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2.3. Mettre en relation le discours et la matérialisation des projets & leurs devenirs projets & leurs devenirs

2.3.2. Décrire des scénarii prospectifs

Pour mettre en perspective les travaux de cette thèse, la démarche prospective présente un grand intérêt à condition d’en faire un usage prudent et averti. Pour Michel Godet, il ne s’agit pas de sombrer dans le déterminisme mais de prendre le temps d’une analyse de plus long terme :

« C’est en raison du défaut d’anticipation d’hier que le présent est encombré de questions, hier insignifiantes, mais aujourd’hui urgentes qu’il faut bien régler vite, quitte à sacrifier le développement à long terme en installant d’illusoires coupe-feux. » 358

La prospective est utilisée sur des questionnements et des échelles très vastes comme le territoire européen, français ou encore le transport aérien. L’environnement et la nature, la biodiversité, la croissance des territoires urbains soulèvent des inquiétudes concernant la remise en cause des services écosystémiques et la difficulté à créer un cadre de vie équilibré. L’association « Prospective 2100 » a animé un programme intitulé « structuration des villes » dans le cadre de sa thématique « prospective urbaine »359. Nous y trouvons une réflexion qui tient compte d’une forme de systémique récurrente liée au besoin d’organisation des sociétés face aux éléments naturels :

« Ce sens, c’est celui de la Techno-Nature. Il est dans la vocation de l’espèce humaine d’exporter son ordre intérieur, de l’imprimer dans l’environnement. Ce faisant, il remplace la Nature par un Techno-Nature, placée sous son contrôle, exprimant au dehors les schémas de son esprit. L’agriculture fut le premier mouvement de domestication et de mise en ordre de la Nature. On sème en ligne. Au fil des millénaires, l’ordre humain se répand. Désormais, nous sommes bien plus entourés de Technique que de Nature. »

En parallèle, au sein de « Prospective 2100 », le programme Jardin Planétaire un temps dirigé par Hervé Bichat, montre la perte progressive d’espaces de biodiversité malgré le succès de certains efforts de préservation d’espaces à caractère naturel au point de proposer une « législation mondiale » :

« La grande richesse de la vie, la diversité du patrimoine écologique, doit être préservée. Bien plus, l’Homme doit constater qu’étant désormais maître de la Nature, il en assume aussi la responsabilité. Il est le gardien de la vie. Il a le pouvoir de la supprimer, mais aussi celui de la préserver et de l’enrichir »

A l’échelle française, en 2001, dans un entretien pour le journal Les Echos, Maurice Wintz, vice-président de l’association France Nature Environnement déplorait que « La France n’a pas de réflexion prospective sur la nature »360. Cependant, depuis 2009, la Fondation pour la recherche sur la Biodiversité a travaillé sur ce thème. Le rapport de prospective scientifique publié en 2013 constate les difficultés à modéliser cet objet dont les réponses aux modifications contextuelles sont très incertaines361 et les données difficiles à exploiter (incomplètes, relevés hétérogènes)362. En 2015, une autre de ses études synthétisait les enjeux en ce termes :

358 Hatem F., préface de Godet M., (1993) La Prospective, pratiques et méthodes, Economica, 373p, page 9. 359Programme animé par Lefebvre F., thématique dirigé par Cecutti N.

360 Propos recueillis par Anne Bauer et Dominique Chapuis - Les Echos | Le 10/07/2001 361 FRB, Prospective scientifique pour la recherche française sur la biodiversité, 2013. Page 69. 362 Ibi 361, page 76.

« L’ensemble des questions et enjeux évoqués dans cette prospective a mis en lumière qu’il est plus que jamais nécessaire, pour mieux protéger la biodiversité et l’utiliser de manière durable, d’associer les connaissances sur les systèmes écologiques avec celles concernant les systèmes humains, notamment la gouvernance, les interactions entre les parties prenantes et leur participation aux processus de décision et de gestion. Il est désormais acquis que gérer séparément ces systèmes imbriqués s’avère la plupart du temps inefficace pour la protection de la biodiversité. La gouvernance (quels sont les systèmes de valeurs, les règles d’accès, les normes ? quels sont les acteurs et leurs institutions : qui décide ?) et les modes de gestion des ressources (les usages, les techniques, les pratiques) jouent un rôle crucial pour la réussite des actions de conservation et de valorisation économique de la biodiversité. (…) La prise en compte dans la modélisation des rétroactions entre différents phénomènes, de la résilience des systèmes, de leur potentiel d’adaptation, mais aussi de l’analyse des conflits, des jeux d’acteurs et de l’acceptabilité sociale des actions de conservations de la biodiversité reste cependant un défi à relever. »363

Notre intuition, au regard de ces références et des résultats obtenus par les méthodes présentées tout au long de ce chapitre, est que l’un des enjeux de ce défi est de s’intéresser au devenir d’espaces à caractère naturel à l’échelle du quartier. Cela permet finalement d’accentuer la démarche jusqu’à chaque parcelle de nature présente malgré une forte fréquentation humaine et de davantage toucher à l’opérationnel. Il est ainsi possible d’accéder à des éléments de réponse aux questions posées dans la citation ci-dessus.

