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Cultiver proximité et distance avec l’entreprise

D. Les stratégies d’accompagnement mises en œuvre et leurs effets

1. Les stratégies mises en œuvre par les intervenants de la recherche-

1.3 Cultiver proximité et distance avec l’entreprise

Ces interrogations sont d’autant plus présentes que les entretiens mettent en lumière l’importance des relations de proximité entre l’intervenant et l’entreprise qu’il accompagne. Abordant la constitution d’un binôme chercheur/chargé de mission ARACT pour intervenir dans une entreprise connue du second, le premier explique de manière explicite : « : « Il m’a laissé son terrain (…) c’est un peu la spécificité de l’ARACT, c’est leur terrain ». Cette phrase met en lumière ce qui constitue peut-être une face cachée de la stratégie de l’intervenant : l’empathie. Par empathie, nous désignons la démarche quasi ethnologique de l’intervenant qui va s’intégrer et vivre au rythme de l’entreprise de manière à mieux en « pénétrer » le fonctionnement. Au cours des entretiens, les

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intervenants évoquent en effet comment ils tentent de se fondre dans l’entreprise de mille et une manières. Certains parlent d’ailleurs de l’intervention comme d’une immersion.

Objectifs visés : Intégrer au fonctionnement de l’entreprise le projet TMS, à la vitesse qu’ils ont à conduire des actions. Intégrer la démarche en utilisant les outils qu’ils ont l’habitude d’utiliser. Ex : questionnaires informatisés. Extrait d’un journal de bord.

En premier lieu, ils appuient leur proposition d’intervention sur une première compréhension de « là où l’entreprise en est » : les rencontres lors des négociations, les visites du site, quelques entretiens permettent de prendre le pouls et d’imaginer le chemin sur lequel il est possible d’emmener les différents acteurs.

« On a dû avoir deux rencontres, de plus d’une grosse demi-journée, l’une plutôt des explications, et la deuxième on a fait une visite du site et une discussion avant de faire la proposition, qui a encore fait l’objet d’une discussion. On fait une proposition qui est axée sur une formation-action (…) il y avait l’idée qu’une intervention forcément un peu lourde allait se mettre en place parce qu‘il y avait une demande qui était forte, l’entreprise était grosse mais aussi des acteurs qui étaient déjà sensibilisés à l’ergonomie, le médecin du travail, l’infirmière. (…). Ils avaient des ressources très importantes et donc du coup on n’allait pas se poser en experts. Je crois que c’est ça qui nous a conduit à réfléchir à une formation-action. » Extrait d’entretien

Le recueil de données est un autre moment où l’intervenant va développer sa capacité d’empathie envers les différents acteurs. Lors des observations, des entretiens, il se montre ouvert, attentif, à l’écoute. En allant parler avec les gens, en ayant pour intermédiaire des personalités reconnues (par exemple un membre du CHSCT opérateur) l’intervenant va progressivement gagner la confiance des uns et des autres. Les temps informels sont alors essentiels. Dans telle intervention, ce sont les retours en voiture avec un des membres du groupe de travail qui ont pu désamorcer les réticences de certains. Dans telle autre, on profite des repas dans le restaurant d’entreprise.

« On est appuyé parce qu’on a fait un travail d’approche auprès du cadre supérieur (…) et après c’est des contacts avec les services techniques ». Extrait d’entretien

Cette mise en confiance des acteurs est fondamentale car elle permet de les enrôler dans le projet, d’évoquer les craintes de manière plus spontanée, de déceler des blocages inattendus. Ils permettent également à l’intervenant d’accélérer son apprentissage du langage de l’entreprise. Car c’est également une condition de son intégration : savoir trouver les mots justes c’est-à-dire à la fois ceux que tout le monde comprendra et pourra s’approprier, ceux qui renverront à leurs expériences singulières, ceux enfin qui ne blesseront pas au risque du conflit ou pire du retrait.

Commentaires de l’intervenant : Les acteurs sont en demande d'actions à court terme et sont en difficultés pour se projeter dans un programme à long terme. Le rappel des objectifs de groupe et de la charte est important à rappeler à chaque réunion, ainsi que le rôle de chacun (maître d'œuvre, maîtrise d'ouvrage) entre le groupe de travail et le comité de pilotage. Besoin de rappeler le fonctionnement du groupe : "laisser sa casquette sur la table". Extrait d’un journal de bord

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Cette proximité avec l’entreprise permet à l’intervenant d’être réactif, et de mener son intervention au rythme de l’entreprise. Or nous avons vu combien les pulsations sont irrégulières, le projet peut s’éterniser avant de soudain s’emballer et là encore l’écoute dont fait preuve l’intervenant lui permet d’être opportuniste. Dans un couloir il apprend le démarrage d’un projet de conception alors que depuis plusieurs mois le service santé avec lequel il échange s’enlise dans la construction d’indicateurs : il contacte les personnes concernées et en quelques jours s’insère dans la conception du nouvel atelier.

Cette proximité avec l’entreprise apparaît en outre comme un élément de satisfaction dans le travail d’intervenant. Partager des tranches de vie, comprendre l’activité de travail, la souffrance ou tout simplement participer à une aventure sont des moteurs du dynamisme de l’intervention. Le registre de l’émotion semble d’ailleurs faire intégralement partie du vécu courant de l’intervenant, qu’il s’agisse de sa propre émotion ou de celle de ses interlocuteurs comme ce comité de pilotage où un membre s’effondre en larmes en entendant l’intervenant restituer l’histoire de l’entreprise et égrener la longue liste des projets de prévention inaboutis.

« Ca repose beaucoup sur ta motivation ? Oui, oui (…) et puis je crois l’intérêt des gens qu’on arrive à toucher sur le terrain (…) les gens qui acceptent d’être dans les groupes de travail, qui sont hyper motivés, qui sont adorables, enfin c’est un vrai bonheur »

Extrait d’un entretien

Proche de l’entreprise, l’intervenant n’en garde pas pour le moins une distance « bienveillante » envers ses acteurs. L’exigence d’équidistance envers tous les membres de l’entreprise – que sous-tendent tout à la fois son éthique, sa recherche d’efficacité et son statut, particulièrement dans le cas des chargés de mission ARACT – l’amène à construire une position à la fois proche et lointaine que les intervenants vont veiller à conserver tout au long de l’intervention en dépit des difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Une direction « trop » enthousiaste et « aux côtés » de l’intervenant peut inhiber le discours de certains opérationnels. Un agent de maîtrise peut s’interposer comme intermédiaire privilégié et « empêcher » la rencontre avec d’autres. A contrario une trop grande familiarité perçue avec des opérateurs peut conduire à des préjugés à l’égard de l’intervenant et rendre plus difficile son dialogue avec la direction. Nous touchons ici un aspect de l’intervention que nous devons traiter à part entière : les situations où l’intervenant se trouve pris dans les jeux d’acteurs.