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Débats sur l’acceptation des travailleurs étrangers non-qualifiés

Avant la modification de la Loi sur l’Immigration, un débat fait surface autour de deux questions. La première concerne la régularisation des travailleurs clandestins. Il existe différents types de clandestins (fuhōzairyūsha 不法在留者)

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au Japon. Certains se sont rendus au Japon avec l’aide de passeurs et de documents falsifiés. D’autres se sont rendus au Japon avec un autre visa et ce dernier ayant expiré, se sont trouvés en situation irrégulière soit parce qu’ils n’ont pas pu le renouveler, soit parce qu’ils se sont rendus au Japon avec un visa de courte durée et qu’ils sont restés au Japon afin de travailler.

La deuxième question qui fait débat concerne la création d’un visa pour les travailleurs non-qualifiés. Dans les deux cas, les partisans furent très peu nombreux et leurs arguments gravitent essentiellement autour des bénéfices économiques que ces travailleurs peuvent potentiellement engendrer. Les opposants bien au contraire sont légion au sein du gouvernement et des acteurs économiques majeurs qui eux suggèrent que ces travailleurs représentent, entre autre, une menace pour les travailleurs locaux.

i. Les arguments des personnes en faveur de l’introduction officielle de travailleurs étrangers non-qualifiés

Il est tout d’abord important de signaler que le visa pour les travailleurs non-qualifiés n’existant pas, cette catégorie de travailleurs fut automatiquement considérée comme illégale. C’est pourquoi dans cette partie, nous inclurons autant les arguments en faveur de la régularisation des travailleurs clandestins ainsi que ceux en faveur à la création d’un visa pour la main-d’œuvre non qualifiée.

Comme le gouvernement n'accorde le visa que pour des activités nécessitant une certaine qualification professionnelle, tout étranger qui s'engage dans un travail manuel ou peu qualifié est suspect d'être dans une situation illégale.81

Les partisans d’une régularisation des travailleurs non-qualifiés en situation précaire sont en infériorité numérique. Dans le gouvernement, seul le ministère de l’Economie (METI) adopte une attitude attentiste et s’abstient de donner son avis sur la question. Les personnes favorables à la régularisation des travailleurs dit illégaux sont bien souvent membres d’une instance internationale et énoncent des arguments pour plaider la cause des clandestins menacés d’expulsion82. Il faut noter que les différents partisans n’ont pas le même

positionnement sur la question.

81 R. ITO, « L’internationalisation sélective »..., op. cit. 82 S. SHIN, « Global Migration »..., op. cit.

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Selon HATSUSE Ryūhei83, le premier argument en faveur des travailleurs

non-qualifiés est d’ordre économique. En effet, ces derniers rapporteraient des bénéfices économiques autant pour le pays d’envoi que pour le pays d’accueil. C’est pourquoi ils demandent à ce que les travailleurs, bien souvent discriminés et exploités, soient protégés par la loi, d’autant plus qu’ils auraient émigré pour répondre aux fortes demandes du marché du travail japonais. De plus, selon eux, si les travailleurs en viennent à perdre leur travail, ils ne resteraient pas car le Japon ne serait pas un environnement accueillant pour les migrants inactifs et en situation irrégulière.

Cet argument est discutable, car comme nous l’avons déjà démontré, les travailleurs non-qualifiés viennent le plus souvent de pays en crise, le Japon reste une chance pour eux d’espérer de vivre dans de meilleurs dispositions. Par ailleurs, d’autres partisans, pour encourager le gouvernement à créer un visa pour les travailleurs non qualifiés, estiment que les travailleurs de pays en récession économique ne cesseront pas de migrer vers le Japon, quand bien même ils seraient en situation irrégulière. C’est pour cette raison qu’ils exigent que les migrants puissent travailler dans de meilleures conditions et cela passerait par une régularisation de cette main-d’œuvre. Ces travailleurs représenteraient aussi l’occasion de parachever le processus d’internationalisation lancé par le gouvernement NAKASONE dans les années 1980.

D’autres individus trouvaient un intérêt dans l’emploi de travailleurs étrangers non qualifiés, toutefois en situation précaire. Toujours selon HATSUSE,

les managers de PME à Tokyo avec qui il s’est entretenu lui auraient appris qu’il existe un très grand nombre d’avantages à recourir à de la main-d’œuvre clandestine.

