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I. LE QUARTIER DE L’ARIANE A NICE : UN CAS D’ESPECE DU

I.2. L’Ariane sous toutes ses coutures

I.2.1. Le décor et l’envers du décor

Bien que faisant pleinement partie de la ville, le quartier de l’Ariane est totalement absent des présentations officielles de Nice. Pas un mot de ce quartier dans le guide pratique de la ville distribué par l’office du tourisme et des congrès. L’Ariane ne figure même pas sur le plan qui l’accompagne puisque celui-ci est coupé, au nord, au niveau de l’échangeur Nice-Est de l’autoroute, c’est-à-dire à la frontière sud du quartier. Les archives municipales de Nice n’ont pas plus d’informations sur cette partie de la ville qui abrite pourtant presque 15 000 habitants. Rien non plus du côté de la bibliothèque municipale qui accueille dans ses murs un fond local très conséquent sur l’histoire, l’architecture et les fêtes et traditions populaires niçoises. Rien enfin en librairie où les nombreuses publications consacrées à la vie locale sont tournées vers les aspects historiques, culturels et architecturaux de Nice sans jamais porter le moindre intérêt sur les questions sociales qui travaillent certains secteurs de la ville.

Ainsi, le quartier de l’Ariane est radicalement exclu de l’image de Nice que donnent les acteurs institutionnels investis de la présentation officielle de la ville. Ceux-ci mettent l’accent sur sa façade touristique — les places, la promenade des Anglais, la vieille ville, les musées, etc. —, et occultent la politique de développement social des quartiers périphériques que d’autres villes de France ont choisi de mettre en avant pour redorer leur image à l’extérieur. L’Ariane n’existe pas, ni en bien ni en mal. Ce quartier semble être à des milliers de kilomètres de la

ville prestigieuse, lumineuse et culturelle que dépeint le guide pratique de Nice dans son éditorial :

« En arrivant par avion sur cet aéroport légendaire de Nice-Côte d’Azur

construit sur la mer, où les plus grandes stars internationales ont fait

crépiter des milliers de flashs, on comprend mieux la situation unique de

cette ville, lovée entre ses collines et nichée dans l’incomparable écrin

de la Baie des Anges.

« Vous découvrez émerveillés les jardins fleuris de la colline du Château

et de la place Massena, les architectures majestueuses des grands hôtels

et la Promenade des Anglais. Nice vous accueille, à la fois élégante et

populaire, rieuse et animée, fière de son passé d’indépendance. Vous

pensiez surtout à la douceur du climat et à la beauté des sites, vous

n’aviez pas tort. Mais la ville va aussi vous étonner par sa personnalité,

son dynamisme, son animation de jour comme de nuit et sa passion pour

les arts et la culture. Savez-vous par exemple qu’après Paris, c’est la

ville qui compte le plus grand nombre de musées ? »

Cette image d’une Côte d’Azur immaculée s’exprime également, de manière plus normative, dans les réactions de l’ancien maire de Nice, Jean-Paul Barety, au moment du drame qui s’est déroulé à l’Ariane en janvier 1995 et qui entraîna la mort d’un fonctionnaire de police (voir supra). Son message consiste à réaffirmer officiellement l’image d’une « ville touristique » constituée de « beaux quartiers » où il ne peut y avoir de « mauvais quartiers » :

« Nice est une ville touristique. Je ne veux pas qu’on vienne me casser le

climat. Ici, pas question de bons ou de mauvais quartiers. Il faut des

beaux quartiers »249.

Ainsi, le quartier de l’Ariane n’existe pas et ne peut exister sans venir ternir l’image d’Epinal de la Baie des Anges. Il représente l’envers du décor, « L’autre Nice » comme le titrait le journal Le Monde. Quelques mois plus tard, à l’occasion d’une opération de police menée dans le quartier, l’A.F.P. titrait l’une de ses dépêches « L’Ariane : un ghetto à l’ombre des palaces niçois » et présentait ce quartier de la manière suivante :

« Derrière la façade dorée et accueillante de la Promenade des Anglais,

Nice a rejeté au nord de la ville ses communautés étrangères dans une

zone populaire où la réalité quotidienne fait oublier le soleil qui inonde

la Côte d’Azur. »250

Les propos tenus par le nouveau maire de Nice, Jacques Peyrat, dans la revue

Région citoyenne, concernant le contrat de ville et le classement de l’Ariane en

« zone franche », confirment cette volonté de tenir ce quartier bien à l’écart de la présentation officielle de la ville par les acteurs qui en ont la charge : « Les métastases ne doivent pas dépasser le boulevard Pasteur » (artère intermédiaire entre l’Ariane et le centre-ville). Comme le souligne alors l’auteur de l’article, « la métaphore médicale suggère bien l’idée que les logiques d’exclusion les plus violentes sont admises et qu’il convient de les contenir dans un territoire

géographique identifié »251. Ce territoire, dont la frontière occidentale est

249 Libération, 4 janvier 1995, article d'Alain Leauthier ; et Le Monde du 5 janvier 1995,

« L'Autre Nice ».

250 AFP, 25 août 1995, 15:02 GTM.

symboliquement matérialisée par le boulevard Pasteur, est celui des quartiers populaires de la ville (Riquier, Pasteur, Saint Roch, Bon Voyage et l’Ariane tout au nord), traditionnellement ancrés à gauche et particulièrement touchés par la crise de la société industrielle et par le phénomène d’exclusion sociale qui en résulte. Dans un roman où il raconte la vie des travailleurs immigrés dans ces quartiers est de Nice, Raynal décrit bien cette fracture spatiale entre une ville blanche, fastueuse, et son envers, d’autant plus miséreux que la façade est magnifique. « Nice-Est, écrit-il, c’est l’envers de la ville blanche. Ni palmiers, ni lauriers-roses mais des usines et des cités glauques : un quartier-ghetto »252.

L’Ariane symbolise donc tout particulièrement cet envers du décor faste de la Côte d’Azur, le lieu où sont regroupés tous ceux qui pourraient ternir l’image folklorique du Nissa la bella. L’histoire du peuplement de ce quartier est le reflet de cette réalité urbaine. Depuis les tous premiers temps de son urbanisation, l’Ariane fut destiné à accueillir ceux qui ne pouvaient plus être logés en ville en raison, disait-on alors, du manque de place. Ce furent d’abord quelques ouvriers d’usines, puis quelques habitants qui furent délogés de la vieille ville au moment de sa réhabilitation dans les années 50. Ce furent également les Gitans que l’on ne voulait plus voir rôder dans le centre-ville, puis les rapatriés d’Algérie qui arrivèrent en masse dans les années 60. Ce furent pour finir les nombreuses familles maghrébines que l’on cherchait à repousser le plus loin possible au nord-est de la ville, aux confins des limites de la commune, en bordure du Paillon.

citoyenne, n° 5, 1996.