

2.3 Portrait actuel et manque de contrôle après le retrait d’un État du régime

2.3.2 Absence de suivi après la dénonciation

L’une des lacunes les plus importantes en ce qui concerne le droit de retrait est l’absence plus ou moins totale de suivi après qu’une partie aille mis fin à ses obligations conventionnelles sous le TNP. Nous avons vu que le retrait d’un État sous le TNP équivaut également à la fin de l’accord de garanties établi sous l’article III du même traité. Cela est inquiétant puisque cet accord de garanties remplit le rôle de système de prévention de base et constitue le point de départ pour les vérifications. Rappelons que le succès du système universel de non- prolifération des armes nucléaires dépend d’un système de vérification et de surveillance fonctionnel et universellement applicable295. Cela entre néanmoins en conflit avec le droit

souverain de l’État en cause, ce qui inclut le droit de se retirer du TNP ; une partie qui décide de ce faire exerce son droit légitime, si le tout est fait en respect des conditions édictées au TNP.

Cependant, une fois que l’État s’est retiré en bonne et due forme, rien ne l’empêche techniquement d’utiliser à des fins militaires des installations et des matériaux antérieurement soumis à un accord de garanties296. Il ne violerait aucun traité international ou règle

gouvernant la communauté des États tant et aussi longtemps qu’il ne commet pas d’actes de

294 À la suite de la crise générée par les violations répétées de l’Iran concernant ses obligations de non-

prolifération, beaucoup de fonctionnaires, d’observateurs et de gens du secteur affirmèrent que le régime de non-prolifération est voué à l’échec. Voir : Pierre GOLDSCHMIDT, « The Urgent Need to Strengthen the Nuclear

Non-Proliferation Regime », Carnegie Endowment for International Peace, janvier 2006, en ligne : <https://carnegieendowment.org/files/PO25.Goldschmidt.FINAL2.pdf> (consulté le 25 décembre 2019).

295 C. DEFRANCIA, préc., note 8, p. 722.

296 Pierre GOLDSCHMIDT, « Securing Irreversible IAEA Safeguards to Close the Next NPT Loophole », Arms

Control Association, mars 2015, en ligne: <https://www.armscontrol.org/act/2015-03/features/securing-

prolifération. La CIJ a refusé de conclure que le droit coutumier interdisait la menace de l’usage des armes nucléaires, ce qui signifie que leur possession n’est techniquement pas illicite297. Ainsi, une fois que l’État s’est retiré des traités internationaux interdisant

l’acquisition de ce type d’armes, rien ne l’empêche d’aller de l’avant pour en produire. C’est l’obligation de non-prolifération qui est erga omnes et qui s’applique conséquemment à tous les membres de la communauté internationale298. Cependant, cette norme est entourée d’un

certain flou juridique. En effet, il n’est pas clair quels comportements et actions constituent de la prolifération et il n’y a pas de définition officielle à cet égard299. Les standards légaux

de non-prolifération se retrouvent dans un amalgame de traités applicables, de pratiques étatiques, de pratiques de l’AIEA et de prises de position du Conseil de sécurité300.

Nous pourrions ici faire un lien avec la situation de l’Inde et du Pakistan. Avec Israël, ces derniers sont les trois États qui n’ont jamais ratifié le TNP. Ils ont également tous acquis l’arme nucléaire, bien qu’Israël ne le reconnaisse pas301. Considérés comme États nucléaires

possédant un statut particulier, ils n’ont techniquement violé aucune norme internationale en acquérant ce type d’arme, ayant exercé leur souveraineté et décidé de ne pas se joindre au TNP302. Le régime international de non-prolifération des armes nucléaires ne peut d’ailleurs

être considéré comme universellement applicable tant et aussi longtemps que les États non parties décident de ne pas s’y intégrer ou, dans le cas de la Corée du Nord, d’y adhérer de nouveau303. Un État qui se retire du TNP et qui n’est partie à aucun autre accord comportant

des interdictions semblables (tel un traité régional) se retrouverait, techniquement, dans la

297 O. F. KITTRIE, préc., note 89, p. 349 ; voir également l’avis consultatif, par. 105. 298 C. DEFRANCIA, préc., note 8, p. 783.

299 Pierre GOLDSCHMIDT, « Safeguards Noncompliance: A Challenge for the IAEA and the UN Security Council

», Arms Control Association, 2 janvier 2010, en ligne: <https://www.armscontrol.org/act/2010_01- 02/Goldschmidt> (consulté le 6 février 2020).

300 C. DEFRANCIA, préc., note 8, p. 714.

301 Agence France-Presse, « Israël ne permettra pas à l’Iran de se doter de l’arme nucléaire, réaffirme

Nétanyahou », La Presse, 17 janvier 2016, en ligne : < https://www.lapresse.ca/international/moyen- orient/201601/17/01-4940693-israel-ne-permettra-pas-a-liran-de-se-doter-de-larme-nucleaire-reaffirme- netanyahou.php> (consulté le 13 février 2020).

302 Il faut ici nuancer puisque la question soulève des débats dans le milieu académique. Certains experts

considérent que l’Inde et le Pakistan auraient violé « a global norm against anu more countries with nuclear weapons » (voir : George BUNN, « Nuclear Tests Violate International Norm », (mai 1998) Arms Control Today

26, 26 – 27).

même position que ces trois États ne l’ayant jamais ratifié (et possiblement la Corée du Nord actuellement). Cependant, il aurait l’avantage des connaissances, technologies, matériaux et installations acquis lorsque partie au TNP. Rappelons que celui-ci encourage la coopération des États parties, son article IV visant à faciliter l’échange d’équipement, de technologies, de matières et d’informations scientifiques concernant l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques304. En effet, les connaissances pour fabriquer l’arme nucléaire ne s’évaporent

pas après le retrait du TNP305. De plus, la ligne entre l’usage pacifique et l’usage pour fins

militaires ou belliqueuses est souvent assez mince. Les technologies et activités nucléaires à double usage en sont des exemples probants, l’enrichissement de l’uranium étant le cas le plus inquiétant306.

L’absence de suivi pour donner suite à un retrait du TNP signifie que ce seront les règles générales de droit international qui s’appliqueront, dont celles retrouvées dans la Charte de l’ONU. Nous pouvons notamment évoquer l’interdiction de recourir à la menace ou à l’emploi de la force dans les relations internationales307. Cela dit, celles-ci ne sauraient

interdire la fabrication de l’arme nucléaire par un État tiers au TNP ou qui s’en est retiré.