• Aucun résultat trouvé

5. LES CRIS AU PARC NATIONAL ASSINICA AU QUÉBEC

5.3 Analyse de la création du parc national Assinica

5.3.1 Convention de la Baie-James et du Nord québécois

Le Nord étant vu comme un vaste espace inhabité, les autochtones du territoire ne sont pas consultés en amont des grands projets hydroélectriques des années 1970 et les Cris apprennent le début des travaux dans les médias alors qu’ils sont déjà entrepris (Roué, 2003). Les communautés cries se mobilisent rapidement et présentent une demande d’injonction interlocutoire à la Cour supérieure du Québec pour forcer l’arrêt des travaux (Le Blanc, 2009). Le 15 novembre 1973, le juge Malouf accorde l’injonction et ordonne la suspension des travaux de construction en soulignant que les Cris ont des droits sur ces territoires et que leurs intérêts ont été ignorés par le gouvernement (Feit, 1989; Gourdeau, 2002; Grammond, 2009; Milot et Larivière, 2012). Bien que le jugement soit rapidement renversé par la Cour

d’appel du Québec au nom de l’intérêt de la majorité, il donne une certaine légitimité aux revendications territoriales des Cris (Roué, 2003; Royer, 2016). Le verdict de la Cour d’appel demande d’ailleurs « aux gouvernements de négocier de bonne foi avec les autochtones » (Simard, 2017, p. 271). C’est dans ce contexte que se déroulent les premières discussions menant à la signature de la CBJNQ par le gouvernement du Québec, la Société d’énergie de la Baie James, la Société de développement de la Baie James, la Commission hydroélectrique de Québec (maintenant Hydro-Québec), le Grand Conseil des Cris (GCC), les Cris de la Baie James, l’Association des Inuits du Nord québécois, les Inuits du Québec et de Port Burwell et le gouvernement du Canada. La signature de cette convention ouvre le dialogue entre le gouvernement québécois et les Cris et constitue un premier pas dans la reconnaissance de leurs droits ancestraux sur le territoire. La CBJNQ s’applique à un territoire de plus d’un million de kilomètres carrés, incluant les terres occupées par les Cris et les Inuits (Gouvernement du Québec, 1975). Le régime des terres établi par la CBJNQ remplace celui de la Loi sur les Indiens de 1876 pour le territoire visé (Maraud, 2020). La CBJNQ modifie également le cadre de gouvernance de la santé, de l’éducation et de la sécurité sur les terres du Nord québécois.

Le territoire conventionné est divisé en trois catégories de terres qui régissent les droits autochtones sur le territoire (Milot et Larivière, 2012). Les terres de catégories IA sont celles qui sont reconnues comme étant à l’usage exclusif des autochtones (Royer, 2016). Elles correspondent aux villages des neuf communautés cries du territoire. Les droits d’usage des terres de catégorie IB sont cédés à des corporations autochtones qui conservent l’usage exclusif des ressources de surface (Le Blanc, 2009). Les terres de catégorie II sont des terres publiques québécoises sur lesquelles les autochtones détiennent des droits de chasse, de pêche et de piégeage exclusifs; ce statut est attribué aux terres en périphérie des villages (Grammond, 2009; Lathoud, 2005). Les terres de catégories III représentent la majorité du territoire. Il s’agit de terres publiques soumises aux lois et règlements du Québec, mais la trappe et la chasse de certaines espèces animales sont réservées aux autochtones (Le Blanc, 2009). Le tableau 5.1 résume les droits associés à chacune des catégories, ainsi que leur superficie relative sur le territoire.

La CBJNQ met en place un nouveau régime de protection de l’environnement pour le territoire visé, incluant la procédure d’évaluation et d’examen, la protection de la faune et la participation des Cris à l’application du régime (Berrouard, 2002). Cette participation se fait notamment par l’entremise du Comité consultatif sur l’environnement de la Baie-James (CCEBJ), regroupant quatre représentants cris, quatre représentants provinciaux et quatre représentants fédéraux, ainsi qu’un comité d’évaluation et de deux comités d’examens (Simard et Gaudreault, 2011). Ces comités ne détiennent toutefois qu’un pouvoir de recommandation (Papillon, 2018). Le CCEBJ encadre les études d’impact social et environnement obligatoires pour tous les projets affectant plus de 65 km2 du territoire conventionné, conformément à la section 22 de la CBJNQ (Lathoud, 2005; Salée et Lévesque, 2010). Toutefois, l’analyse de Salée et Lévesque (2010) démontre que le CCEBJ manque de ressources financières et humaines et que plusieurs

projets de développement parviennent à échapper à sa surveillance. Il s’agit néanmoins d’une première institution permettant la participation des Cris dans la gestion du territoire.

Tableau 5.1 Catégories de terres dans Eeyou Istchee Baie-James telles que définies par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (compilation d’après : Gouvernement du Québec, 1975; Maraud, 2020; Royer, 2016)

Catégorie Pourcentage du territoire Définition et droits

IA

1,5

• Terres réservées à l’usage et aux bénéfices exclusifs des Cris; • Droits fonciers sur les terres des villages cris;

• Droits d’exploitation des ressources de surface – le Québec conserve les droits d’exploitation des ressources souterraines (sauf celles déjà transférées à des corporations cries dans les terres de catégories IB).

IB

• Terres relevant de compétence provinciale, accordées à des corporations cries;

• Interdiction de vendre ou de céder ces terres à d’autres qu’au gouvernement du Québec.

II 16,5

• Terres de compétence provinciale;

• Cris y exercent des droits exclusifs de chasse, de pêche et de trappe; • Le gouvernement du Québec peut prendre possession des terres à des

fins de développement à condition de les remplacer ou d’accorder une indemnité.

III 81,9

• Terres publiques soumises aux lois et règlements du Québec;

• Cris ont des droits exclusifs de trappe, ainsi que de chasse et de pêche pour certaines espèces incluant le castor, l’ours polaire, le lynx, le renard, l’esturgeon et la lotte.

Aux yeux du gouvernement, la CBJNQ permet de régler un litige foncier entre le Québec et les autochtones du Nord en clarifiant la compétence du Québec sur le territoire conventionné (Papillon, 2018). En d’autres mots, elle permet d’ouvrir la voie du développement du Nord puisqu’elle remplit les obligations du Québec envers les Premières Nations. Aux yeux des autochtones, l’entente permet d’entretenir une relation politique durable entre partenaires égaux, de reconnaitre leurs droits d’usage et d’occupation et de regagner un certain contrôle en amont des projets de développements (Papillon, 2018). Plusieurs années suite à la signature de la CBJNQ, qui s’est faite en échange d’une compensation de 225 millions de dollars, les Cris considèrent que les négociations étaient inéquitables entre les parties et que les signataires ont agi sous la contrainte (Le Blanc, 2009). Dans tous les cas, les visions divergentes du gouvernement et des autochtones mènent à plusieurs conflits dans les années qui suivent sa signature. Pour une analyse plus complète de la CBJNQ, l’ouvrage de Gagnon et Rocher (2002) commente quatre thématiques principales, soit le développement territorial, l’environnement, la gouvernance et la mise en œuvre.