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CADRE THÉORIQUE, ÉTAT DE RECHERCHES ET

2.4 Apports de la présente étude

2.5.2 Comment construire les corpus

2.5.2.6 Corpus d’interactions verbales

Quant à l’élaboration du corpus d’enregistrements, la première question qui s’impose est de savoir comment enregistrer les locuteurs sans qu’ils s’en doutent tout en garantissant la

spontanéité de parole. En effet, la présence de l’enquêteur et des appareils apporte peu ou

prou un frein pour observer des pratiques linguistiques en toute liberté. Il s’agit de la question

du paradoxe de l’observateur, comme l’a observé William Labov, « le but de la recherche linguistique au sein de la communauté est de découvrir comment les gens parlent quand on ne les observe pas systématiquement ; mais la seule façon d’y parvenir est de les observer

systématiquement ».109 Cela dit, il demande plus de techniques lors du recueil de pareilles

données. Il faut par exemple être en mesure de placer le microphone ou la caméra cachée, de manière à ce que le sujet ne sache pas être observé, sans pour autant se heurter aux questions juridiques. Partant des motifs légitimes, d’un droit de rétractation ou d’opposition à ce que des données à caractère personnel fassent l’objet d’un traitement, nous avons demandé d’une façon expresse l’autorisation aux personnes concernées le consentement du recueil de données. Force est de noter que les informations obtenues ne seront jamais traitées à un niveau individuel et qu’elles doivent être exploitées à l’anonymat.

Comme le lancement des questionnaires, les témoins ont été également choisis d’une manière aléatoire, c’est-à-dire que leur conversation a été enregistrée simplement à cause de leur présence sur les lieux au moment de l’enregistrement. Mais cela ne nous empêche pas de diversifier les données en fonction de leur profil par le biais d’observation. De plus,

l’observation in situ nous permet de noter en parallèle leur intonation, leur geste ainsi que leur

expression faciale au cours de communication, ce qui est souvent occulté dans les discussions de forums, les enquêtes de questionnaire, ainsi que les entretiens.

109 William Labov, « The relative influence of family and peers on the learning of language », in R.Simone et al. (dir.) Aspetti Sociolinguistici de l' Italia contemporanea, Rome, Bulzoni, 1976, p.290.

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90 Par rapport à d’autres moyens de recherche sociolinguistique, les lieux et les contextes jouent un rôle central dans l’enregistrement de conversations. « L’information sur les lieux conditionne non seulement des éléments de réponses juridiques mais aussi des activités

principales à enregistrer de par leurs propres caractéristiques ».110 Il est rare que les corpus

modernes soient composés de paroles de tout venant. Concernant l’utilisation des appellatifs, Ervin-Tripp et Braun ont déterminé trois catégories de parole : la parole professionnelle, la parole publique ainsi que la parole privée. Dans notre présente recherche, la parole privée ne fait pas partie du champ à étudier, puisqu’en temps normal, les actants de communication de

ce milieu se connaissent et ils n’ont pas besoin d’avoir recours aux termes tels que monsieur,

madame ou mademoiselle pour s’interpeler, ce sauf par ironie ou pour exprimer une affection

particulière.

Nous choisissons ainsi de focaliser notre opération aux lieux publics où l’appellatif

mademoiselle a davantage tendance à apparaître : une entreprise de taille moyenne, une classe

universitaire, l’accueil d’une banque, d’une poste et d’un centre commercial, des boutiques de styles différents (celles orientées vers les jeunes, celles destinées aux femmes, celles ouvertes à tous types de clients), un petit café, ainsi qu’un restaurant chic. Du fait de la localité géographique de l’auteure, tous ces endroits se situent à Lyon. Certains de ces endroits requièrent seulement une autorisation auprès de la personne enregistrée, comme par exemple dans des restaurants ou au centre commercial, d’autres sont soumis à l’autorisation préalable du propriétaire ou du responsable, comme les échanges ayant eu lieu durant une réunion professionnelle ou dans une classe fermée, à la banque ou à la poste. Parmi les endroits ci-dessous, il y a des lieux dont les conversations sont plutôt formelles (l’entreprise, la banque et le restaurant chic), d’autres informelles (la boutique pour les jeunes et le petit café), ou entre les deux (la poste populaire, la classe et l’accueil commercial). Du point de vue interpersonnel,

nous pouvons constater grosso modo quatre types de relations entre les interactants : les

relations amicales entre les amis, les relations professionnelles entre les collègues, les relations avec les inconnus qui se trouvent souvent au milieu commercial, ainsi que des relations pédagogiques que nous connaissons à l’école.

