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5. LES CRIS AU PARC NATIONAL ASSINICA AU QUÉBEC

5.2 Cris : une nation autochtone nordique

Les Cris sont une des onze nations autochtones présentes sur le territoire québécois. Avec quelque 17 000 individus, ils représentent la deuxième nation autochtone la plus populeuse après les Mohawks (Simard et Gaudreault, 2011). Originaire des plaines de l’Ouest canadien, leur présence sur le territoire de la baie James remonte à 5 000 ans (Petit, 2011; Simard et Gaudreault, 2011; Whiteman, 2004). Leur territoire ancestral, d’une superficie approximative de 300 000 km2 s’étend des baies James et d’Hudson à l’ouest jusqu’à la baie d’Ungava à l’est, entre les 49e et 55e parallèles (Petit, 2011). Dès le 17e siècle, ils sont en contact avec des commerçants européens et participent au commerce des fourrures, notamment avec la Compagnie de la Baie d’Hudson (Simard, 2017). Jusqu’au milieu du 20e siècle, ils demeurent assez indépendants sur le territoire et conservent leur mode de vie traditionnel, majoritairement nomade, pratiquant la chasse, la pêche et le trappage sur de larges territoires (Peloquin et Berkes, 2009). Dès les années 1950, les Cris se sédentarisent de façon plus ou moins volontaire à cause d’une présence plus accrue des gouvernements fédéral et provincial et du déclin du commerce des fourrures (Simard, 2017; Simard et Gaudreault, 2011).

L’objectif de cette section n’est pas de dresser un portrait complet de la société crie, ni de son histoire, mais de présenter brièvement ce peuple autochtone nordique, dont le rôle est central dans le contexte du projet de PNA.

5.2.1 Mode de vie traditionnel : adaptation aux conditions subarctiques

L’occupation du territoire de la baie James par les Cris remonte à 5 000 ans, bien que leur mode de vie ancestral n’ait laissé que peu de traces sur le territoire (Royer, 2016). Ils ont su s’adapter aux conditions climatiques subarctiques difficiles de la région grâce à un ensemble de connaissances écologiques traditionnelles développé au fil des millénaires (Berkes, 2018; Whiteman, 2004). Les Cris ont évolué sur le territoire de façon autonome, avec très peu de relations avec les Blancs, mais aussi peu d’interactions entre communautés (Simard, 2017). Les Cris étaient nomades et se déplaçaient sur le territoire en petits groupes, composés de deux à cinq familles, subvenant à leurs besoins par la chasse, la pêche, le trappage et la cueillette (Peloquin et Berkes, 2009; Royer, 2016). Le commerce des fourrures, qui débute au 17e siècle, devient une activité importante à l’arrivée des Européens (Morantz, 2011; Secrétariat des affaires autochtones, 2016).

La cosmologie crie, soit leurs croyances et leurs suppositions relatives à la conception du monde et aux relations entre l’humain et la nature, accorde une grande importance au territoire (Descola, 2005; Le Blanc, 2009). Leur patrimoine culturel, leur identité et leur survie reposent sur le territoire, puisqu’il leur procure les médicaments, la chaleur, le bienêtre et les moyens de subsistance nécessaires à leur survie (Fireman et Cox, 2011). La spiritualité crie est basée sur le territoire qui recèle l’expérience de vie cumulée de leurs ancêtres (Preston, 2011). L’accès au territoire ancestral revêt donc une importance capitale chez les Cris.

Par ailleurs, les Cris se considèrent comme une partie intégrante de l’environnement et ne se considèrent pas comme des êtres supérieurs par rapport aux espèces animales avec lesquelles ils partagent le territoire (Hébert, 2012).

La langue crie est issue de la famille linguistique algonquine et deux dialectes se sont développés dans le territoire à l’étude : celui des côtes et celui de l’intérieur des terres (Secrétariat aux affaires autochtones, 2016). Quelques variations mineures sont aussi notées entre les différentes communautés du territoire. Selon Collette (2005), la langue crie est une des langues autochtones canadiennes qui a le mieux résisté à l’assimilation linguistique. La sédentarisation des Cris a donc eu de nombreuses conséquences sur leur mode de vie, mais leur langue a su y résister et continue d’être valorisée par la communauté, notamment dans le système scolaire.

5.2.2 Sédentarisation

Le mode de vie des Cris subit de fortes pressions à partir des années 1950, à cause de la présence accrue des gouvernements fédéral et provincial. Cette présence gouvernementale croissante est accompagnée de la mise en place de l’école obligatoire, de la construction de maisons permanentes et du déclin du commerce des fourrures (Simard et Gaudreault, 2011). L’exploitation des ressources forestières et minières du Nouveau-Québec de l’époque mène à la construction de villages permanents (Simard, 2017). Ces éléments contraignent les Cris à se sédentariser. Par ailleurs, le développement de mégaprojets hydroélectriques dans les années 1970 exacerbe les pressions sur le mode de vie traditionnel, en provoquant des changements socioculturels et institutionnels marqués (Royer, 2016). La cession des terres cries dans le cadre de la CBJNQ a une influence importante sur le mode de vie qui repose sur le fort lien qui unit les communautés à leur territoire.

La chasse, la pêche et le trappage sont tout de même restés des activités centrales dans la tradition crie; activités qui peuvent entrer en conflit avec les objectifs de conservation. Le régime territorial des zones de chasse est d’ailleurs resté en place après les traités modernes (Lathoud, 2005). Le territoire est divisé en près de trois cents territoires de chasse familiaux, ou terrains de trappes, de superficies qui varient entre deux cents et quelques milliers de kilomètres carrés, gérés par les maitres de trappe, ou tallymen (Feit, 2005; Whiteman, 2004). En tant que gestionnaires des terrains de trappe, ils sont considérés comme gardiens des terres ancestrales, au nom des générations futures (Feit, 2005). Dès lors, ils détiennent d’importantes connaissances écologiques traditionnelles et s’assurent de contrôler les activités sur le territoire pour garantir le respect de l’environnement (Berkes, 2018; Lathoud, 2005; Maraud, 2020). Cet ensemble de connaissances écologiques leur confère une légitimité pour la gestion des ressources naturelles au sein des communautés (Whiteman, 2004). La détérioration et l’accessibilité croissante aux chasseurs non autochtones aux territoires familiaux compromettent la transmission des savoirs entre les générations et modifient les modes de fréquentation du territoire (Lathoud, 2005).

Le changement du mode de vie nomade vers le mode de vie sédentaire a modifié le profil socioéconomique des communautés cries d’Eeyou Istchee Baie-James. D’une part, l’économie de marché occupe une part croissante et remplace de plus en plus l’économie de subsistance comme activité principale (Laven, 2004). En 1970, seulement 20 % des ressources familiales proviennent de salaires et 36 % de la chasse et de la pêche, alors que ces proportions sont inversées seulement dix ans plus tard (Simard, 1995). Par ailleurs, les communautés cries sont touchées de façon plus prédominante par plusieurs problèmes sociaux tels que le chômage, l’alcoolisme et la faible fréquentation scolaire (Maraud et Desbiens, 2017).

La colonisation, d’abord de l’Amérique du Nord par les Européens, puis du Nord par les Québécois, a fortement modifié le mode de vie des communautés cries (Morantz, 2002). Les conditions socioéconomiques actuelles démontrent que ces changements posent de grands défis aux Cris et à leurs traditions.