Au préalable, il convenait de respecter les exigences de la prospective pour ainsi imaginer une forme utile de modélisation qui puisse aider aux décisions politiques et techniques.

Pour aborder les méthodes de prospective, nous avons d’abord observé « les règles d’or du bon prospectiviste » de Michel Godet et Peter Schwartz364 pour les transposer sur notre démarche :

Tableau 40 : transposition des "règles d'or du bon prospectiviste" à la démarche de la thèse

D’après Michel Godet et Peter Schwartz Pour notre méthodologie et sur la prise en compte de la nature dans les aménagements

Se méfier des idées reçues ; faire preuve en permanence d’esprit critique et de vigilance.

Qualité indispensable à toute méthode de recherche…

Lire, s’informer, voyager, afin de connaître des situations de « challenge ».

Nous nous sommes intéressés à des projets d’aménagement et à des contextes très variés pour élargir les références et mieux prendre du recul sur les cas étudiés. Avec, soit des situations de pression urbaine ou d’organisation politique non comparables mais dont les solutions de sauvegarde des espaces à caractère naturel peuvent sembler pertinentes, soit des contextes géographiques proches où des projets novateurs se mettent en place.

363 FRB, Prospective scientifique pour la recherche française sur la biodiversité, 2015,

S’entrainer à détecter les « signaux faibles » porteurs de changement ; faire régulièrement le point des changements scientifiques en cours ou potentiels à travers des lectures appropriées ; réfléchir sur des idées nouvelles, non orthodoxes ; prêter attention aux évènements susceptibles de modifier les perceptions, en révélant un problème préexistant mais non encore identifié.

Nous avons suivi les publications scientifiques à la fois sur la nature en général et sur ce qui touche à l’urbanisation ou à la gestion urbaine. Par exemple, en lisant la synthèse trimestrielle des publications (internationales) scientifiques éditée par Plante et Cité et en suivant les lettres d’information des laboratoires.

Nous avons été en alerte sur les pratiques courantes et les pratiques originales, parfois controversées, en matière d’espaces verts urbains. Nous avons participé à des analyses sur des outils démocratiques numériques et nous avons fréquenté quotidiennement différents espaces verts urbains, dans le Grand Ouest Français, en Espagne et au Maroc. Enfin, les nombreux documentaires de vulgarisation sur les pratiques urbaines ont, autant que possible, été observés.

Dépasser ses centres d’intérêt et de spécialisation habituels. S’intéresser aussi bien aux évolutions techniques qu’aux changements de valeurs ou aux perspectives économiques et financières ; ne pas s’enfermer dans une spécialité étroite.

Avoir une vision d’ensemble plus générale : Ce qui fut peut-être un handicap au départ pour recentrer le sujet de cette thèse, s’est avéré très utile pour la démarche prospective. La méthodologie thématique sur les contraintes et les leviers, associée à la réflexion sur le positionnement des Acteurs, a élargi la démarche aux domaines économique, humain, horticole, etc.

Chercher à entrer en contact avec les personnalités remarquables ; participer à des colloques, des séminaires, des groupes de réflexion ; écrire aux auteurs de talent ; entretenir avec eux un échange permanent.

Nous n’avons pas toujours eu de réponse des personnalités mais nous avons pu échanger régulièrement avec des militants associatifs, des politiques, des écologues, des architectes et paysagistes expérimentés et reconnus, des chercheurs sur les questions de biodiversité urbaines etc. Plusieurs colloques et séminaires sur le paysage, la biodiversité, l’agriculture urbaine ou encore l’espace public, ont également été sources d’inspiration.

Rester à l’écoute des milieux marginaux : groupes scientifiques situés hors de l’establishment, art alternatif, nouvelles formes d’expression musicale populaire… Ecouter les femmes, les vieux, les jeunes, les jeunes, les personnes de couleur, les chômeurs, les non diplômés, bref tous ceux qui peuvent exprimer une vision du monde différente de celle de l’homme blanc adulte dominant.

