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Croissance des PMA, inégalités mondiales et convergence des revenus

au mieux mitigée, et généralement anémique et inégale

B. Vue d’ensemble de l’évolution de la croissance des PMA au fil des ans

1. Croissance des PMA, inégalités mondiales et convergence des revenus

L’analyse de la croissance des PMA doit s’inscrire dans le débat plus large sur les inégalités mondiales et la convergence des revenus. Sur l’ensemble de

la période considérée, il y a peu de signes d’une véritable convergence des revenus dans les PMA.

À l’époque de la création de la catégorie des PMA, le PIB par habitant de ces pays correspondait à 4,5  % de celui des pays développés. En 2019, ce chiffre était tombé à 2,3 % (fig. 2.5). Le recul est plus marqué encore par rapport au PIB par habitant des autres pays en développement, avec une chute de 58 % à 17 %. Le tableau n’est pas beaucoup plus réjouissant si l’on se concentre sur la seule sous-période 1995-2019, caractérisée par une forte croissance. Au cours de ces vingt-quatre années, le PIB par habitant des PMA est passé de 1,1  % de celui des pays développés à seulement 2,3 %, et n’a pratiquement pas évolué en proportion de celui des autres pays en développement.

Les deux graphiques de la figure 2.6, élaborés à partir de données nationales, illustrent les dynamiques de l’évolution du PIB par habitant à l’échelle mondiale.

Le premier graphique montre l’estimation, par la méthode du noyau, de la densité du logarithme du PIB réel par habitant, en dollars constants de 2017 à parité de pouvoir d’achat (PPA), pour les trois années ci-après, séparées par un intervalle de vingt-quatre ans : i) 1971 (année de la création de la catégorie des PMA) ; ii) 1995 (année considérée comme charnière pour la croissance des PMA)  ; iii) 2019 (dernière

5 Les pays anciennement dits « en transition » ont été exclus du calcul pour éviter que la crise qu’ils ont connue à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique biaise les résultats.

Figure 2.6

PIB réel par habitant : estimation de la densité par la méthode du noyau pour les années 1971, 1995 et 2019, et histogramme en fonction du stade de développement en 20196

Densité

0,1 0,2 0,3 0,4

0,0 7 9 11

Logarithme du PIB réel

19711995 2019 5,0

10,0 15,0

0,0 6 8 10 12

Nombre de pays

Logarithme du PIB réel Pays développés

Autres pays en développement PMA

2,5 17,5

12,5

7,5

Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après la base de données Penn World Table 10.0.

Note : Par souci de simplicité, le secrétariat a établi ces graphiques en se fondant sur le code  M49, contrairement aux autres graphiques présentés dans le Rapport.

année pour laquelle des données sont disponibles).

Le deuxième graphique, établi à partir des mêmes séries de données, est un histogramme du PIB réel par habitant en fonction du stade de développement des pays pour l’année 2019.

Sur le premier graphique, le déplacement des courbes de densité vers la droite au fil du temps, en particulier entre 1995 et 2019, traduit clairement une amélioration généralisée du PIB par habitant. Il est tout aussi intéressant d’étudier l’évolution de la forme de ces courbes de densité. D’une courbe unimodale avec un renflement sur la droite (1971, ligne jaune), on passe à une courbe plus symétrique et légèrement bimodale (1995, ligne marron), puis à une courbe bombée sur la gauche, avec un renflement visible aux niveaux de revenus plus faibles (2019, ligne bleue).

Compte tenu de la faible variation du classement des pays en fonction du PIB par habitant dans le temps7, le graphique suggère qu’un grand nombre de pays situés en bas de l’échelle des revenus par habitant ont perdu du terrain par rapport aux autres alors que leur PIB par habitant a clairement augmenté. Comme le montre le deuxième graphique, les pays en question sont presque tous des PMA, seuls quelques-uns des pays du groupe ayant atteint un niveau de revenu intermédiaire en 2019.

