• Aucun résultat trouvé

Chapitre V- Conception de réseaux de couplage pour le moyen infrarouge sur plateforme silicium

1. Coupler la lumière dans la puce

Dans les chapitres précédents, nous avons pu constater l’importance cruciale d’avoir des interfaces d’entrées-sorties du circuit dotées d’une bonne qualité optique. Elles peuvent être sources de pertes non désirées (réflexion, diffraction, etc.) et conditionnent le taux de puissance optique que l’on pourra injecter dans le circuit. Jusqu’ici, seule la technique du couplage par la tranche a été utilisée. Cependant d’autres techniques existent pour faire le lien entre l’espace libre ou une fibre optique et un PIC. Celles-ci se distinguent en deux familles : les techniques de couplage par la tranche, utilisées précédemment, et les techniques de couplage surfacique (Figure V-1). Les premières utilisent l’illumination directe de la section du guide en utilisant ou non une optique de mise en forme du faisceau. Elles ont le désavantage d’exciter l’ensemble des modes optiques supporté par la structure guidante. Les secondes consistent à éclairer la surface d’un guide à un angle spécifique. Elles exploitent des phénomènes d’accord de phase qui permettent de choisir le mode auquel on désire transférer la puissance optique. L’accord de phase se fait via un élément optique permettant de « casser » le confinement imposé par le guide. Deux éléments sont principalement utilisés : le prisme et le réseau. Le prisme est un bloc taillé d’un même matériau comprenant trois faces sur une base triangulaire. Pour que le couplage entre le faisceau traversant le prisme et le mode guidé puisse se faire, il est nécessaire que le prisme soit fait d’un matériau dont l’indice optique est supérieur au cœur du guide. Dans le cadre de ces travaux, le cœur des guides est composé d’un alliage de germanium, matériau ayant l’indice optique le plus élevé à l’état naturel. Le couplage par prisme n’est donc pas possible, ce qui fait qu’il ne sera pas abordé dans ce chapitre. Il a également le désavantage d’obliger à mettre en contact un élément d’optique avec la surface des guides, ce qui à terme peut poser des problèmes de dégradation de leur surface.

Figure V-1 : Schéma des deux principales techniques de couplage en optique intégrée. A gauche, le couplage par la tranche où un faisceau (ici amené par une fibre) éclaire la section du guide optique. A droite, un couplage surfacique où un faisceau (également mis en forme par une fibre dans cet exemple)

éclaire la surface de la puce. Un élément optique (ici un réseau) permet de rediriger la lumière dans le guide (Source : KTH [190]).

1.1.Couplage par la tranche : butt-coupling et end-fire coupling

Le couplage par la tranche est la méthode la plus intuitive conceptuellement. Elle consiste à illuminer directement l’entrée du guide avec une source de lumière. Le faisceau peut directement sortir d’une fibre, on parle alors de butt-coupling, ou être focalisé par un système de lentille, on parle alors d’end-fire coupling [154]. Le pourcentage de lumière entrant dans le guide est déterminé par la réflexion de Fresnel subit à la facette d’entrée et le taux de recouvrement entre le champ d’excitation et les différents modes guidés. Dans la pratique, la qualité optique de la facette du guide est également très importante pour éviter tout phénomène de diffraction. Considérons les guides caractérisés au chapitre III qui présentent une section de 2,7 × 2,7 µm2 en Si

0,6Ge0,4 enterrée dans

Chapitre V- Conception de réseaux de couplage pour le moyen infrarouge sur plateforme silicium

déterminer le diamètre théorique du mode TM0 qui est de 3,35 µm. Le diamètre du mode (MFD :

Mode Field Diameter) est, dans une approximation gaussienne, défini comme la largeur à 1/e du profil

de champ électrique (i.e. et à 1/e2 du profil d’intensité). On cherche à injecter la lumière venant

d’une fibre monomode vers ce guide. Les fibres travaillant dans le MIR ont un MFD de l’ordre de 12 µm, il varie de 8 à 14 µm suivant le type de fibre et la longueur d’onde. Si l’on considère que l’on peut décrire les modes en présence par des gaussiennes telles que :

