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2. Les failles de l’échange langagier, risques de déliaison interpersonnelle interpersonnelle

2.2. Défaillances de l’allocutaire

Si l’échange langagier est décrit comme difficile, pour ne pas dire impossible, la raison n’en est néanmoins pas toujours un manque de contenu informatif à communiquer. La menace de la disjonction devient d’autant plus pressante chez Jane Austen que l’absence, physique ou discursive, d’un interlocuteur véritable se fait également

68 fréquemment ressentir. L’interlocution est pourtant « partie essentielle de la constitution du sens » affirme Paul Ricoeur, qui précise, dans sa préface à L’esprit de société :

Grice insiste beaucoup sur le fait que signifier, dire quelque chose, c’est inclure dans son intention l’intention qu’elle sera reconnue pour ce qu’elle est par un autre. Si je dis quelque chose, il y a l’attente d’une réception de ce que je dis telle que l’intention—mon intention—implique l’intention de l’autre de me reconnaître. C’est un circuit de

recognition, de reconnaissance97.

L’interlocution a beau être fondamentale,chez Austen la fonction langagière est dépeinte comme privée de ses rôles clés non seulement de communicateur d’information mais également de communicateur à autrui.

-Aliénation des héroïnes

Plusieurs critiques ont relevé l’isolement fréquent de certains personnages et notamment celui des héroïnes98. Walton Litz a souligné la solitude d’Anne Elliot dans

Persuasion :

the heroine finds herself terribly alone. Anne Elliot has no trustworthy confidante, no Jane

Bennet, or Mrs. Weston, or Mr. Knightley99. The sympathetic brothers, sisters, and fathers

of the earlier novels have disappeared [...] Anne’s need is as much communication as it is love, and in spite of the happy ending the deepest impression we carry away from

Persuasion is one of human isolation100.

Anne Elliot n’est néanmoins pas la seule héroïne austénienne à pâtir de solitude, loin s’en faut. Nous pourrions penser également à l’isolement de Catherine Morland lors de son

97 Paul Ricoeur, L’esprit de société : vers une anthropologie sociale du sens, Liège, Mardaga, 1993, p. 7-8. Pour plus de précision quant à l’idée de reconnaissance et du rôle central de l’allocutaire dans l’échange langagier, voir Paul Grice, « Utterer’s Meaning and Intentions », Philosophical Review, n° 78, 1969, p. 147-177.

98 C. S. Lewis évoque celui des héroïnes de Mansfield Park et de Persuasion. Clive S. Lewis, « Two Solitary Heroines », dans J. O’Neill (éd.), Critics on Jane Austen. Readings in Literary Criticism 5, Londres, Geroge Allen & Unwin Ltd, 1970, p. 72-77.

99 Personnages des romans Pride and Prejudice et Emma.

100 Arthur Walton Litz, Jane Austen: A Study of her Artistic Development, New York, Oxford UP, 1965, p. 150-160 ; reproduit dans Persuasion, P. Meyer Spacks (éd.), New York, Norton Critical Edition, 1995, p. 219.

69 premier bal à Bath, dans Northanger Abbey101, aux sentiments d’abandon d’Emma Woodhouse et Jane Fairfax dans Emma, à la déréliction de Fanny Price dans Mansfield

Park, à celle d’Elinor dans Sense and Sensibility et d’Emma Watson dans The Watsons.

Les sorts d’Anne Elliot (séparée de son bien-aimé, constamment tenue à l’écart par sa sœur Elizabeth et son propre père), Elinor Dashwood (éloignée de la demeure familiale, mais également de celui qu’elle chérit, exclue de surcroît de la relation complice entre sa propre mère et ses deux autres sœurs), Emma Watson (séparée de sa famille quatorze années durant et éduquée par sa tante Jane avant d’être rejetée par cette dernière et renvoyée à sa famille devenue étrangère) et Fanny Price (forcée de quitter le foyer familial alors qu’elle n’est encore qu’une enfant, toujours en marge de toutes activités dans sa nouvelle demeure) présentent en ce sens des similarités frappantes. Dans tous les cas, comme l’a laissé entendre cette citation de Walton Litz, l’isolement est envisagé selon le prisme de la déliaison langagière. C’est la conscience de l’absence de personnes avec qui partager ses idées qui prime et ne fait qu’accroître ce sentiment de solitude.