Étant donné qu’ils ont été établis à partir de chiffres exprimés en PPA, les deux graphiques pourraient étayer la thèse selon laquelle il existe un piège de la pauvreté, comme l’affirment les économistes du développement de l’école classique (Rosenstein-Rodan, 1943  ; Nurkse, 1966  ; UNCTAD, 2002, 2016a). Reste à déterminer s’ils attestent la théorie de la «  convergence conditionnelle  », selon laquelle les pays aux caractéristiques structurelles analogues (propension à l’épargne, qualité des institutions, ouverture, etc.) convergent vers le même niveau de revenu, ou celle des « clubs de convergence », selon laquelle les écarts de PIB par habitant entre pays sont permanents et déterminés au moins partiellement par la situation de départ de ceux-ci8. Quoi qu’il en soit, ils mettent en évidence une dimension centrale du creusement des inégalités entre pays et donnent

7 Les estimations de la densité par la méthode du noyau donnent peu d’information sur l’évolution du PIB des pays ou des groupes de pays au fil du temps, mais cette faible variation du classement des pays en fonction du PIB par habitant est mise en évidence par la forte corrélation entre le classement de 1971 et le classement de 2019 (coefficient de Spearman de 0,81). En d’autres termes, l’écrasante majorité des pays situés en bas de l’échelle des revenus par habitant en 2019 y était déjà au début de la période considérée.

8 La théorie de la convergence conditionnelle est illustrée par les travaux de Barro et de Sala I. Martin (Barro and Sala I Martin, 2004), ainsi que de Mankiw et de ses collègues (Mankiw et al., 1992), tandis que celle des clubs de convergence est notamment défendue par Quah (Quah, 1996 ; Quah, 1997).

6 L’estimation par noyau est une méthode non paramétrique d’estimation de la densité de probabilité d’une variable donnée, en l’occurrence le PIB réel par habitant de l’ensemble des pays pour lesquels des données sont disponibles. Le graphique est établi à partir de noyaux gaussiens, qui ont été ajustés de sorte que la largeur de bande retenue soit équivalente à l’écart type du noyau de lissage. Les estimations de la densité sont calculées à partir de données sur le PIB réel par habitant mesuré selon l’approche fondée sur les dépenses. On obtiendrait des résultats similaires en utilisant des données sur le PIB mesuré selon l’approche fondée sur la production.

Du fait de la récession mondiale qu’a provoquée la pandémie de COVID-19, les PMA ont enregistré en 2020 leurs pires résultats socioéconomiques depuis le début des années 1980 (UNCTAD, 2020a). Secoués par un choc multidimensionnel qui a touché la demande globale et l’offre globale, et contraints d’imposer dans les centres urbains des mesures de distanciation physique, qui ont freiné l’activité économique, ils ont vu leurs recettes baisser alors qu’ils avaient plus que jamais besoin d’accroître les dépenses publiques, notamment en faveur de programmes sociaux. De plus, les déséquilibres structurels de leur balance courante ont été exacerbés par : i) la baisse des exportations, qui s’explique par la contraction de la demande mondiale, ainsi que par les perturbations des principales chaînes de valeur et des couloirs de transport ; ii) la quasi-paralysie du tourisme, secteur vital pour les petits États insulaires en développement (PEID) ; iii) le tarissement des flux d’investissement étranger direct (IED) et la diminution du volume des envois de fonds (UNCTAD, 2020a, 2020f ; Djankov and Panizza, 2020). La relative résilience de l’aide publique au développement (APD), qui a augmenté de 1,8 % par rapport à 2019 (OECD, 2021), n’a guère enrayé la pénurie de devises dans les PMA, laquelle a été aggravée par leurs grandes vulnérabilités liées à l’endettement et, dans certains cas, par des pressions dévaluationnistes.

Encadré 2.1 Les PMA et la reprise à deux vitesses un certain crédit à l’idée d’un piège du revenu intermédiaire. Ils font aussi ressortir les difficultés qu’ont les pays en développement à faire converger véritablement leurs revenus vers ceux des pays développés (UNCTAD, 2016a, 2016b).

