• Aucun résultat trouvé

3. Résultats

3.3. Pratiques de cueillette

3.3.2. Critères d'identification

L'enquête auprès des cueilleurs a permis de mettre en évidence plusieurs critères pour l'identification d'une même plante. En effet, les cueilleurs les plus expérimentés ont théorisé trois niveaux de reconnaissance, tandis que les autres expliquent ces mêmes critères sans avoir formulé clairement une structure de pensée. Ces trois niveaux sont :

1. Le milieu : il définit la zone où pousse la plante et sert de repère comme première étape inconsciente d'identification. Est-ce que le lieu de cueillette est à l'ombre ou au soleil ? En sous-bois ou en prairie ? Humide ou sec ? Est-ce que le sol est calcaire ou acide ? Riche ou pauvre en azote ? Toutes ces indications servent à restreindre le champ des plantes possibles à une flore spécifique.

2. La plante (critères visuels) : elle s'observe par son allure générale (port, stade de croissance, couleur et forme des feuilles et fleurs) et quelques critères botaniques généraux (insertion des feuilles sur la tige, présence de pétioles, présence de poils, forme des nervures des feuilles, etc.). Cette observation permet d'identifier la famille de la plante et d'émettre des hypothèses sur le genre et l'espèce, selon le milieu dans lequel elle a été trouvée. Cependant, les critères d'identification botaniques traditionnellement enseignés sont souvent absents au moment de la cueillette (comme la fleur).

3. La plante (approche sensorielle) : si la plante n'a pas été identifiée par les deux étapes ci- dessus, s'ajoute une étape de reconnaissance sensorielle par le toucher, l'odorat, voire le goût. L'ouïe a également été citée par Arthur comme critère sensoriel possible. Selon la plante à identifier, tous les sens ne sont pas pertinents :

• Le toucher est très souvent utilisé, et ajoute une dimension sensorielle à l'information botanique glabre/velue (comme le dit Brigitte, la plante velue peut être rêche, douce, piquante, etc. ; d'un autre côté une plante glabre peut être rugueuse, molle, épaisse, etc.).

• L'odorat permet souvent d'exclure des espèces proches comme pour l'ail des ours, le poireau, certaines Apiacées (carvi, carotte, fenouil), ou certaines Lamiacées (menthe, épiaires, lamium). Cependant, il peut aussi être une source d'erreur dans le cas d'odeurs fortes qui ne permettent pas la distinction quand plusieurs espèces sont mélangées (cas du poireau et du colchique, de l'ail des ours avec l'arum ou le muguet).

Le goût est a priori moins utilisé pour l'identification en tant que tel. Il est en revanche souvent cité dans la reconnaissance s'il a une particularité (goût de champignon du plantain, goût de poisson de la consoude, goût acide de l'oxalis, etc.).

C'est la concordance de ces différents niveaux qui permet l'identification certaine du végétal rencontré. À ces critères s'ajoutent d'autres facteurs. En premier lieu, la période de cueillette influence le type de plante qu'il est possible de rencontrer. Comme le dit Mireille, il n'est pas commun de trouver du chénopode bon-henri en mars. La période peut aussi avoir un impact sur le risque de confusion en ce que les caractères distinctifs ne sont pas toujours présents selon la saison. Par exemple, la cueillette des racines de gentiane peut se faire en automne, et à ce moment-là il est possible que les feuilles et la tige ne soient plus entièrement présents, et que la confusion avec le vératre soit plus probable.

Le lieu précis de cueillette est également un critère rassurant et sécurisant. Plusieurs cueilleurs disent en effet retourner aux mêmes endroits, sur des individus ou des stations qu'ils connaissent et qu'ils ont déjà identifiés : prêle, aubépine, acacia, etc. Ces lieux sont souvent proche de l'habitation, et fréquentés à différentes périodes de l'année donc connu à différents stades de croissance.

Enfin, la famille ou le genre botanique est souvent utilisé comme indice de toxicité ou comestibilité. À titre d'exemples, on retrouve dans les entretiens que toutes les espèces de Rosacées, de Lamiacées, ainsi que les pissenlits sont comestibles, contrairement aux Renonculacées ou aux Solanacées dont la quasi-totalité des espèces est toxique. Par ailleurs, la famille des Apiacées inquiète souvent les cueilleurs, et peu en cueillent effectivement. En effet, c'est une famille où se côtoient plantes toxiques et comestibles difficiles à distinguer. Gérard Ducerf lui-même explique dans l'introduction de son livre qu'il ne traitera pas des Apiacées en raison de la trop grande ressemblance et variabilité des caractères végétatifs. Cette « peur » est également retrouvée dans les données du CAP où plusieurs appels témoignent de l'inquiétude générale vis-à-vis de ce type de plante, en faisant souvent référence à la ciguë.

Dans les cas où il y a un doute sur l'identification de la plante rencontrée, les cueilleurs ne vont pas la cueillir. À titre d'illustration, Mireille affirme « Si je doute, je laisse tomber », tandis qu'Alexandra déclare « Quand je cueille c'est que j'ai pas de doutes. » S'il leur arrive de cueillir une telle plante, c'est en vue de l'identifier comme l'explique Anne-Laure, et non pas de la consommer. Ils ne se trompent donc que très peu, et ne comprennent d'ailleurs pas les erreurs d'identification qui peuvent être faites par d'autres. À ce sujet, Mireille et Anne-Laure qui font parfois des cueillettes collectives procèdent systématiquement à une vérification des paniers après

récolte. La première lors d'animation de stages : « Quand on fait des cueillettes collectives dans

les stages, je vérifie toujours les paniers des stagiaires, toujours, toujours. » La deuxième lors de

sorties en famille : « En général quand on ramasse, à la maison je recontrôle tout. »

On remarque en effet que les cueilleurs interrogés se rendent compte que tout le monde n'est pas aussi averti, et que les critères d'identification ci-dessus ne sont pas connus ni utilisés par tous. Quelques-uns ont d'ailleurs commencé à transmettre leur savoir, ou souhaiteraient le faire. Ils réfléchissent donc aux outils et méthodes qui seraient les plus pertinents pour prévenir les confusions, en fonction de leur approche et de l'enseignement qu'ils ont reçu.