Prenons Mansfield Park et son héroïne Fanny Price comme exemple. Les premiers chapitres du roman sont placés sous l’égide de l’absence et du manque, financier, intellectuel mais surtout affectif. Enfant contrainte de quitter le noyau familial dès l’âge de dix ans, cette dernière est alors présentée comme souffrant grandement de l’éloignement conséquent de son frère et unique confident, William. Fanny restera par ailleurs décrite comme ostracisée dans la large majorité du roman, de l’âge de 10 ans jusqu’à ses 15 ans (« Fanny had no share in the festivities of the season » 35), et ce jusqu’à ces 18 (où la scène d’abandon dans la forêt de Sotherton devient emblématique de son exclusion générale, synonyme d’absence de communication : « she began to be surprised at being left so long, and to listen with an anxious desire of hearing their steps and their voices again », 100). La primauté du sentiment d’isolement et son association irrémédiable avec l’absence de partage langagier se font ressentir jusque dans la scène de retrouvailles avec son aînéWilliam :

Once and once only in the course of many years had she the happiness of being with William. [...] Their eager affection in meeting, their exquisite delight in being together, their hours of happy mirth and moments of serious conference may be

101 N’oublions pas que l’héroïne se trouve non seulement loin de ses parents, mais qu’elle est également loin d’être au centre des préoccupations de ses deux chaperons Mr. et Mrs. Allen. L’abandon de ce dernier, couplé à l’absence de connaissances et de points de repères géographiques en ce nouveau lieu qu’est Bath est particulièrement patent lors du premier bal dans cette ville.

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imagined; as well as the sanguine views and spirits of the boy even to the last, and the

misery of the girl when he left her. (MP, 21)

On voit que l’allégresse des retrouvailles (« eager affection », « exquisite delight in being together », « happy mirth ») se traduit par des échanges langagiers fructueux (« serious conference »). Pourtant, c’est bien l’isolement et l’absence de communication générale qui ressortent de cette phrase pour Fanny. L’instance narrative, refusant de courir le moindre risque de faire oublier la solitude caractéristique de l’héroïne, escamote autant que faire se peut cette liesse et ce partage momentanés. Elle ne vient ni retranscrire directement ces échanges (« may be imagined »), ni en souligner la durée, s’évertuant au contraire à en accentuer la brièveté en usant d’un temps narratif largement inférieur (deux lignes) au temps diégétique de cette réunion (une semaine). Mansfield Park met ainsi en lumière cette limite langagière qu’est l’absence physique de compagne ou de compagnon avec qui échanger.

Ce constat se retrouve dans The Watsons, dont les résonnances avec Mansfield

Park sont frappantes. Emma Watson, séparée de sa famille pendant quatorze ans, éduquée

par sa tante Jane, se voit effectivement rejetée à dix-neuf ans par cette dernière qui, après avoir perdu son époux, décide de suivre un capitaine irlandais, renvoyant Emma dans sa famille d’origine. Comme dans Mansfield Park lorsque Fanny Price, après une longue période de séparation, rejoint sa famille d’origine à Portsmouth où le sens de son ostracisation se fait prégnant, les retrouvailles entre Emma Watson avec sa vraie famille se soldent par un sentiment très fort d’isolement : « An absence of fourteen years had made all her Brothers and Sisters Strangers to Emma », (TW, 305-6). Cette aliénation est clairement envisagée dans l’absence d’échange langagier qu’elle induit (la communication entre eux étant définie comme « scanty », 280, à l’image de cet épisode où Emma se retrouve seule avec Mrs. Edward et sa fille : « some very languid remarks on the probable Brilliancy of the Ball were all that broke at intervals a silence of half an hour », 282). The Watsons diffère simplement des autres romans en ce que le pathos de pareille situation se trouve accru. Si Sense and Sensibilty, Emma et Mansfield Park

commencent et insistent sur ce bouleversement initial pour finir par le dépasser, The

