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3. Définitions des notions en rapport avec les facteurs du passé

3.1 Définition de la notion de représentation

3.1.1 « Genèse » et lieu de développement des représentations sociales

Initiée dans le domaine des sciences sociales par E. Durkheim (1898)20 qui distingue les représentations individuelles qui renvoient aux « états mentaux propres à l’individu », la notion est reprise et développée dans les années soixante par la psychologie sociale de S. Moscovici. Pour ce dernier, la représentation sociale est « la connaissance du sens commun » c’est encore « l’élaboration d’un objet social par la communauté avec l’objectif d’agir et de communiquer » (S. Moscovici, 1963 : 251) cité par J.-L. Beauvois (1996 :137). Moscovici accorde une plus grande attention à la « genèse des représentations » et aux passages du « plan individuel » au niveau « interindividuel », puis à celui plus proprement social. Les représentations sociales selon S. Moscovici sont comme « une passerelle entre le monde individuel et le monde social » fait remarquer J.-M. Seca (2001 : 17).

Selon ces premières définitions, les représentations « produites » pourront nous donner une certaine « image » d’une société particulière, puisqu’elles tendent à la « construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989 : 36).

Dans notre domaine de recherche, l’ensemble social en question sera les enseignants de FLE, la langue étrangère et leurs apprenants. Notre travail empirique essaiera de trouver, dans la mesure du possible, une « réalité commune » que pourront construire les enseignants cibles - interrogés dans le corpus - concernant le rapport à la langue apprise puis enseignée dans des lieux et des temps cruciaux dans leur vie scolaire puis professionnelle.

La notion de représentations sociales pourra être comprise comme « un système de savoirs pratiques (opinions-images-attitudes-préjugès-stéréotypes-croyances…) générés en partie dans des contextes d’interactions interindividuelles ou/et intergroupaux ». (Seca 2001 : 11)

Ainsi, la genèse des représentations sociales aura lieu dans les interactions ou plutôt dans les espaces d’interactions (par exemple la classe et l’extérieur de la classe). La communication entre les individus et les groupes sociaux permet cette « genèse » et « permet aux sentiments et aux individus de converger. L’individuel peut devenir social et vice versa. Alors les représentations sociales sont à la fois acquises et générées » J.-M. Seca (2001 :17). Elles naissent et se développent dans « les conversations quotidiennes et par rapport à des

20 Durkheim (E), 1898, « Représentations individuelles et représentations collectives », Revue de métaphysique

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circonstances culturelles et historiques » (ibidem). Le temps et l’espace interactionnel jouent donc un rôle important dans la genèse des représentations. A ce stade, l’apprenant construirait ses premières représentations de la langue étrangère entre les deux espaces (la classe et et l’extérieur de la classe) en interactions avec ses enseignants de français le premier et en interaction avec la mentalité des gens et la place accordée à la langue étrangère dans le second.

En effet, comme le soulignent aussi plus récemment J. Billiez & A. Millet (2001), les représentations sociales constituent des « cadres de références » « des normes sociales », permettant aux individus de comprendre le monde environnant [afin] de se situer et de se développer des relations » De ce fait, tout en étant « façonnées par les rapports sociaux », elles jouent un rôle dans l’établissement et le maintien de ces rapports (J. Billez & A. Millet (2001 : 35).).

Dans quelle mesure deux apprenants (en tant qu’enseignants potentiels) auront les mêmes représentations face au français langue étrangère s’ils appartiennent au même contexte ? Dans quel mesure le discours des enseignants cibles (écrit et oral) permettra-t-il d’émerger des représentations quant à la manière de percevoir la manière de parler le français langue étrangère ?

