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Chapitre I- La photonique sur silicium dans le moyen infrarouge

3. Quelle plateforme photonique pour le moyen infrarouge ?

3.1. Critères de choix d’une nouvelle plateforme

De façon évidente, le premier critère à retenir est celui des pertes optiques. On pondèrera également par le domaine de transparence, soit la bande passante potentielle. De façon relativement admise dans la littérature, une plateforme photonique devient intéressante autour de 1-2 dB.cm-1 de pertes

par propagation. En effet plus les guides optiques présentent de pertes, moins l’on pourra cascader de composants optiques et les fonctions optiques réalisées par la puce seront relativement basiques. Le circuit aura finalement peu de valeur ajoutée. D’autant qu’il faut garder à l’esprit que passer du domaine visible ou proche infrarouge (NIR : Near InfraRed) vers le MIR n’est pas que simplement une transposition en longueur d’onde. Les sources lasers sont moins puissantes et les photodétecteurs moins sensibles dans le MIR que leurs homologues dans le visible ou le NIR. Il s’ensuit que les pertes par propagation seront critiques, avec des pertes maximales source à détecteur qui devraient être plus contraignantes pour la photonique MIR. La question est donc : quels matériaux présentent une absorption suffisamment faible pour constituer des guides optiques convenables ? Les principales plateformes de microfabrication pour l’optique intégrée ont été décrites précédemment et sont : les guides polymères, l’échange d’ions sur verre, la photonique sur substrat InP et la plateforme silicium. En compilant les coefficients d’absorption des matériaux disponibles sur ces différentes plateformes (Tableau I-1), il est déjà possible d’identifier des candidats potentiels. Les substrats utilisés en échange d’ions sur verre sont opaques dans le MIR et coupent entre 2 et 3 µm [108]. Les substrats polymères sont dans la même situation et deviennent opaque au-delà de 2,2 µm. L’échange d’ions sur verre et la photonique sur polymère ne sont donc

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pas envisageables pour l’optique intégrée MIR. Restent donc les plateformes Si et InP. Les deux présentent des domaines de transparence relativement importants. L’avantage de la bande passante revient tout de même à la plateforme Si qui peut aller au-delà de λ=14 µm et couvrir l’ensemble du MIR et au-delà.

3.1.2.Potentialité d’une plateforme complète, maturité technologique et co- intégration

Il est clair désormais que le développement d’une plateforme MIR doit se faire sur substrat III-V ou sur un des substrats CMOS compatibles de la plateforme Si. Cependant, le seul critère de transparence ne saurait guider entièrement notre choix. D’autres critères sont à considérer afin de les départager : la potentialité d’un PIC complet, la capacité de co-intégration et la maturité technologique.

Tout d’abord, la capacité d’une plateforme technologique à aboutir à une bibliothèque complète de composants, passifs et actifs, est un critère important. A ce jour, les matériaux III-V sont à la base des sources lasers QCL et ICL mais également de photodétecteurs IR, tels que les photodiodes à base de InGaAs ou ceux à base de multi-puits quantiques (QWIP : Quantum Well Infrared

Photodetector). A notre connaissance, seuls les modulateurs électro-optiques n’ont à pas été

démontrés, sur substrat InP, dans le MIR. La plateforme InP a donc la potentialité d’offrir, à terme, une intégration monolithique de l’ensemble des composants nécessaires pour un PIC MIR avancé, comme elle l’a fait pour les telecom/datacom. Contrairement à la plateforme InP, la plateforme Si ne bénéficie pas des mêmes propriétés électro-optiques et ne permet pas d’offrir du gain optique dans le MIR. Cependant, tout comme pour le domaine telecom/datacom, ce défaut peut être compensé par des techniques d’hybridation de laser III-V QCL ou ICL. En 2008, une première démonstration d’hybridation de QCL a été faite par thermocompression [109]. Récemment, le premier QCL véritablement hybride a été fabriqué par collage moléculaire sur des guides Si/Si3N4/SiO2 sur

substrat Si [110]. A court terme, la plateforme Si peut donc tout à fait intégrer laser et photodétecteur par voie hybride. De plus, à moyen et long terme, il semble qu’une intégration monolithique soit également possible. En effet, des travaux sur les lasers à base d’alliage Ge/GeSn suggèrent que ce type d’intégration permettra de fabriquer des sources couvrant le début du domaine MIR (λ=2-3 µm) dans un futur proche [111]. Un laser utilisant ces alliages et directement épitaxié sur substrat Si a d’ailleurs été démontré expérimentalement [112]. Celui-ci émet à λ=2,3 µm en étant pompé optiquement et refroidi à 90 K. De plus, des conceptions de QCL à base d’alliage GeSn ont également été proposé pour faire des sources lasers autour de λ=8,27 µm [113], laissant présager une large couverture du domaine MIR par des lasers monolithiquement intégrés. Enfin, contrairement à la plateforme InP, le germanium utilisé sur plateforme Si permet de faire des modulateurs pour le MIR. Un modulateur en germanium fonctionnant par pompage optique a d’ailleurs récemment été démontré expérimentalement à λ=2-3 µm [114]. Des calculs théoriques montrent également que des modulateurs électro-optiques à base de germanium sont possibles [115]. La plateforme Si présente donc également des atouts importants pour obtenir une riche bibliothèque de composants.