En parlant d’interactions verbales, Diane Vincent et Marty Laforest les ont définies ainsi : « ce sont une activité interactionnelle qui demande la coopération simultanée des participants,

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qu’ils soient locuteurs ou auditeurs ».111 C’est dans cet esprit que Goffman a proposé le cadre

participatif où chacun des destinataires reçoit un rôle bien précis par rapport au locuteur et que les rôles peuvent changer au cours d’une même conversation. A l’appui de la conception goffmanienne, nous identifions trois catégories des destinataires selon notre observation : les destinataires adressés directement, soit « participants ratifiés désignés » selon les termes de Goffman ; les destinataires adressés indirectement, les cas où la conversation se déroule principalement entre deux interlocuteurs mais est présente une tierce qui a le rôle d’auditeur « ratifié non désigné », et qui peut certes intervenir si elle le désire, mais les propos

ne la concernent pas a priori ; les destinataires non adressés, soit ceux qui sont présents par

hasard et dont la présence est souvent ignorée, ce qui arrive souvent dans des conversations déroulées dans un café par exemple. La précision du statut de participant nous est signifiante, dans la mesure où le nombre et le rôle des destinataires peuvent influencer tant sur le choix et l’interprétation du terme d’adresse de la part du locuteur que sur les fonctions jouées par des termes d’adresse dans un discours donné. Faute du signe confirmé de la présence des destinataires non adressés, notre corpus n’est constitué que des participants ratifiés dont le rôle dans l’interaction verbale sera analysé en fonction de la situation de communication et des indices verbaux dans le chapitre suivant.

Nous distinguons les situations de communication en fonction du sexe des interactants qui s’estime aussi important lors du choix et de l’interprétation des termes d’adresse. Ainsi, se dégage le tableau comme suivant :

Locuteur Interlocuteur

F H

F F

H F

En effet, en raison de la caractéristique intrinsèque de mademoiselle, nous avons enregistré

seulement les conversations qui se sont déroulées entre deux femmes ou entre un homme et

une femme, pour que les conditions objectives de recours à mademoiselle soient atteintes.

Plus concrètement, quand le sujet parlant est un homme, son allocutaire doit être une femme

qu’il est susceptible d’appeler mademoiselle, et quand c’est une femme qui parle, son

111 Diane Vincent et Marty Laforest, « Incompréhension et malentendu. Deux manifestations de la co- construction du sens », in Langues et linguistique, vol. 25, 1999, pp.111-144, p.113.

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interlocuteur peut être soit un homme qui lui répondrait éventuellement par mademoiselle, soit

une femme avec qui l’emploi de mademoiselle peut se produire dans les deux sens.

L’âge reste un autre élément qui doit être pris en compte lors de la collecte des données

orales, puisque le choix ou le ressenti de mademoiselle diffèrent lorsque l’interlocutrice a 20

ans ou a 50 ans, ou bien quand le locuteur a 20 ans ou a 50 ans.

Enfin, il faut rappeler que « la crise d’appellatif » évoquée dans l’introduction mérite également d’être analysée de plus près sous l’hypothèse de « l’appellatif zéro ». Effectivement, l’activité d’adressage n’implique pas impérativement le recours à un terme d’adresse, comme ce qu’a observé Kerbrat-Orecchioni, « lorsque l’on a à héler dans les couloirs de l’université quelqu’un qui n’est ni un étranger ni un proche, on ne dispose

d’aucune ressource véritablement satisfaisante : monsieur est trop formel, le prénom trop

familier, le patronyme trop cavalier...l’existence de situations de ce genre, qui sont loin d’être exceptionnelles, m’avait amenée naguère à parler de "crise des appellatifs en français

contemporain" ».112 Dans quelles situations de communication les gens font appel à des

termes d’adresse, et avec quelle fréquence ? Quelles sont les formes mobilisées pour réaliser

cette activité ? Pour cela, nous avons enregistré tous les débuts et les fins de conversations,113

avec ou sans mademoiselle, ce recensement nous permettant de confirmer ou d’infirmer

certaines hypothèses à partir d’une statistique fiable.

En résumé, nous avons réalisé des enregistrements des paroles spontanées dont la durée totale varie entre une et deux minutes, tout en essayant d’obtenir dix enregistrements dans chaque type d’interaction. Quand on travaille sur des données interactionnelles enregistrées, la question de la transcription se pose. Nous adoptons ici une transcription intégrale qui préserve les propriétés interactionnelles fondamentales des divers contextes sociaux et une approche qui reconnaît le rôle constitutif de l’interaction dans l’organisation des conduites sociales et langagières.

112 C. Kerbrat-Orecchioni, op. cit., 1990, p.54.

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