3.1.2 Les représentations des langues dans les discours

A l’intérieur des représentations sociales, on distingue différents types de représentations et parmi elles, les représentations des langues c'est-à-dire les représentations que l’on peut nourrir sur les langues, sur leur enseignement et sur leur apprentissage. R. Poquier & E. Wagner (1984), mettent l’accent sur la façon dont se constituent les représentations des langues, sur le rôle qu’elles jouent dans l’apprentissage et sur leurs modes de diffusions. 21

Comme le précisent G. Lüdi & B. Py (2002 : 98), les représentations sociales se diffusent par la circulation de discours :

« Comme les attitudes, les représentations sociales sont étroitement liées à des fragments de discours en circulation dans une communauté donnée. C’est justement cette propriété qui garantit leur diffusion sociale (par répétition ou citation de lieux communs et mémorisation) et leur disponibilité dans les différentes activités sémiotiques qui font notre vie quotidienne. » (p.98)

21 Dans la même perspective, voir aussi les travaux de P. Martinez (1996), M. Perrefort (1997), J-C Beacco (2001) et plus récemment V. Castellotti & D. Moore (2002).

Dans la même perspective aussi, B. Py (2004 : 6) souligne que les représentations sociales sont avant tout des objets de discours par lequel « elles existent et se diffusent dans le tissu social ». Elles sont à la fois travaillées par le discours « lieu où les représentations sociales se constituent, se façonnent, se modifient ou se désagrègent » (B. Py : ibidem) et observables dans le discours.

Ainsi, nous pouvons dire que le discours (émis), verbal ou écrit sur la langue étrangère permettra la constitution des représentations face à la langue avec laquelle il est émis, et en même temps apportera aux représentations une dimension observable.

L’élaboration des représentations sur les langues étrangères et leur apprentissage que ce soit dans les espaces concernés est pensée par R. Porquier & E. Wagner (1984) de la manière suivante :

« Nos conceptions et nos représentations de l’acquisition du langage et de l’apprentissage des langues, comme activité cognitive et sociale propre à l’espèce humaine, sont informées et sous-tendues par nos conceptions, notre expérience, et nos représentations d’apprentissage, de savoir et de savoir-faire autres, vécus et intériorisés à l’école (mathématiques, sciences, histoire, géographie, etc.) et au dehors, sans qu’aucune de ces expériences puisse être étroitement circonscrite à une matière particulière, ni au cadre dans laquelle elle a été vécue, par nous même ou par d’autres, pour construire notre connaissance et notre expérience (personnelles, sociales, professionnelle) du monde. Ainsi, en dehors d’enseignements ou de lectures traitant de théories de l’apprentissage, de pédagogie des langues ou de communication interculturelle, existent des sources très diverses et fournies par des « non-spécialistes » : récits de voyageurs, d’explorateurs (…) qui (…) reflètent en même temps, nos attitudes, nos conceptions et nos représentations quant au langage, et à leur apprentissage, et à la communication exolingue et interculturelle ». (p.85)

Ainsi le discours des enseignants cibles permettra l’observation des représentations générées au fil des temps et dans les contextes (à l’intérieur et à l’extérieur de la classe).

Mais la question qui se pose à ce stade est la suivante: est-ce que c’est l’individu en lui-même qui construit la représentation ou bien elle lui est imposée par son entourage socioculturel ?

3.1.3 La représentation de la langue est-elle « imposée » par la réalité extérieure à l’individu?

De différentes définitions, de plus en plus précises et approfondies, ont été données des représentations sociales. E. Morin22, par exemple, pense que la représentation est construite à partir de trois éléments :

22

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« […] l'action du réel sur nos sens (la perception), notre mémoire (des schèmes mémorisés) (et) les fantasmes qui nous font privilégier certains aspects plutôt que d'autres. Cette construction que nous projetons ensuite sur le réel forme une boucle qui achève de nous mettre en relation avec ce réel. La réalité passe à travers de nombreux filtres et nous ne sommes jamais objectifs. Nous n'avons que des représentations de la réalité (qu'il s'agisse de nos élèves, de notre classe, de notre discipline, ...)[…] Déjà à tous les niveaux, tant auditifs que visuels, nous n'avons qu'une connaissance partielle de la réalité (nous ne voyons que certaines longueurs d'onde, nous n'entendons que certains sons...). »

Si l’entourage socioculturel de l’enseignant de FLE permet la construction de ses représentations sur la langue et sur sa façon d’enseigner, il faudra tenir compte de l’action du

réel sur sa perception et sur sa mémoire en même temps, du fait qu’il privilégie certains

aspects de la langue (son importance culturelle, son système phonétique par exemple, la prosodie avec laquelle elle est prononcée ou enseignée etc.)