En plus d’une plateforme capable d’offrir une bibliothèque fournie de composants, l’intégration d’autres technologies doit également être considérée dans les critères de choix. Comme nous avons pu le voir, le potentiel du domaine MIR ne tient pas dans une simple translation du domaine de longueur d’onde des PIC actuels. Par exemple, les applications dans le domaine biomédical nécessiteront une certaine biocompatibilité et la capacité à acheminer des analytes vers les zones de détection du circuit optique via de la microfluidique. Or, les matériaux III-V n’offrent ni de biocompatibilité, car ils sont toxiques pour le vivant, ni la capacité à fabriquer des canaux microfluidiques [116]. En revanche, les circuits de microfluidique se fabriquent sur substrat

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silicium, les applications de laboratoire sur puce ne sont donc pas réalisables sur plateforme InP. De même, si nous reprenons l’exemple des capteurs de gaz, ce type d’application nécessitera, dans certains cas, d’utiliser des technologies MEMS, comme pour la photoacoustique développée au CEA-Leti. Or, seule la plateforme Si offre cette possibilité. Enfin, comme on peut le voir avec la photonique SOI, la plateforme Si pourrait permettre la co-intégration de PIC MIR avec l’électronique de pilotage et de traitement. La photonique MIR sur silicium devrait d’ailleurs bénéficier des développements technologiques de co-intégration des circuits microélectroniques et photoniques qui sont actuellement réalisés pour la photonique SOI. Ainsi, la plateforme Si possède un réel avantage pour répondre à ce besoin particulier du domaine MIR, qui est de devoir combiner différentes technologies pour aboutir à de nouveaux capteurs.

Enfin, un dernier critère non négligeable est la maturité des procédés de fabrication. Les procédés III-V sont, en général, moins maitrisés que les procédés CMOS. Par exemple, la gravure des matériaux III-V donne des flancs beaucoup moins abrupts et plus rugueux que la gravure Si ou Ge. Pour illustrer notre propos, nous pouvons comparer les performances de deux multiplexeurs à réseau échelle aux configurations similaires. Celui réalisé sur plateforme InP par Gilles et al. [117] a des performances très dégradées par rapport à celui réalisé sur plateforme Si par Malik et al. [118]. Il en résulte que le nombre de défauts présents sur une plaque InP est bien plus grand que sur une plaque silicium. Le travail de cette thèse étant orienté vers une recherche technologique et applicative, il est important de prendre en compte dans nos critères le rendement de production d’une technique.

3.1.3.Conclusion

Les plateformes d’optique intégrée aux procédés de fabrication matures sur lesquelles on peut s’appuyer pour étendre leur domaine de fonctionnement au MIR sont au nombre de quatre : échange d’ions sur verre, plateforme polymère, plateforme III-V et plateforme Si. Les deux premières présentent des substrats opaques dans le MIR et ne pourront accueillir des PIC fonctionnant à ces longueurs d’onde. Les deux autres présentent des domaines de transparence suffisants dans le MIR avec une bande passante en faveur pour la plateforme Si (∆λ=0,3-100 µm pour le Si et ∆λ=0,9-14 µm pour l’InP). En revanche, ces deux dernières diffèrent par leur maturité technologique, leur rendement, et leur capacité de co-intégration de différentes technologies (Tableau I-2). Les procédés de fabrication sont plus performants sur plateforme Si et sont CMOS compatible. A moyen et long terme, les applications d’optique intégrée MIR ne nécessiteront pas seulement que des circuits optiques performants mais également des capteurs micromécaniques, de la manipulation d’analytes biologiques par des systèmes microfluidiques et de l’électronique. Or la plateforme Si est la seule ayant la capacité de réaliser et co-intégrer l’ensemble de ces technologies. Sur ces critères, ce travail de thèse s’est dirigé vers le développement d’une technologie de PIC MIR sur plateforme silicium.

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Nom de la

plateforme Source laser Modulateur Photodétecteur

Densité de défauts fatales (cm-2) Co-intégration technologie de capteurs Si QCL hybride Laser GeSn monolithique Potentiel pour QCL GeSn monolithique Modulateur tout- optique démontrée Matériaux du groupe IV prometteurs Hybride 0,14 Electronique MEMS Microfluidique InP Intégration monolithique QCL et ICL

Non démontrée Intégration monolithique

0,9 - 2,3 Non

Tableau I-2 : Comparatif des principales plateformes de fabrication existantes dans le cadre du développement d’une technologie de PIC MIR. Le comparatif se base sur les composants actifs démontrés

et potentiels ainsi que sur la maturité technologique (rendements des procédés, co-intégration).