Watsons, lui, s’ouvre sur un bal auquel va assister la nouvelle venue Emma, mettant au

contraire en exergue la thématique du lien social. La perte (de l’oncle, de la situation familiale et financière) n’est évoquée qu’à de rares occasions, petit à petit, jusqu’à ce qu’elle finisse par être détaillée et soulignée dans les deux dernières pages du roman,

71 centrés sur cette rupture (TW, 317-8). Parce que The Wastons se clôt sur ce terrible constat de la perte, la situation déplorable dans laquelle se trouve Emma paraît d’autant plus tragique qu’elle semble irrémédiable.

-Sourdes oreilles

Toutefois chez Jane Austen, les problèmes communicationnels ne trouvent pour autant pas de résolution lorsque les personnages cessent d’être isolés. Au contraire, les difficultés paraissent peut-être d’autant plus flagrantes dès l’instant que les personnages se retrouvent en petit comité. Car alors ce sont de véritables dialogues de sourds qui prennent place sous nos yeux.

Dans Persuasion par exemple, alors qu’après une longue séparation Anne Elliot retourne à sa famille (qui a entre temps déménagé à Bath) et se trouve enfin réunie à son père, sa sœur Elizabeth et leur jeune protégée Mrs. Clay, voici toute l’attention qu’elle reçoit :

They had no inclination to listen to her. After laying out for some compliments of being deeply regretted in their old neighbourhood, which Anne could not pay, they had only a few faint enquiries to make, before the talk must be all their own. Uppercross excited no interest, Kellynch very little, it was all Bath. (P, 90).

Le manque de coopération des trois allocutaires envers Anne est ici patent. L’absence d’écoute prime, alors même que l’attention aurait dû être maximale dans ce contexte de séparation préalable. Personne n’est désireux d’ouïr les nouvelles qu’elle a à communiquer d’Uppercross, et plus surprenant encore, du devenir de leur ancienne demeure pourtant si chère à leurs yeux quelques semaines auparavant. De surcroît, cette absence d’écoute – au départ unilatérale – se double du refus de la part d’Anne de répondre aux attentes de flatteries de sa famille. Les retrouvailles se soldent ainsi par un échec conversationnel double et définitif.

Ne se limitant pas à un couple d’individus en particulier, cette absence d’écoute se trouve largement généralisée dans Northanger Abbey. Personne ne semble écouter personne dans ce roman, qui regorge en effet d’oreilles on ne peut plus inattentives. À

72 Bath, Isabella Thorpe n’écoute pas plus sa meilleure amie que ne le fait son frère John102. Ce manque d’attention est encore plus marquant lorsque les personnages se retrouvent simplement à deux, face à face. Car c’est alors une véritable rupture du contrat langagier qui s’opère. Dans cette interaction conversationnelle entre deux instances énonciatives principales (l’une de production, l’autre d’interprétation), la seconde ne remplit clairement pas son rôle. Mrs. Allen ne prête ainsi aucune attention à ce que son amie Mrs. Hughes lui expose, alors même que la situation d’énonciation semble d’autant plus requérir de l’écoute que Mrs. Allen se trouve en effet être sa seule interlocutrice. Ainsi au volume I chapitre 9, alors que Catherine, ayant malencontreusement manqué Mr. and Mrs. Tilney, qu’elle désirait ardemment revoir, s’enquiert auprès de Mrs. Allen de sa rencontre avec eux, cette dernière ne peut rien lui apprendre :

“We met Mrs. Hughes, and Mr. and Miss Tilney [...] Mrs. Hughes talked to me a great deal about the family.”

“And what did she tell you of them?”

“Oh! a vast deal indeed; she hardly talked of any thing else.” (NA, 44-5)

Comme le laisse augurer cette réponse évasive, aux sonorités tautologiques presque programmatiques, “a vast deal indeed”, Mrs. Allen ne parviendra à restituer aucune information nouvelle et précieuse à Catherine dans la conversation qui s’ensuivra entre elles. Malgré la profusion des détails dans laquelle Mrs. Hughes est entrée, et à la grande déception de l’héroïne que cette conversation aurait intéressée au plus haut point, ses questions ne trouveront aucune réponse dans les propos de Mrs. Allen émaillés d’expressions irrémédiablement vagues : « I cannot recollect now » ; « I am not quite certain » ; « I cannot be quite positive about that my dear » (NA, 46).