Notre quotidien et notre entourage ne se résument pas à des personnes passionnées de nature urbaine et scientifiques dans. Cela nous rappelle au quotidien que tout le monde n’a pas le même souci de la nature et/ou la même image, les mêmes attentes, les mêmes priorités. Nous avons croisé sur le terrain et lors d’animations de quartier mères au foyer, maçons, femmes de ménage, comptables, migrants, anarchistes, musulmans, bouddhistes, coptes, protestants, traders, enseignants, etc. Cette diversité reste un atout, bien que nous ne catégorisions pas au quotidien notre entourage.

Chercher par la réflexion prospective à éclairer l’action locale concrète, tout en la replaçant dans le contexte global.

L’idée est bien de replacer les espaces à caractère urbain dans leur contexte et d’ouvrir plusieurs scénarios en fonction des contraintes et des leviers observés, pour éclairer les décisions de gestion future ainsi que les futurs aménagements similaires.

Ensuite, l’objectif est de trouver la bonne méthode de prospective en fonction des données dont nous disposons et des besoins en termes de préconisations et de transmission de ces dernières. Pour cela, les approches « forecasting » et « backcasting »365 ont été combinées. Il s’agit de s’appuyer sur des faits passés et l’observation de la situation actuelle pour formuler des prévisions sur le devenir des espaces (« forecasting ») tout en imaginant étape par étapes, ce que pourrait être le processus de transformation des lieux (« backcasting »). La première s’appuie sur les discours et les observations de terrain pour faire émerger des tendances morphologiques des espaces à caractère naturel que nous avons observés. En 4 ans, ces micro-entités paysagères ont déjà évolué. Cela permet de proposer des tendances rationnelles sur leur devenir. La seconde approche ajoute à cette acculturation des ruptures possibles au regard des évolutions culturelles, politiques et techniques et offre la possibilité de renouveler les regards des lecteurs potentiels de ce travail sur les composantes paysagères en ville.

La traduction de ces approches s’opère dans la conception de scénarios à l’aide de la méthode de Michel Godet basée sur 7 étapes pour parvenir à « « un ensemble cohérent formé par la description d’une situation future et du cheminement qui permettent de passer de la situation d’’origine à la situation future. »366

365 Jungermann H., (1985), « Inferential processes in the construction of scenarios. », J. Forecast., 4: 321–327. doi: 10.1002/for.3980040402

Diagramme 5 : Schéma des étapes de réflexion prospective

Sélectionner des futurs possibles et Construire des scénarios (des cheminements, des images…) pour proposer des actions stratégiques.

L’intérêt de cette méthode pour l’analyse de la prise en compte de la nature est de compléter le regard sur le processus d’aménagement. Il s’agit de projeter ces espaces urbains à caractère naturel urbain, qui ont déjà subis des contraintes ou bénéficiés des leviers que nous avons observés depuis la conception jusqu’à la livraison des quartiers. Pour cela, la prospective selon les préconisations de Michel Godet, est appliquée à l’échelle de la typologie d’espace qui s’est dégagée

Délimiter un système et Identifier les variable clefs

Dégager des hypothèses fondamentales sur les variables clefs et les jeux d’acteurs

des documents projet, des terrains et des entretiens, décrits dans la partie précédente (2.1. et 2.2.). Les espaces sont mis en perspective par une approche formalisée qui s’appuie sur des facteurs repérés comme influents ou précurseurs de changements de paradigme. Cette approche s’appuie également sur la grille de lecture des jeux d’acteurs présenté dans la partie précédente « La capacité collaborative des systèmes d’acteurs : travailler avec les autres ? » (2.2.4.) en prenant comme point de départ l’espace qui a été livré. Ce travail présente des situations sélectionnées en fonction de la précision des informations qui ont pu être relevées pendant nos trois ans d’observation et d’échanges avec les acteurs. Il permet d’aboutir à une typologie de cheminements clefs qui peuvent être représentatifs des processus de conception et du devenir des espaces urbains à caractère naturel. Chaque type d’espace végétalisé est ainsi schématisé de façon technique (dessin) selon différents chemins conçus en fonction des facteurs. Cette démarche est complétée par une approche littéraire, pour faire le récit des choix stratégiques et des jeux d’acteurs impliqués dans l’évolution de ces composantes de la Trame Verte Urbaine.

Conclusion (2.) : Dérouler une vision d’ensemble du projet