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Classification moléculaire des tumeurs mammaires et approches thérapeutiques

II. Développement anormal de la glande mammaire

4. Classification moléculaire des tumeurs mammaires et approches thérapeutiques

Depuis plus de 20 ans, les classifications cliniques des tumeurs mammaires prennent en compte

l’aspect histologique, le grade, et le stade (TNM) afin d’orienter au mieux le choix thérapeutique.

Néanmoins, la volonté croissante de personnaliser les traitements et l’apparition de résistances par

des mécanismes inexpliqués, a mis en lumière une grande hétérogénéité des tumeurs, nécessitant

une classification plus fine qui s’appuie sur des critères d’expressions géniques multiples.

Une classification moléculaire en 4 sous-types a été publiée, en 2000 par Perou et collègues, et

discrimine des tumeurs dites luminales, basales, HER2-enrichis ou normal like. Cette

classification, validée et mise à jour depuis par différentes équipes, associe le statut de 3 récepteurs :

le récepteur aux œstrogènes α (Estrogen Receptor ER), le récepteur à la progestérone (Progesterone

Receptor PR) et le récepteur du facteur de croissance épidermique 2 humain (Human Epidermal

growth factor Receptor 2 HER2), ainsi que le taux de prolifération et l’expression de marqueurs

pronostics (Eroles et al., 2012; Hoadley et al., 2014) (Tableau 2).

En fonction du sous-type moléculaire de la tumeur, le pronostic diffère ainsi que la réponse

thérapeutique à apporter.

En premier lieu, la chirurgie peut permettre l’ablation de la tumeur. Différents types de

mastectomie sont possibles en fonction de l’étendue de la maladie (avec ou sans ganglions

lymphatiques axillaires et muscles pectoraux). En parallèle, d’autres thérapies existent : le

traitement réalisé (chimiothérapie, hormonothérapie, radiothérapie) avant la chirurgie afin de

diminuer la taille de la tumeur sera appelé « néoadjuvant ». Après l’intervention, ce traitement sera

appelé «thérapie adjuvante » et permet d’amplifier le bénéfice de l’intervention et de réduire les

risques de récidive (NCI, 2013).

Sous-type

moléculaire

Fréque

nce

ER/PR/HER2 Prolifération Pronostic Thérapeutiques

Luminal A 28-31% ER+PR+HER2- Faible Exc Hormonothérapie

Luminal B 20% ER±PR±HER2± Elevée Interméd/Mauv Hormonothérapie

HER2-enrichi 15-20% ER-PR-HER2+ Elevée Mauv Thérapie ciblée

Chimiothérapie

Basal-like 15% ER-PR-HER2- Elevée Mauv Chimiothérapie

Normal-like 5-10% ER-PR-HER2- Faible Interméd/Mauv Chimiothérapie

Claudin-low 10% ER-PR-HER2- Elevée Mauv Chimiothérapie

Tableau 3 : Sous-types moléculaires de tumeurs mammaires

Les 6 sous-types moléculaires de tumeurs mammaires sont classés en fonction de leur statut

ER/PR/HER2. Pour chaque sous-type, la fréquence est également indiquée de même que le

niveau de prolifération, le pronostic à 10 ans post-diagnostic et la thérapeutique usuellement

utilisée.

Abréviations : Exc : excellent ; Interméd : intermédiaire ; Mauv : mauvais. (Adapté de Eroles

et al., 2012; Prat and Perou, 2011)

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Les autres thérapies mises en place sont la radiothérapie, la chimiothérapie, l’hormonothérapie

(anti-œstrogènes ou inhibiteurs d’aromatase) et la thérapie ciblée.

4.1Les tumeurs de profil luminal A

Ces tumeurs sont les plus fréquentes parmi les cancers du sein (28 à 31% des cas) (Prat and Perou,

2011). Elles sont majoritairement ER+/PR+/HER- (90%ER+, 89%PR+, 14%HER2+) (Katherine

A. Hoadley, Fabrice Andre, Matthew J. Ellis & Charles M. Pero, 2014). De par leurs

caractéristiques communes avec les cellules luminales épithéliales des canaux mammaires

(expression de gènes activés par ER, comme Bcl2 et les cytokératines 8 et 18), ces tumeurs sont

qualifiées de luminales. Les « luminales A » expriment faiblement les gènes de prolifération tels

que l’antigène KI67 (expression inférieure ou égale à 14%), et sont généralement de bon pronostic

pour la survie (95% à 5 ans post-diagnostic). Elles sont, la plupart du temps, dépistées précocement

à un faible grade histologique (Tableau 3).