Jane Austen ne s’arrête néanmoins pas là dans sa démonstration de l’existence d’un risque tangible d’échec conversationnel. Il est des cas où, pire encore, deux personnes présentées en situation d’échange non seulement ne prêtent aucune attention aux paroles de l’autre mais développent chacune leur propre sujet de leur côté. L’exemple du dialogue rapporté entre Mrs. Thorpe et Mrs. Allen, au volume I chapitre 4 de

102 Par exemple au volume I, chapitre 11, John Thorpe fait la sourde oreille à la requête de Catherine, puis à ses supplications lorsque celle-ci souhaite s’adresser à des amis croisés en véhicule (« “Stop, stop, Mr. Thorpe”, she impatiently cried, “it is Miss Tilney; […] Stop, stop, I will get out this moment and go to them. ” But to what purpose did she speak?—Thorpe only lashed his horse into a brisker trot») puis au volume II, chapitre 3 : « “My dearest Catherine,” continued the other (Isabella) without at all listening to her ».

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Northanger Abbey, véritable dialogue de sourds, est particulièrement frappant. Mrs.

Allen, ayant emmené l’héroïne Catherine Morland avec elle à Bath, n’a eu de cesse jusqu’alors d’émettre le regret de ne reconnaître personne et de n’avoir ainsi nulle amie avec qui converser. Le chapitre 2, décrivant le premier bal auquel assistent ces dernières, se concentre sur cette idée, répétée ad nauseam par Mrs. Allen : « I wish we had a large acquaintance here » (NA, 12). Pas moins de six occurrences de ce regret se retrouvent en moins de trois pages. Le paragraphe initial du chapitre 3 ne laisse aucun doute quant à la prégnance de ce sentiment d’isolement tant social que langagier : « The wish of a numerous acquaintance in Bath was still uppermost with Mrs. Allen, and she repeated it after every fresh proof, which every morning brought, of her knowing nobody at all. » (NA, 13). Lorsque, au chapitre 4, et alors que cette conscience de l’absence de liens interpersonnels semble avoir atteint son paroxysme, Mrs. Allen finit par rencontrer une ancienne connaissance, Mrs. Thorpe, le lecteur s’attend donc à voir ce manque d’échange social comblé par d’incessants bavardages féminins. L’échange langagier promet d’être d’autant plus long et riche que les deux femmes étaient à l’époque proches et qu’elles ne se sont pas vues depuis des années, ayant ainsi plus d’une décennie à couvrir.

Pourtant, les attentes du lecteur se voient rapidement court-circuitées car la conversation engagée prend rapidement la tournure de deux monologues simultanés :

Compliments on good looks now passed; and, after observing how time had slipped away since they were last together, how little they had thought of meeting in Bath, and what a pleasure it was to see an old friend, they proceeded to make inquiries and give intelligence as to their families, sisters, and cousins, talking both together, far more ready to give than to receive information, and each hearing very little of what the other said. (NA, 18)

Le plus frappant est peut-être qu’il y a échec à communiquer alors même que les messages possèdent une teneur informative réelle. Le problème dans ces cas est clairement l’absence de circulation de l’information. Celle-ci est comme doublement unilatérale, ce que souligne le passage suivant extrait du chapitre 5 :

[Mrs. Allen was] never satisfied with the day unless she spent the chief of it by the side of Mrs. Thorpe, in what they called conversation, but in which there was scarcely ever any exchange of opinion, and not often any resemblance of subject, for Mrs. Thorpe talked

74 Tout comme semble le laisser supposer la position des deux locutrices, assises côte à côte et non face à face, il s’agit plus d’une juxtaposition d’informations sans liens entre elles que véritablement d’une conversation (cum, avec, et versare : commercer, être en relation, puis passer d’un état à l’autre, c’est-à-dire changer d’avis à l’aide de quelqu’un). Le lecteur se retrouve ainsi confronté à de faux échanges, dans lesquels les deux interlocutrices ne semblent avoir pour point commun que leur inattention mutuelle.