Les mécanismes qui sous-tendent les dynamiques à l’œuvre ne sont pas bien connus, mais la principale conclusion à tirer est que l’accroissement des inégalités entre pays a de vastes implications quant à l’action des pouvoirs publics. De récentes études ont montré que le pays de résidence, en particulier son PIB par habitant moyen et le niveau des inégalités, était un déterminant clef du revenu des personnes, la différence entre un pays et un autre pouvant être exprimée sous la forme d’une « prime » ou au contraire d’une

« pénalité» (Milanovic, 2015, 2019 ; UNCTAD, 2017a).

Ainsi, à moins que tous les PMA parviennent à faire converger leurs revenus vers ceux des autres pays en développement et des pays développés, l’aggravation des inégalités entre pays va vraisemblablement se traduire par une inégalité des chances.

Il convient en outre de noter que, comme la production de statistiques fiables sur la comptabilité nationale prend un certain temps, les données sur lesquelles repose l’analyse faite dans les paragraphes précédents ne couvrent pas l’année 2020. Il n’est donc pas rendu compte des effets de la forte récession que la pandémie de COVID-19 a engendrée partout dans le monde. Un tel choc ne peut toutefois que freiner sensiblement la croissance des PMA et creuser les inégalités au niveau mondial. Dans ce contexte, la CNUCED a mis en garde non seulement contre le risque de graves conséquences socioéconomiques dans les pays développés, mais aussi contre celui d’une nouvelle « décennie perdue » pour de nombreux PMA et autres pays en développement (UNCTAD, 2020c, 2020d, 2020a). Les premières estimations pour 2021 donnent à penser que la récession mondiale pourrait être moins grave que prévu, avec un rebond de la production mondiale de 4,7 % après une chute de 3,9  % en 2020. Les raisons en sont

la reprise précoce de l’activité économique dans la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique, ainsi que l’adoption de plans de relance d’une ampleur sans précédent par les pays développés, en particulier par les États-Unis (UNCTAD, 2021a). Étant donné que les vagues de contaminations ne surviennent pas dans tous les pays en même temps, que les campagnes de vaccination progressent à des rythmes différents et que la capacité à faire face à la récession varie fortement d’un pays à l’autre, il est probable qu’on assiste à une reprise dite « en K », c’est-à-dire une reprise à deux vitesses (UNCTAD, 2021a ; IMF, 2021 ; World Bank, 2021b). Ainsi, la CNUCED estime que le redressement de l’économie des pays d’Afrique en 2021 (+ 3,1 %) ne suffira pas à compenser la baisse observée en 2020 (-3,8 %) (UNCTAD, 2021a).

À moyen terme, les perspectives de la majorité des PMA restent peu encourageantes et sont assombries par plusieurs facteurs de risque (encadré 2.1). Outre que de grandes vulnérabilités liées à l’endettement pèsent fortement sur les fondamentaux de beaucoup de ces pays, quatre facteurs plus généraux menacent d’entraver leur production potentielle à moyen terme : I. Le report et l’annulation de plans d’investissement en raison non seulement de l’incertitude ambiante et de la contraction de la demande, qui tempèrent les « esprits animaux », mais aussi de la réaffectation des fonds publics à des mesures sociales urgentes, avec pour effet inévitable un affaiblissement du potentiel de croissance à moyen terme (UNCTAD, 2020a, 2021a ; IMF, 2020 ; World Bank, 2021b) ; II. Les perturbations généralisées de la scolarité et de

l’apprentissage, ainsi que la pression accrue sur les budgets alloués à l’éducation et la probabilité que de nombreux élèves dont la scolarité a été interrompue ne regagnent pas les bancs de l’école une fois la crise passée, autant de facteurs qui risquent de nuire à l’accumulation de capital humain et d’accentuer les disparités existantes, y compris les inégalités de genre (UNESCO and World Bank, 2021) ;

Des efforts de coopération internationale tels que l’Initiative de suspension du service de la dette, le Cadre commun pour le traitement de la dette au-delà de l’Initiative de suspension du service de la dette ou même l’accroissement de l’APD sont bienvenus, mais ne suffisent pas à assurer une reprise inclusive et généralisée (UNCTAD, 2020a, 2020c, 2021a)*. Parallèlement, la situation sanitaire demeure grave dans un grand nombre de pays en développement : le risque de nouvelles vagues de contaminations subsiste et du retard a été pris dans le déploiement de campagnes de vaccination analogues à celles qu’ont mises en place les pays développés. Cette persistance de l’épidémie pèse sur les perspectives de redressement économique.