Fx &e = „ Â− \S D+ Ã SG_Ä F & y = „ Â−( + Ã )S Ä ( 24 )

On peut alors exprimer l’efficacité de couplage de la fibre vers le guide de la manière suivante [154] : Γ = 4 S ÆSD1SGÇ Æ 1S D + 1S Ç Æ 1 SG+ 1S Ç ( 25 )

A noter que l’équation ( 25 ) ne prend pas en compte la réflexion aux facettes mais seulement les pertes dues au mode mismatch, c’est-à-dire dues à la différence de forme entre les profils de champs. Pour un guide SiGe, les pertes purement dues au mode mismatch sont de -5,8 dB, sans compter les pertes par réflexion de l’ordre de -1,7 dB. A titre de comparaison, les pertes pour un guide SOI 300 x 400 nm2 sont de l’ordre de -21 dB.

Figure V-2 : Schéma de trois types de taper en ordre croissant de complexité de fabrication. a) Taper planaire, les dimensions du guide ne change que dans le plan. b) Taper à deux étages définis par une double gravure. c) Taper 3D, les dimensions du guide changent de façon continue dans les deux plans X et

Y.

On constate ici que la grande différence de dimensions entre le mode de fibre et le mode fondamental du circuit intégré implique d’importantes pertes aux interfaces. Afin de pallier à cela, le recours à un taper permet d’adapter la taille du mode et minimiser le mode mismatch. Le taper est un guide dont la distribution d’indice n(x,y) change progressivement le long de l’axe de propagation z. Cela se fait généralement en changeant la géométrie du guide. Les géométries de taper sont nombreuses et varient en fonction de la méthode de fabrication. Cela va du cas simple du taper planaire [191] jusqu’au taper 3D [192] en passant par des géométries intermédiaires [193]

n

sub

c)

a)

n

sub

n

c

b)

n

sub

n

c

n

c

Chapitre V- Conception de réseaux de couplage pour le moyen infrarouge sur plateforme silicium

permettant de faire varier l’indice dans une ou plusieurs directions (Figure V-2). Cette modification de la distribution d’indice permet de changer la distribution des champs électromagnétiques du mode guidée le long du guide. Si le changement de la forme du guide est suffisamment lent selon la direction de propagation, la conversion du mode entre le début et la fin du taper se fait sans perte. On parle alors de taper adiabatique. On peut ainsi adapter la taille du mode au faisceau d’injection pour obtenir un meilleur recouvrement des champs et donc une meilleure efficacité de couplage. La solution la plus simple est d’élargir les guides d’entrées-sorties afin de maximiser le recouvrement dans la direction y. On réduit ainsi facilement les pertes par mode mismatch de -5,8 dB à -2,9 dB (Figure V-3). En pratique, les pertes totales de couplage en photonique télécom entre une fibre et un guide sont de l’ordre de -7 dB avec un taper simple et de -1,5 dB avec un taper à double étage [194]. Il est également possible d’élargir le mode en affinant fortement le guide d’onde [191]. En dessous d’une largeur donnée, le mode optique se délocalisera et la majorité de l’énergie sera transportée dans la gaine et non le cœur. De cette manière, on peut s’affranchir presque totalement des pertes par mode mismatch. Seules les pertes par réflexion subsistent.

Figure V-3 : Pertes dues au mode mismatch entre un guide SiGe et une fibre MIR en fonction du MFD en sortie de puce pour différentes tailles de mode de fibre (8, 12 et 14 µm).