-Logorrhées verbales : l’allocutaire effacé

Les dialogues peuvent alors laisser place à des monologues, véritables logorrhées verbales introduisant un nouveau risque : celui de l’effacement de l’allocutaire103.

Plusieurs personnages se montrent particulièrement volubiles dans les romans austéniens. L’on pense, dans Sanditon, à Lady Denham, noble et riche septuagénaire, régnant sur le village de Sanditon du haut de sa belle demeure, en véritable « Lady of Sanditon » (S, 331), tout comme elle semble vouloir régner dans les conversations : « Lady Denham like a true great Lady, talked and talked only of her own concerns, and Charlotte listened » (S, 353). Il est ainsi des cas où la domination linguistique se fait le reflet évident de la domination sociale et de l’égocentrisme de certains. La déférence de Charlotte Heywood trouve ici, si ce n’est une justification, du moins une explication dans l’infériorité du rang de cette dernière par rapport à celui de Lady Denham, ainsi que peut-être dans sa différence d’âge, une jeune femme de 22 ans devant faire preuve de respect envers une autre de près de 40 ans son aînée.

Les logorrhées verbales dans les romans austéniens ne sont néanmoins pas toujours la traduction d’une supériorité sociale ou d’un narcissisme sans frein, loin s’en faut. Le personnage de Miss Bates dans Emma, femme altruiste et généreuse, vivant pourtant très humblement, dépendant même dans une large mesure de la charité de ses

103 Susan Allen Ford a souligné l’importance des monologues dans Emma, pour leur assigner deux fonctions. L’une, sur laquelle elle insiste, de dissimulation (« language designed only to conceal and deceive ») ; l’autre, que nous voudrions développer et dont nous voudrions montrer qu’il est présent dans d’autres romans, d’effacement : « Despite all the chatter, Emma reveals an utter absence of communication, a society of speakers, each so comically absorbed in self-centered concentration as to exclude even the slightest awareness of the concern of others. », Susan Allen ford, Imperfect Articulations: Language and Structure in Jane Austen’s Novels, Michigan, University of Micfrofilms International, 1989, p. 152 et 151 respectivement.

75 voisins depuis la mort de son époux, témoigne elle-aussi de cette logomachie. Alors que l’héroïne éponyme se trouve avec sa protégée, Harriet Smith, dans un magasin de Highbury, l’arrivée de Miss Bates et de Mrs. Weston est décrite comme suit : « Voices approached the shop—or rather one voice and two ladies » (E, 185). La réification de Miss Bates (décrite avant tout comme une « voix ») se conjugue à l’antithèse numérique (« one voice », « two ladies ») pour souligner avec force non seulement la prépondérance de la voix de Miss Bates, mais également le caractère excessif du flot de paroles déversées. Cette fois le problème semble s’être aggravé, car ce ne sont plus deux voix, mais bien une seule qui se fait entendre. Miss Bates ne laisse aucun temps de parole à Mrs. Weston, pas plus qu’elle n’en laissera par ailleurs à Emma et Harriet après leur rencontre. Les six pages du roman qui s’ensuivent directement seront en effet dédiées intégralement au discours quasiment ininterrompu de Miss Bates. Autrement dit, plus personne ne fait même plus mine de dialoguer, l’autre est totalement effacé des préoccupations du locuteur, la prolixité discursive se fait destructrice de tout véritable échange social.

L’analyse d’un passage, extrait du chapitre 23 de Persuasion, mettant en scène la particularité de l’interaction conversationnelle entre Mrs. Musgrove et Mrs. Croft, vient confirmer les perspectives ouvertes à l’instant, dans le même temps qu’elle permet de les prolonger. L’échange langagier entre les deux femmes présente trois failles principales. Il y a tout d’abord rupture du flot conversationnel et logorrhée verbale, la locutrice