Du fait de leur dépendance aux œstrogènes, elles sont traitées par des thérapies anti-œstrogéniques

comme des inhibiteurs d’aromatase de 3ème génération (AI) chez les femmes ménopausées, des

SERMs comme le tamoxifène ou encore avec un antagoniste sélectif (pure selective regulators of

ER) comme le fulvestrant (Eroles et al., 2012; Zhang et al., 2014).

4.2Les tumeurs de profil luminal B

Tout comme les précédentes, elles présentent des caractéristiques communes avec les cellules

luminales épithéliales. Néanmoins, elles ont un taux de prolifération plus élevé, avec une

expression plus importante de gènes de prolifération comme KI67 (>14%) ou encore la cycline B1.

Elles présentent une surexpression ou une amplification de HER2 plus souvent que les « luminales

A » (98%ER+, 82%PR+, 24%HER2+) et parfois de EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor

ou HER1) (Katherine A. Hoadley, Fabrice Andre, Matthew J. Ellis & Charles M. Pero, 2014). Ces

tumeurs, regroupant 20% des cas, présentent un phénotype plus agressif, avec un dépistage à un

grade plus élevé (Eroles et al., 2012; Prat and Perou, 2011). La survie à 5 ans post-diagnostic est

de l’ordre de 50% (Zhang et al., 2014).

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Badve et collègues avancent en 2007 que la différence quant à la survie des patientes entre les deux

types de tumeurs luminales ER+ pourrait être le résultat d’interaction entre ER et d’autres facteurs

tels que des coactivateurs, corépresseurs et facteurs de transcription modulant l’activité du

récepteur (Badve et al., 2007).

Une partie des tumeurs de ce sous-type sont traitées par hormonothérapie comme les « luminales

A ». Mais pour la majorité des « luminales B », la thérapeutique utilisée est la chimiothérapie.

4.3Les tumeurs de type « HER2-enrichi »

Ce groupe de tumeurs (15 à 20% des cas) présente une amplification du gène codant HER2/ERBB2

sur le chromosome 17. Elles portent peu de caractéristiques luminales mais surexpriment des gènes

de prolifération cellulaire. Pour la majorité, elles sont ER-/PR-/HER2+ (38%ER+, 20%PR+,

72%HER2+) (Katherine A. Hoadley, Fabrice Andre, Matthew J. Ellis & Charles M. Pero, 2014).

75% de ces tumeurs ont un grade élevé, elles sont de mauvais pronostic et plus de 40% présentent

une mutation du gène TP53.

Ces tumeurs ont une forte sensibilité à la chimiothérapie avec de bons taux de réponses

(contrairement aux tumeurs « luminales »), mais elles peuvent également être traitées avec des

anticorps anti-HER2 (trastuzumab) ou des inhibiteurs de tyrosine kinase (lapatinib) (Eroles et al.,

2012).

4.4Les tumeurs de profil « basal-like »

Ces tumeurs (15% des cas) expriment des gènes présents dans les cellules basales myoépithéliales

mammaires, d’où le nom de ce sous-type. Ces gènes sont notamment les cytokératines CK5 et

CK6, P-cadhérine, c-Kit ou encore EGFR (Hoadley et al., 2007; Nielsen et al., 2004; Prat and

Perou, 2011). Les tumeurs « basal-like » sont classées parmi les tumeurs de mauvais pronostic et

n’expriment ni ER, ni PR, ni HER2 (8%ER+, 7%PR+, 7%HER2+), elles sont ainsi répertoriées

parmi les tumeurs « triple-négatives » (TN) (Katherine A. Hoadley, Fabrice Andre, Matthew J.

Ellis & Charles M. Pero, 2014). Le diagnostic de ces tumeurs se fait souvent à un stade plus avancé

et donc à un haut grade tumoral (Eroles et al., 2012).

