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III. Les hormones stéroïdes et leurs récepteurs

6. Cas particulier du mode d’action d’ERα36 dans les tumeurs hormonosensibles

6.1 Croissance et progression tumorale

La présence du récepteur ERα36 est indépendante du statut ER des tumeurs mammaires: il est

retrouvé dans environ 50% des tumeurs ER+ et ER- (Lee et al., 2008; Shi et al., 2009). ERα36 est

impliqué dans le contrôle de la croissance cellulaire, la prolifération et la différenciation comme

nous le développerons par la suite, d’où son rôle important dans la carcinogénèse et la progression

tumorale. In vitro dans une lignée de cellules épithéliales mammaires immortalisées (MCF-10A)

l’expression de ce récepteur n’est pas détectée (Rao et al., 2011).

Au début de ma thèse, peu de données étaient disponibles sur les mécanismes amont qui contribuent

à la régulation de l’expression de l’activité d’ERα36. In vitro, la surexpression de ERα66 et/ou

ERα36 après transfection de cellules HEK293, montre que le domaine AF-1 d’ERα66 agit comme

un régulateur négatif sur l’activité du promoteur d’ERα36, et ce, même en absence d’œstrogènes

(Zou et al., 2009). De même, d’après Wang et collègues (2006), ERα36 serait un régulateur négatif

de la signalisation des œstrogènes médiées par les domaines AF-1 et AF-2 d’ERα66 et ERβ (Wang

et al., 2006). Il apparaît également que les niveaux d’expression d’ERα66 et ERα36 sont

inversement proportionnels dans plusieurs lignées cancéreuses mammaires : les cellules MCF-7

expriment fortement ERα66 et peu ERα36 alors que la lignée MDA-MB-231 n’exprime pas ERα66

mais seulement ERα36 (Hevir et al., 2011; Rao et al., 2011). Ainsi il y aurait un antagonisme entre

les expressions d’ERα66 et ERα36 dans les cellules cancéreuses mammaires. Les mécanismes en

jeu ne sont, pour l’heure, pas clairement définis, néanmoins il semblerait que le variant ERα36

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bloque l’activité d’ERα66 en se liant à lui et en le séquestrant dans le cytoplasme (Wang et al.,

2015).

Le récepteur ERα36 est présenté comme étant un régulateur phare de la voie non génomique des

œstrogènes, néanmoins il est décrit qu’il agirait en collaboration avec d’autres médiateurs

cellulaires (Schwartz et al., 2016) : par exemple, le récepteur membranaire GPER qui, tout comme

ERα36, n’est pas pris en compte dans le diagnostic clinique des tumeurs mammaires. Sa présence

dans environ la moitié des cancers du sein ER- pourrait en partie expliquer les mécanismes

déclenchés lors de la résistance aux traitements antinéoplasiques (voir dans le 6.2) (Filardo et al.,

2006). Kang et collègues ont montré en 2010 que GPER agirait comme partenaire d’ERα36 afin

de médier l’activité non génomique du récepteur. De plus, GPER est aussi inducteur de l’expression

d’ERα36 en réponse à l’E2 (Kang et al., 2010). Au laboratoire, il a été décrit dans un modèle de

cellules séminomateuses traitées à l’E2 que l’expression d’ERα36 était modulée par le récepteur

GPER et avait dans ce contexte un effet positif sur la prolifération cellulaire (Wallacides et al.,

2012).

Pour ce qui est des voies de signalisation non génomiques activées par ERα36, il est décrit qu’en

présence d’œstradiol, le variant de récepteur α aux œstrogènes active différentes voies de

signalisation via des interactions protéines/protéines, ce qui conduit à des effets physiologiques

rapides. Ainsi, dans les cellules « triple-négatives » de cancer du sein HCC38, l’activation de la

voie PI3K/AKT/PKC provoque (i) grâce à une libération de Ca2+ depuis le réticulum

endoplasmique lisse, une inhibition de JNK et par conséquent une inactivation de la cascade

apoptotique, (ii) une phosphorylation des MAPK ERK1/2 et (iii) la stimulation de l’expression des

facteurs métastatiques SNAIL1, CXCR4, RANKL concomitante de la perte d’expression de

l’E-cadhérine conduisant à une augmentation de la survie, de la prolifération et du potentiel

métastatique (Chaudhri et al., 2012; Heldring et al., 2007; Schwartz et al., 2016). Zhang et

collègues ont montré en 2011 dans les cellules ER- MDA-MB-231 et MDA-MB-436 que le

complexe EGFR/Src/Shc était aussi impliqué dans cette voie non génomique médiée par ERα36

avec un effet positif sur la croissance tumorale (Rao et al., 2011; Zhang et al., 2011). EGFR est

spécifiquement phosphorylé par Src au niveau du résidu Y845 en présence d’œstrogènes. De plus,