1.2.Couplage surfacique par réseau

Les réseaux permettent de faire un couplage dit surfacique. On ne vient plus éclairer la tranche du guide mais un côté du guide, usuellement la gaine supérieure, afin d’injecter la lumière à l’intérieur du guide. Cependant pour que la lumière rentre effectivement dans le guide il faut satisfaire la condition de phase suivante :

&' = , ( 26 )

&' est la composante selon K du vecteur d’onde du champ incident et , est le vecteur d’onde

du mode guidée auquel on souhaite se coupler. Or, on sait que la théorie des modes guidées impose que , > &' . Dans ces conditions il n’est a priori pas possible de faire un couplage surfacique, d’où l’intérêt du réseau de couplage. Un réseau est une structure périodique dont l’indice optique varie dans une ou plusieurs directions. La variation périodique de l’indice optique apportée par le réseau se traduit par l’introduction d’un vecteur d’onde kg dans la relation reliant le champ incident et le

5 10 15 20

MFD latéral en sortie du guide intégré (µm) -10 -9 -8 -7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 0

Pertes dues au mode mismatch (dB)

← Guide standard

MFD=8µm MFD=12µm MFD=14µm

Chapitre V- Conception de réseaux de couplage pour le moyen infrarouge sur plateforme silicium

champ diffracté. Dans le cas d’un réseau unidimensionnel, la relation de Snell-Descartes devient alors :

H = &' + y ( 27 )

H est le vecteur d’onde du champ diffracté, &' celui du champ incident et y celui introduit par la perturbation du réseau. La relation ( 27 ) est connue sous le nom de condition de Bragg. La valeur du vecteur y est inversement proportionnelle à la période du réseau. En choisissant judicieusement la valeur de la période du réseau, la lumière éclairant le guide peut venir se coupler au mode choisi dans le guide d’onde. Inversement, un mode se propageant dans le guide pourra être découplé et extrait du guide dans la direction voulue. Intégré à un guide d’onde, le réseau de couplage constitue un composant performant d’entrée-sortie. Comme pour le paragraphe précédent, il est usuellement conçu pour faire l’interface avec une fibre optique. Contrairement au couplage par la tranche, il est difficile de prédire, avec un calcul simple, des performances pour un réseau de couplage intégré à un guide SiGe et aucun réseau n’ont encore été intégré à ces guides. En revanche, il est possible d’avoir un point de comparaison avec la photonique sur SOI. Les efficacités de couplage expérimentales sont légèrement supérieures à celles des coupleurs par la tranche. Les pertes par couplage sont de l’ordre de -4,5 dB pour des réseaux simples [195] mais peuvent descendre jusqu’à -0,58 dB [196] avec une conception plus avancée.

1.3.Conclusion

Comme nous venons de le voir, la difficulté première de l’optique intégrée sur silicium est de convertir un mode de fibre, ou un mode de propagation de faisceau laser, en mode guidé sur puce. Les deux techniques présentées sont capables d’atteindre des efficacités de couplage relativement identiques. Dans ce cas, laquelle choisir et selon quel critère ? Si l’on regarde ce qui a été fait en photonique sur silicium pour les télécoms, plusieurs facteurs sont à prendre en compte en plus des pertes de couplage : la bande passante, la tolérance d’alignement, la facilité d’utilisation et la flexibilité apportée dans le design. Pour le premier critère, le couplage par la tranche est clairement gagnant car c’est la fibre optique qui sera limitante spectralement. La bande passante du réseau est très faible en comparaison. En revanche, le réseau présente des tolérances d’alignement relaxées sur plateforme SOI (± 2 µm au lieu de ± 0,3 µm pour un couplage par la tranche). Il n’y a pour l’instant aucune donnée expérimentale pour la plateforme SiGe mais les dimensions des guides étant plus importantes, la différence de tolérance d’alignement entre réseau et couplage par la tranche devrait être moins importante. Enfin, c’est le dernier critère énoncé qui retient notre attention. Le couplage par la tranche nécessite de découper et polir les puces une à une avant de pouvoir les caractériser. Le couplage par la tranche demande donc une préparation engendrant à la fois un coût supplémentaire mais également un aléa additionnel sur les performances des composants d’entrées-sorties. Il demande aussi à ce que l’ensemble des entrées-sorties de la puce soient mises en bord de puce pour être accessibles. A contrario, le réseau de couplage peut être placé n’importe où sur la puce et l’on peut caractériser les puces à même le wafer. Cela permet, d’une part, de bien mieux exploiter l’espace alloué sur chaque puce au moment de la conception. D’autre part, cela permet de faire du test statistique (Figure V-4) sur l’ensemble d’un wafer (i.e. wafer-level