Figure 2 : shéma de la représentation selon E. Morin

La présente figure montre les effets réciproques de la réalité objective et du système psychique intérieur chez l’individu. D’une part nous avons dans un sens la projection de la représentation interne sur la réalité, et d’autre part nous avons le second sens relatif à la perception de la réalité. De telle manière, la réalité n’est pas vue telle quelle est mais telle que l’individu la perçoit. Sa mémoire et « ses fantasmes » vont se projeter sur la réalité et par suite, l’individu en « choisit » - sans qu’il ait nécessairement conscience de ce choix – les éléments qui constitueront sa propre représentation de la réalité.

L’attention portée sur un objet semble donc relative à chacun, à sa motivation, à son histoire en tant que sujet, à son héritage biologique, à ses émotions, à ses expériences qui ont jalonné le cours de son existence. En d’autres termes, nous pouvons dire que chacun fait attention à sa manière.

Le fait que l’individu privilégie certains aspects plutôt que d’autres nous laisse penser que chaque individu construira une représentation différente concernant un objet quelconque.

Ce que nous chercherons à connaître dans l’étude empirique, ce sont aussi bien les représentations individuelles que collective ou sociale, celles de chaque enseignant et celle de tous les enseignants interrogés. Les propos des enseignants cibles fourniront les « […] images, les métaphores et les évaluations qui forment leur connaissance des objets saillants » (Moliner (1993) cité par J. L. Beauvois 1996 : 139)23. La notion d’objets saillants est importante dans la mesure où elle déterminera les représentations communes propres à un ensemble social particulier. A ce stade, quels sont les objets saillants qui détermineront les représentations qu’ont les enseignants cibles de la langue cible et de la manière d’enseigner la langue dans leurs positions au cours de leur parcours académique et professionnel ?

Le développement de la définition des représentations, partant de la conception qu’elles sont des « éléments de la conscience sociale extérieure aux individus et s’imposant à eux » (S. Moscovici, 1986 :35) puis comme « forme (s) de connaissance (s) socialement élaborées (s) et partagée (s) ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (D. Jodelet, 1989 :36) ou encore comme « […] un ensemble d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations se référant à un objet ou à une situation […] déterminé(s) à la fois par le sujet lui-même (son histoire, son vécu), par le système social et idéologique dans lequel il est inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec le système social » (C. Abric, 1989 :206), nous laisse constater que les représentations sociales dépendent à la fois de l’expérience de chacun en tant qu’individu et en tant que membre d’une société donnée.

Donc, ce ne sont pas « […] des données collectives mentales qui s’imposeraient aux personnes. Au contraire, elles relèvent de l’activité des groupes et des individus dans des contextes particuliers » (J.L. Beauvois 1996 : 140)

Dans le paradigme des sciences sociales, les représentations peuvent s’imposer comme « des valeurs, idées, images qui ont une double fonction : d’une part celle de permettre aux individus de structurer leur action dans le monde social, d’autre part celle de leur permettre de communiquer, en les dotant d’un code commun » L. Mondada (1998 :128). Elles ont, entre autres, une fonction d’orientation des conduites sociales et de communication.

23 « S’il n’y a pas de représentation sociale de n’importe quel objet c’est parce que les groupes sociaux n’élaborent une connaissance partagée qu’à propos d’objets saillants pour eux (Moliner 1993 cité par J.L. Beauvois 1996 : 138).

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Un point de vue interactionniste et psychosocial laisse entrevoir que les effets de l’activité collective (d’interprétation et de construction) produit une « connaissance dont les contenus cognitifs, affectifs jouent un rôle primordial quant à la façon de penser et quant à l’action des personnes dans la vie quotidienne » (J.L. Beauvois 1996 : 138).

De Durkheim, nous pouvons actuellement retenir que les représentations relèvent d’une théorie dans laquelle l’activité psychologique est elle-même située dans la vie sociale.

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