Src change d’état en fonction du résidu tyrosine phosphorylé : cette protéine est activée lorsqu’elle

est phosphorylée sur le résidu Y416, et inactivée par phosphorylation du résidu Y527. Cette voie

Figure 33 : Signalisation déclenchée par le variant ERα36

Le complexe ligand-récepteur ERα36 induit la signalisation non génomique dépendante des

œstrogènes en partenariat avec EGFR et HER2. La transduction du signal passe par différents

médiateurs décrits plus précisément dans le texte, ce qui aboutit à la transcription de gènes

cibles caractéristiques de la prolifération, de la migration et de l’invasion cellulaire(Wang and

Yin, 2015)

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passe aussi par une induction de STAT5 qui agit comme facteur de transcription en se fixant sur

une séquence consensus GAS du promoteur de la cycline D1 (Zhang et al., 2012b). Ces

observations ont été complétées en 2014 par la même équipe, qui décrit en parallèle d’une

activation des ERK, une induction de l’expression d’ERα36, en présence d’œstradiol dans des

cellules ERα66+ de haut passage (MCF-7) (Zhang et al., 2014). Le variant ERα36 est présenté

comme étant le récepteur aux œstrogènes responsable de la médiation de la signalisation

MAPK/ERK. Chaudhri et collègues expliquent par ailleurs que le phénomène de migration et

d’invasion œstradiol-dépendant est bloqué en présence d’un inhibiteur de MEK (U0126) (Chaudhri

et al., 2012). L’activité des ERK serait donc bien un mécanisme phare de cette voie non génomique

activée par les œstrogènes sous le contrôle d’ERα36 (Schwartz et al., 2016).

Ainsi, par cette voie (Figure 33), ERα36 induit des effets anti-apoptotiques, métastatiques et

mitogènes in vivo et in vitro, ce qui contribuerait à la progression tumorale comme le décrit Zhang

et collègues pour le cas de tumeurs mammaires ER- (Zhang et al., 2011). Les voies induites par

cette signalisation pourraient être utilisées comme cibles thérapeutiques : par exemple une forte

concentration d’anti-œstrogènes (5 μM) inhiberait la prolifération des cellules ER- en bloquant la

voie EGFR/Src/STAT5 (Zhang et al., 2012b). Cibler le variant ERα36 dans les tumeurs «

triple-négatives » pourrait augmenter la sensibilité aux chimiothérapies classiques (par exemple le

paclitaxel, une molécule couramment utilisée dans les chimiothérapies des tumeurs « triple

négatives ») et ainsi réduire la migration et l’invasion des cellules (Pelekanou et al., 2012; Zhang

et al., 2012b).

De plus, il est à noter qu’ERα36 serait également un médiateur majeur dans d’autres cancers dans

l’espèce humaine (Sołtysik and Czekaj, 2015). Ainsi, ERα36 est fortement exprimé dans les

cellules de cancer gastrique et est en lien avec une croissance maligne des tumeurs (Deng et al.,

2010). Fu et collègues, en 2013 et 2014 montrent sur des échantillons de tumeurs humaines et

murines que la forte expression du variant ERα36 est corrélée avec l’expression d’une protéine

chaperonne GRP94 (Glucose-regulated protein 94) dont le lien est établi avec de nombreux

cancers, ainsi qu’une activation d’Akt (Fu et al., 2013, 2014). De même dans le cancer colorectal,

ERα36 serait en lien avec la progression tumorale, tout comme le variant ERα46, d’après l’analyse

d’échantillons humains tumoraux et sains. La progression tumorale du cancer colorectal serait

corrélée à une diminution de l’expression d’ERα36 (Jiang et al., 2008). Enfin, Schwartz et

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collègues décrivent en 2014 l’implication du variant de récepteur dans la progression et

l’agressivité des cancers laryngés in vitro et in vivo (Schwartz et al., 2014). La présence d’ERα36

est encore décrite à d’autres localisations de cancers chez l’Homme et son rôle est évalué à l’heure

actuelle (Sołtysik and Czekaj, 2015).