Tout d’abord, il n’y avait pas de procédure à respecter lorsqu’il s’agit de clandestins. Et puis, ils acceptent de faire tous les métiers que les travailleurs japonais ne veulent plus faire, à des salaires très bas. Pour ces patrons, ces travailleurs en situation irrégulière, constituent plutôt une manne de main-d’œuvre plus malléable et moins coûteuse. Les managers ne sont donc pas en faveur d’une régularisation des travailleurs clandestins, mais en faveur de leur présence sur le

83 R. HATSUSE 初瀬, « Gaikokujin rōdōsha : Sōgo shugi no dōnyū 外国人労働-相互主議の導入

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territoire, leur situation précaire leur permet de profiter au mieux de cette main- d’œuvre.

ii. Les réfractaires à l’introduction officielle de travailleurs non-qualifiés au Japon

Le ministère du Travail (MLWH) ainsi que celui des Affaires étrangères (MOFA) sont parmi les opposants à l’introduction officielle de travailleurs non- qualifiés. Contrairement aux managers de Tokyo, le fait que cette main-d’œuvre soit peu coûteuse et facilement exploitable, constitue un argument clé pour s’opposer à leur introduction officielle dans le pays. En effet, par crainte de mauvais traitements à l’encontre de cette population, les deux ministères s’expriment publiquement contre l’admission officielle de main-d’œuvre étrangère non-qualifiée. Cette position ne prend pas en compte le fait que la création d’un visa pourrait éventuellement les protéger contre ces mauvais traitements.

Quant aux syndicats, ils affirment que cette main-d’œuvre représente une véritable menace pour les travailleurs japonais. De par leur faible coût et leur flexibilité, les travailleurs non-qualifiés participeraient à la détérioration des conditions de travail et des salaires des travailleurs locaux84. Selon TEZUKA

Kazuaki, d’autres raisons poussent le gouvernement à refuser ce type de main- d’œuvre : si les travailleurs étrangers non-qualifiés viennent à s’installer au Japon, il y aurait une hausse du chômage pour les jeunes diplômés japonais et il serait très difficile de faire repartir les étrangers chez eux menant ainsi à une instabilité sociale85.

D’autres acteurs économiques font partie des opposants. L’Association de l’Immigration au Japon (Nyūkan Kyōkai 入管協会) par exemple prédit une hausse des coûts pour la société tels que les frais liés à la sécurité sociale ou les coûts de l’éducation des enfants étrangers. Les plus grands syndicats du Japon ainsi que de grands groupes d’entreprises comme La Fédération Japonaise des Organisations Economiques (Keidanren 経 団 連 ) ou encore l’Association des Dirigeants

84 Ibid.

85 Kazuaki TEZUKA, « Foreign workers in Japan: Reality and challenges », Japan Labor Review, 2-4,

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d’Entreprises du Kansai (Kansai Dōyūkai 関 西 同 友 会 ) se sont également opposés à l’introduction des travailleurs étrangers non-qualifiés dans le marché du travail japonais86.

Le ministère de la Justice (MOJ) fut l’un des opposants le plus fervent ; plutôt que de créer un visa pour cette catégorie de travailleurs, il recommandait le renforcement du contrôle de l’immigration87.

Ce débat a eu un impact significatif sur les modifications apportées à la Loi sur le contrôle de l’immigration en 1989. Parmi les douze nouvelles catégories de visas créées, aucune n’existe pour les travailleurs non-qualifiés. Par ailleurs, plutôt que de régulariser la situation des travailleurs clandestins, les sanctions à leur encontre ainsi que les patrons qui les embaucheraient sans le visa requis sont d’autant plus strictes. Les sanctions contre l’entrée clandestine et le travail en situation irrégulière peuvent aller jusqu’à une pénalité d’au moins 2 millions de yen et de potentiellement trois ans de prison. Les travailleurs non- qualifiés sont donc officiellement recalés et sévèrement sanctionnés par la loi88.

Pourtant, malgré l’éclatement de la bulle dans les années 1990, la baisse de la population frappe toujours le Japon. Il est toujours confronté à une population de plus en plus éduquée qui refuse de pratiquer des métiers dangereux et dégradant, la main-d’œuvre étrangère non-qualifiée est donc toujours nécessaire. Puisque la position officielle est de refuser l’admission de travailleurs non- qualifiés, faute de créer un véritable visa pour cette catégorie de travailleur et faciliter la régularisation des travailleurs clandestins, le Japon se procure, de façon indirecte, de la main-d’œuvre étrangère non-qualifiée.

B. Introduction de main-d’œuvre non-qualifiée par la side door et promotion de

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