testing) à l’aide d’un testeur automatisé (i.e. prober). Ce dernier avantage est crucial car l’automatisation

des tests permet d’accéder à une connaissance fine de sa plateforme technologique. Il devient possible de corréler la dispersion des caractéristiques des circuits avec la dispersion de fabrication entre deux wafers ou même entre deux puces du même wafer. Or le développement d’une plateforme photonique passe par une connaissance fine de ses performances et de l’impact des procédés de

Chapitre V- Conception de réseaux de couplage pour le moyen infrarouge sur plateforme silicium

fabrication sur celles-ci afin de connaître les limitations intrinsèques de la plateforme. Notre objectif étant de développer une plateforme technologique potentiellement industrialisable, le test statistique au niveau même du wafer est indispensable à moyen terme. Le choix de développer des réseaux de couplage par fibre est donc tout à fait justifié.

Figure V-4 : Test automatisé sur wafer de modulateurs électro-optiques réalisés sur plateforme SOI 200 mm au CEA-Léti.

A ce jour, peu de travaux ont été publiés sur l’étude des réseaux de couplage dans l’infrarouge, et ce quelle que soit la plateforme technologique utilisée (Tableau V-1). Quelques résultats ont été rapportés sur plateforme SOI mais dans le domaine du SWIR [197] [126] (2,1 et 2,75 µm) et seront limités par l’absorption de la silice pour une montée en longueur d’onde vers le MWIR. Pour éviter l’absorption du SiO2, Cheng et al. ont fabriqué des réseaux de couplage ainsi qu’un guide suspendu

sur plateforme SOI [126]. Cependant cela semble difficile de réaliser un circuit entier avec des structures suspendues. Des problèmes de tenues mécaniques risquent d’apparaître, notamment avec certains composants dont la densité de motifs est très importante. Une plateforme plus couramment utilisée pour le moyen-infrarouge est le silicium sur saphir (SOS : Silicon-On-Sapphire) où des réseaux avec une efficacité de couplage élevée ont été démontrés à 2,75 [198] [199], 3,4 [200] et 4,5 µm [201]. Cependant le SOS n’est pas standard dans les fonderies CMOS de par son substrat en saphir et sa petite taille limitée à 100 mm de diamètre. La salle blanche du CEA-Léti ne travaille que sur des wafers de 200 mm ou 300 mm. Le seul résultat expérimental rapporté sur une plateforme à base de germanium a été fait par l’équipe de Nedeljkovic et al. [144] en 2015. Les réseaux sont gravés directement sur des guides strip en Ge sur Si. L’efficacité de couplage fibre à puce obtenu est de 3,2 % (i.e. -14,9 dB) à une longueur d’onde de λ=3,8 µm. On constate donc que peu de travaux ont été réalisés et que le développement de réseaux de couplage dans le MIR reste un sujet à explorer.

Plateforme Type de réseau Longueur d’onde

centrale (µm)

Efficacité de couplage

Polarisation

SOI [197] Gravure partielle 2,1 41,7 % TE

SOI [126] Sub-longueur d’onde

suspendu 2,75 24,7 % TE

SOS [198] Gravure partielle / Sub-

longueur d’onde 2,75

32,6 % /

11,6 % TE / TM

Chapitre V- Conception de réseaux de couplage pour le moyen infrarouge sur plateforme silicium

SOS [201] Sub-longueur d’onde 3,4 29 % TE

SOS [200] Gravure totale 4,5 NC NC

Ge/Si [144] Gravure totale 3.8 3.2 % TE

Tableau V-1 : Etat de l’art des réseaux de couplage dans le proche et moyen-infrarouge utilisés en tant qu’interconnexion fibre-puce.