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Le développement d’un cancer du sein de ce profil est corrélé avec différents facteurs de risque

décrits précédemment (ménarche précoce, parité tardive…). Les tumeurs d’origine génétique par

mutation dans BRCA1 sont de profil « basal-like » (Nielsen et al., 2004). De plus, malgré le fait

que le risque de cancer chez les jeunes femmes d’origine africaine est plus faible que dans les autres

populations, des études épidémiologiques relèvent que les cancers qui se développent chez ces

patientes sont majoritairement indépendants des récepteurs hormonaux, classés parmi les tumeurs

TN (Huo et al., 2009).

Tout comme les tumeurs de type « HER2-enrichi », les tumeurs « triple-négatives » (pas seulement

les tumeurs « basal-like) ont une forte sensibilité à la chimiothérapie. Les tumeurs « basales » sont

traitées avec un inhibiteur des PARP1 (Olaparib). Leurs actions sur l’instabilité génétique des

cellules cancéreuses contribuent à leur mort. Ces tumeurs peuvent également être traitées par des

agents EGFR (récepteurs présents dans au moins 50% des cellules en IHC) : anticorps

anti-EGFR (Cétuximab ou Panitumumab) ou inhibiteur (Gefitinib ou Erlotinib) (Nielsen et al., 2004).

4.5Les tumeurs de profil « claudin-low »

Elles font partie du dernier sous-type mis en évidence en 2007 et comprennent environ 10% des

cas de tumeurs du sein (Herschkowitz et al., 2007; Prat and Perou, 2011). Elles sont également

classées parmi les tumeurs « triple-négatives » et sous-tendent un pronostic mauvais à long-terme.

Ces tumeurs présentent des caractéristiques communes avec les tumeurs de profil « basal-like »,

mais sont surtout caractérisées par la perte de l’expression de protéines de jonctions serrées et

d’adhésion cellulaire (claudines 3/4/7, occludine, E-cadhérine). Ces tumeurs présentent donc des

caractéristiques de transition épithélio-mésenchymateuse. Elles ont également des caractéristiques

communes avec les cellules souches mammaires MaSC (Prat et al., 2010).

4.6Les tumeurs de profil « normal-like »

Ces tumeurs n’expriment aucun des marqueurs de la classification, elles sont aussi répertoriées

dans les tumeurs « triple-négatives ». 5 à 10% des cas de cancer du sein font partie de ce groupe et

sont caractérisés par de fortes expressions géniques caractéristiques des cellules basales. Elles

Figure 18 : Arbre phylogénétique de la famille des récepteurs aux stéroïdes

Les récepteurs aux hormones stéroïdes (RS) sont issus de plusieurs duplications à partir d’un

récepteur ancestral. Leurs ligands naturels principaux sont cités au-dessus de chaque récepteur.

Abréviations: A, aldostérone; AR, récepteur aux androgènes; C, cortisol; Co, corticostérone;

CR, récepteur aux corticoïdes; DHT, dihydrotestostérone; ERα, récepteur α aux œstrogènes;

ERβ, récepteur β aux œstrogènes; E, œstrogènes; GR, récepteur aux glucocorticoïdes; 3-KSR,

récepteur 3-kétostéroïde; MR, récepteur des minéralocorticoïdes; P, progestérone; PR,

récepteur à la progestérone; T, testostérone. (Adapté de Thornton, 2001)

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présentent un pronostic intermédiaire entre les tumeurs de profil luminal et les tumeurs de profil

«basal-like ».

Il est à noter que la majorité des tumeurs « triples négatives » sont GPER+ (G Protein-coupled

Estrogen Receptor 1 « positives »), EGFR+ (Girgert et al., 2012) et expriment certains variants du

récepteur α des œstrogènes (Voir chapitre suivant) (Rao et al., 2011; Zhang et al.,

2011). Néanmoins, le statut EGFR de ces tumeurs « triple négatives » est relativement discuté

parmi les auteurs.

Bien que la réceptivité aux œstrogènes semble toujours constituer un facteur clé du choix

thérapeutique et que la classification des tumeurs en fonction de leur statut moléculaire ER+/ER-

(classification d’Eroles) soit utilisée pour la mise au point de nouvelles stratégies thérapeutiques,

il est à noter que les formes membranaires des ER clonées récemment (GPER, variants de ERα),

ne sont toujours pas prises en compte dans la classification des tumeurs mammaires. Je décrirai

les mécanismes déclenchés par les voies de signalisations dépendantes de ces récepteurs dans la

partie suivante.