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Chapitre 2. Interprétation

2.2. Exégèse et méthode d’analyse narrative

2.2.1 Analyse narrative d’Exode 14-15, 1-21

2.2.1.2. Corrélation avec l’expérience des participants

Le chapitre 14 décrit l’expérience de salut vécue par le peuple de Dieu face à l’armée. On retrouve dans le chapitre 15 une première relecture de salut dans la bouche de Moïse dans les versets 1 à 19. Cette relecture du salut deviendra le socle de la foi juive. Puis, il y a une seconde relecture, plus courte, attribuée à Miryam. Ce constat m’amène à une réflexion plus large, le Dieu des chrétiens n’est-il pas toujours celui d’une expérience, faisant l’objet d’une relecture personnelle ou collective. La narration au présent du chapitre 14 suggère un Dieu stratège qui endurcit le cœur de Pharaon afin d’en triompher et ainsi se glorifier. Ce visage me semble déjà distinct dans la relecture du chapitre 15, dans laquelle on relit le salut de Dieu pour son peuple, bien que celui-ci soit encore aux dépens du Pharaon. Dans cela, il me semble qu’il y a de manière implicite l’importance du témoignage dans le dialogue pastoral. L’œuvre de Dieu dans le chapitre 14 de l’Exode est grandiose, mais sans sa relecture du chapitre 15, elle demeure collée sur l’actualité. La distance qui est prise dans la relecture permet de mieux lire l’action de Dieu. De même, pour incarner la pertinence de la foi aujourd’hui et le salut qui s’opère aujourd’hui, un témoin du Christ devra souvent référer à sa propre histoire et raconter comment le salut s’est opéré au cœur

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de sa vie. Un tel récit peut difficilement se faire au présent, puisqu’il est forcément de l’ordre d’une relecture.

Le texte présente en 14, 10-12 des Israélites qui remettent en question la confiance en Dieu dans le récit même de l’action salvifique de Dieu. Malgré l’expérience importante de Dieu du peuple hébreu, ceux-ci se montrent résistants à croire, rendant la transmission de la foi incertaine.

Les participants de l’analyse qualitative ont tous témoigné d’une expérience de salut et du contexte difficile dans lequel ils tentent ou ont tenté de transmettre la foi. Alain relit l’expérience du deuil de son père en signifiant l’importance de la communauté dans ce passage. Chantal raconte comment l’enseignement de la personne responsable des rencontres de baptêmes l’a libérée de la culpabilité qu’elle portait. Pour moi, le rôle de médiateur de Moïse dans l’expérience de salut du peuple juif et de sa relecture, corrélé aux expériences des participants soulèvent deux enjeux : celles des communautés et des intervenants pastoraux. Comment s’assurer que nos communautés chrétiennes soient des lieux de salut, qui soutiennent les gens à relire l’action de Dieu au cœur de leur vie? Comment outiller les intervenants pastoraux à lire, avec les personnes qui leur sont confiées, ce salut à l’œuvre aujourd’hui ? Leur rôle peut s’apparenter à la maïeutique, puisque par leur écoute ils soutiennent l’accouchement d’un récit, d’une relecture, voire d’une action de grâce.

La relecture de foi, rédigée sous forme de cantique dans Exode 15, versets 1 à 19, fait de la traversée des eaux l’acte fondateur par lequel le peuple hébreu en arrive à la conviction que Dieu sauve. Cette relecture personnelle n’est-elle pas nécessaire pour s’approprier la foi ? Alain et Chantal arrivent à relire des éléments de salut à travers la communauté chrétienne et les rites chrétiens, mais seule Béatrice fait spontanément référence à une relation personnelle à Dieu, un Dieu qui a sauvé son enfant. Cela constitue un socle sur lequel peut reposer sa foi personnelle au Christ. Comment accompagner, pour faire saisir que si Dieu sauve, c’est par le biais de médiations telles que les communautés chrétiennes

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et les rituels. Ces réflexions s’apparentent à la pensée de Schillebeeckx, exposée par Marc Dumas.

La foi chrétienne est acceptée non par des arguments d’autorité, mais par les récits et la vie des chrétiens qui permettent de saisir dans et à travers les expériences humaines, l’expérience de la foi. L’expérience de Dieu est médiatisée à travers les événements et les histoires qui engagent les auditeurs, de telle façon que leurs expériences peuvent devenir des expériences chrétiennes avec et dans leurs expériences humaines78.

La relecture d’un salut expérimenté peut donc devenir le fondement d’une foi, qu’elle soit personnelle ou collective. Dans l’expérience du peuple hébreu, Dieu sauve tout le peuple. Dans le témoignage des participants, ce qui est en jeu, c’est toujours un salut individuel. Cela soulève pour moi deux enjeux : celui de l’annonce du salut en Jésus Christ et celui du témoignage individuel. Cette absence d’expérience collective du salut, du moins d’une relecture collective de ce salut rend plus difficile la transmission de la foi. Avec les membres de nos communautés chrétiennes, annonçons-nous suffisamment de quelle manière le Christ sauve l’humanité, afin que cette relecture soit commune ? D’un autre côté, témoignons-nous ouvertement de l’action de Dieu dans nos vies afin d’éveiller nos contemporains à son action dans leur vie ?

Cette réflexion a transformé le contenu des rencontres par lesquelles j’accueille les parents qui demandent l’initiation chrétienne pour leurs enfants. Initialement, à la demande de mes supérieurs, j’avais mis en place une rencontre d’information et de discernement que j’ai progressivement transformée, en lien avec mon cheminement doctoral, en rencontres d’accueil et d’information. Dans cette rencontre, je proposais un temps de réflexion et j’exposais les finalités de l’initiation chrétienne. J’ai réduit la part d’enseignement de cette rencontre, avec l’objectif d’écouter et témoigner afin de mieux entendre et dire l’action de Dieu aujourd’hui. Par ailleurs, ce souci d’être à l’écoute du salut à l’œuvre chez mes interlocuteurs m’incite à multiplier les occasions (demandes tardives, demandes

78 Marc Dumas, « Corrélation Tillich et Schillebeeckx : la difficile médiation de la foi chrétienne et de la

culture moderne » dans Gilles Routhier et Marcel Viau (dir.), Précis de théologie pratique. Montréal/Bruxelles, Novalis/Lumen Vitae, 2004, p. 80.

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particulières, absences lors d’une rencontre), d’accueillir les parents par le biais de rencontres individuelles.