Si les estimations les plus récentes donnent à penser que la reprise sera plus vigoureuse que prévu en 2021, cette reprise sera vraisemblablement inégale et s’amorcera dans les pays développés et dans certains pays en développement longtemps avant de se profiler dans la plupart des PMA. Les principales raisons en sont les énormes différences entre pays sur les plans suivants : i) les ressources mobilisables pour faire face à la crise ; ii) les technologies disponibles pour contourner les obstacles créés par les mesures de distanciation physique et remédier aux perturbations des chaînes de valeur mondiales ; iii) la résilience socioéconomique de manière plus générale. Même si l’on accepte les prévisions du FMI sans les mettre en doute, il faudra probablement plusieurs années à la plupart des PMA pour que leur PIB par habitant revienne à son niveau − déjà bas − d’avant la pandémie de COVID-19, comme le montre la figure ci-dessous. Le délai médian de redressement de ces pays devrait être d’environ trois ans. Il est tout aussi inquiétant de constater que les pays les plus pauvres, c’est-à-dire ceux dont le PIB par habitant exprimé en dollars constants de 2017 à PPA est le plus faible (bas du graphique), auront sans doute besoin de plus de temps que les autres (plus de cinq ans pour une douzaine de PMA selon les estimations).

Étant donné la grande incertitude quant à l’évolution de l’économie mondiale, ces prévisions doivent être interprétées avec circonspection, mais elles en disent long sur les risques d’un creusement des inégalités mondiales au lendemain de la pandémie de COVID-19. Elles mettent aussi en garde contre la menace d’une nouvelle décennie perdue pour les PMA et, partant, d’un anéantissement des progrès accomplis par ces pays dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030.

* Dans le cadre de l’Initiative de suspension du service de la dette, les créanciers bilatéraux publics ont interrompu, à titre temporaire et sur demande des intéressés, le service de la dette de 73 pays à faible revenu et à revenu intermédiaire inférieur qui remplissaient les conditions requises. Cette initiative a été mise en place par le G20 en mai 2020 et prolongée jusqu’en décembre 2021. Le Cadre commun pour le traitement de la dette au-delà de l’Initiative de suspension du service de la dette est un accord conclu par le G20 et le Club de Paris, qui ont convenu de se coordonner et de coopérer pour faciliter le traitement de la dette des pays participant à l’Initiative.

Encadré 2.1 (suite)

Figure d’encadré 2.1

Nombre d’années nécessaires pour que le PIB par habitant revienne à son niveau d’avant la crise (2019)

Source : Calculs du secrétariat de la CNUCED, d’après la base de données Perspectives de l’économie mondiale (date de consultation : avril 2021).

Notes : Par souci de lisibilité, les pays sont désignés selon la norme ISO 3166 (code à trois lettres).

GIN ETH

MMR TUV

BEN BGD LAO

NER RWA SEN

BFA

CAF DJI

ERI GMB KHM

MWI NPL

TGO

BTN

COD GNB

LSO MLI

MOZ MRT

TZA

UGA AFG

LBRMDG SLE

SSD

KIR STP

YEM

AGO

BDI COM HTI SDN

SLB

SOM TCD TLS ZMB

2,75 2,95 3,15 3,35 3,55 3,75 3,95 4,15

2 3 4 5

Logarithme du PIB réel par habitant en 2019 (en dollars constants de 2017 à PPA)

Années nécessaires pour que le PIB par habitant revienne à son niveau de 2019

1 ou moins Plus de 5

Les PMA se distinguent des autres