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Les « coureurs de fond » : faire face en attendant de meilleures conditions

Ce texte repose sur l’analyse de 24 entretiens 2 menés par les étudiants Carrières sociales de la promotion 2017 2018 de l’IUT du Havre Ces entretiens, qui respectent les principes d’anonymat et de confidentialité, ont une durée

2. Les « coureurs de fond » : faire face en attendant de meilleures conditions

Les « coureurs de fond » constituent une figure analytiquement distincte. Elle recouvre des jeunes dont le rapport au travail s’avère contrasté et in fine plus mitigé, et qui dès lors occupent un emploi qu’ils supportent en attendant mieux. Les mauvaises conditions renvoient à différentes dimensions de l’expérience professionnelle qui peuvent concerner des aspects matériels comme le salaire, la distance domicile-travail ou les horaires, ou des aspects plus expressifs liés à la pénibilité de la tâche. Certains de ces « coureurs de fond » supportent ainsi de mauvaises conditions parce qu’elles sont considérées comme nécessaires pour accomplir un projet plus large. Souvent il s’agit de jeunes qui travaillent avec une motivation essentiellement instrumentale : gagner de l’argent.

Romain (20 ans, bac pro, E53) cumule deux emplois. Il s’agit d’un jeune travailleur qui passe la majeure partie de son temps au travail. En effet, en parallèle de son BTS en alternance d’aménagement paysager, il occupe un job étudiant le week-end dans un supermarché discount pour subvenir à ses besoins. Il justifie cette importance du travail dans sa vie par son âge, 20 ans :

« Bah, pour l’instant, je me dis que faut travailler pour s’en sortir un minimum plus tard. Donc oui, certes, il y a de grandes chances que je lève le pied un peu plus tard. Mais, pour l’instant, faut que je travaille, faut que je me fasse des bonnes bases pour pouvoir continuer. » (Romain, 20 ans, bac pro, E53.)

Il entretient un rapport plutôt positif au travail : idéalement, pour lui, le travail doit être une passion. Dans cette perspective, il termine une formation en alternance afin de se préparer à un métier de passion. D’ailleurs, les expériences de travail accumulées tout au long de son parcours ont toujours été en lien avec ses études. Il est donc logique d’observer qu’il a toujours plus ou moins aimé les différents emplois et stages assurés. Si le travail est vécu comme une passion (Sarfati, 2012) et qu'il est important pour l'enquêté de réaliser des missions qui lui plaisent, la rémunération ne doit cependant pas être oubliée. Il importe donc qu’elle corresponde au nombre d'heures effectuées.

Nous retrouvons ici une représentation commune de la jeunesse comme période décisive pour la vie future. La jeunesse est alors dépeinte comme une période difficile où il est impératif de réaliser des choix stratégiques afin de se placer professionnellement dans la société. De ce fait, la vie privée peut être difficile à lier avec sa vie professionnelle actuelle. Dans un premier temps, l'enquêté déclare ne pas avoir de difficultés à lier les deux sphères :

« Non, non, non je n’ai pas de difficultés, je sais qu’il faut prendre beaucoup de temps avec la famille, faut pas oublier, mais le travail il ne faut pas l’oublier non plus, mais faut faire des breaks avec le travail, faut pas penser travail tout le temps, en fait. » (Romain, 20 ans, Bac pro, E53.)

Pour autant, par la suite, dans un second temps de l’entretien, il précise qu'il se trouve empêché par les contraintes professionnelles de voir sa copine à un autre moment que le dimanche. En ce sens, le travail peut avoir une incidence négative sur sa vie personnelle :

« Quand je dis travail, c’est pas forcément quand je suis en entreprise, c’est quand je suis aussi en cours. Je suis en couple donc [silence] je vois vraiment madame que le dimanche, parce que je sais que la semaine je suis en cours, donc je suis au travail, la semaine qui suit, je sais que je vais être en entreprise donc au travail, et je sais que le samedi je vais être au travail, car je vais être au supermarché Discount donc... ouais aujourd’hui, le travail prend beaucoup de place dans ma vie personnelle. » (Romain, 20 ans, bac pro, E53.)

L’enquête souligne qu’il y a une réelle complexité des éléments qui entrent en compte pour définir un sentiment global : le goût pour le métier, les relations avec les collègues, les conditions matérielles... Solenne, 22 ans, bac + 3 école d’audiovisuel (E36), a tout d’abord choisi de faire un baccalauréat littéraire. Ensuite, elle a étudié pendant trois ans dans une école privée d’audiovisuel et a obtenu son diplôme. Elle nourrit des sentiments partagés quant à sa dernière expérience. Au moment de l’entretien, elle se trouve en recherche active d’emploi. Elle pense qu’elle va être embauchée prochainement pour faire de la régie pour un long métrage. Elle nous dit de sa dernière expérience d’emploi que celle-ci consistait à faire la régie, « aller chercher des comédiens, installer les décors, des tentes, des loges et puis nettoyer et ranger les décors », que « ça ne s’est pas très bien passé » avec sa supérieure. Elle décrit cette dernière sous un jour très défavorable, comme ayant un « égo un peu surdimensionné » et comme étant « quelqu’un de pas très compétent ». De ce fait, elle ne garde pas un très bon souvenir de cette expérience de travail. De surcroît, les horaires étaient très compliqués et la rémunération insuffisante. Ainsi, au mauvais salaire vient s’ajouter la mauvaise relation avec sa responsable, addition d’éléments négatifs contrebalancée, au moins partiellement, par une relation avec les collègues jugée bonne. Dans ces conditions, et malgré une expérience antérieure pas très concluante, son rapport à la fonction de régie ne se trouve pas emportée dans la tourmente.

Au total, ces jeunes « coureurs de fond » subissent des conditions parfois très difficiles consciemment et dans l’attente d’atteindre progressivement tous les éléments qui leur semblent centraux. Ils s’y résignent parce qu’elles ne constituent qu’une phase transitoire avant de décrocher leur « graal » professionnel. Si l’expérience des « coureurs de fond » se présente comme plus mitigée que celle des « insérés », le rapport au travail de la figure suivante, les « battants », est quant à lui plus dégradé.

3. Les « battants » : le coût de rapports humains