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CONTRATS CIVILS APPLIQUÉS AUX

Dans le document Les contrats civils appliqués aux actions (Page 30-35)

« De chaque objet possédé il y a un double usage […] :

l’un est propre et l’autre n’est pas propre à l’objet. Ainsi une chaussure sert à chausser et à être échangée ».

Aristote, Politique, I 9, Ladrange, 1874, p. 30.

29- Les contrats civils appliqués aux actions présentent de nombreuses finalités. Toutefois, il serait erroné de penser qu’à chaque contrat correspond une utilité précise. En réalité, pour chaque finalité poursuivie, ce sont plusieurs contrats civils qui peuvent être mis à contribution, certains d’entre eux pouvant même être utilisés pour réaliser différents objectifs.

30- C’est pourquoi il convient d’isoler chacune des finalités poursuivies avant d’analyser les

contrats correspondants. Isoler ces différentes finalités nécessite de s’intéresser à l’objet auquel s’applique ces différentes conventions, à savoir l’action émise par une société anonyme.

31- L’action, selon l’article 529 du Code civil, est un bien meuble par détermination de la loi.

À la différence des biens meubles par nature, qui sont définis par l’article 528 du même Code comme « les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par

eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère »,

les biens meubles par détermination de la loi sont incorporels98. Ce caractère incorporel confère une double nature à l’action :

- D’une part, c’est un titre qui représente le droit de l’associé dans la société ;

- D’autre part, ce titre doit être distingué des différents droits que l’action confère à l’actionnaire dans ses rapports avec la société99.

32- La nature incorporelle de l’action signifie en pratique que l’action est nécessairement

immatérielle.

98 ZENATI (F.) et REVET (Th.), Les biens, P.U.F., coll. Droit fondamental, 2ème éd., 1997, n° 66, p. 87.

99 RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité de droit commercial, Tome I, Volume II, Les sociétés commerciales, par GERMAIN (M.), L.G.D.J., 18ème éd., 2002, n° 1507, p. 307.

Avant la loi du 30 décembre 1981100, l’action était représentée par un document matériel, un « titre » au sens juridique101, qui pouvait être au porteur ou nominatif. Lorsque l’action était au porteur, elle était soumise au même régime que les meubles corporels, ce qui dès lors ne posait pas de problème. Lorsque l’action était nominative, l’inscription du titulaire était réalisée par la société sur son registre des actionnaires. Quoi qu’il en soit, le caractère matériel du titre ou du registre des actionnaires, selon les cas, permettait de déterminer qui était propriétaire de l’action, c’est-à-dire actionnaire.

La loi du 30 décembre 1981 et son décret d’application du 2 mai 1983102 ont opéré la dématérialisation des actions103, à travers l’article 94 II de la loi, devenu l’article L. 211-4 du Code monétaire et financier. Depuis, les actions sont des biens immatériels, représentés par des inscriptions en compte tenus par des intermédiaires habilités (tels que les banques ou les sociétés de bourse) ou par les sociétés émettrices. Du fait de cette dématérialisation, les actions ne sont plus ni individualisées ni individualisables mais leur inscription en compte permet toutefois d’en déterminer les propriétaires. De ce fait, les actionnaires ont conservé un droit réel sur leurs titres, puisqu’ils peuvent en faire usage directement et immédiatement et opposer leur propriété aux tiers. Simplement, cette propriété ne s’exerce plus sur un bien matériel mais sur un bien immatériel qui s’apparente désormais à une valeur104.

33- En outre, l’action confère à l’actionnaire différents droits dans ses rapports avec la

société : ce sont les droits propres de l’actionnaire105. Ces droits sont de double nature : politiques et financiers. C’est dans l’aménagement de ces prérogatives politiques et financières que se trouvent les sources106 des nombreuses finalités poursuivies par les parties à un contrat civil portant sur des actions.

100 Loi n° 81-1160 du 30 décembre 1981 : Loi de financement pour 1982. J.O.R.F. du 31 décembre 1981, p. 3539.

101 « Ecrit en vue de constater un acte juridique ou un acte matériel pouvant produire des effets juridiques » :

CORNU (G.), Vocabulaire juridique, Ass. H. Capitant, P.U.F., 8ème éd., 2000.

102 Décret n° 83-359 du 2 mai 1983 : Application de la loi n° 83-1 du 3 janvier 1983.

103 GERMAIN ( M.), Sociologie de la dématérialisation, Archives de philosophie du droit, Tome XLII,

L’argent et le droit, Sirey, 1998, p. 105.

104 RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité de droit commercial, Tome I, Volume II, Les sociétés commerciales, par GERMAIN (M.), L.G.D.J., 18ème éd., 2002, n° 1510, p. 308.

105 DU GARREAU DE LA MECHENIE (J.), Les droits propres de l’actionnaire, Thèse Poitiers, 1937.

106 Chacune des prérogatives politiques ou financières pourra faire l’enjeu d’une volonté d’appropriation qui, si elle est temporaire, se concrétisera par l’utilisation d’un contrat civil dont l’objet sera de transférer tel ou tel droit politique ou financier, d’une personne à une autre, jusqu’au dénouement de l’opération.

34- En ce qui concerne les droits politiques, ceux-ci correspondent au droit de participer au

fonctionnement de la société voire de la contrôler, par le biais notamment du droit de vote, prérogative politique de loin la plus importante et qui fera fréquemment l’enjeu d’une volonté d’appropriation.

35- En ce qui concerne les droits financiers, il est nécessaire de les circonscrire correctement

en rappelant que l’action représente le droit de l’actionnaire dans le capital social de la société et non pas le droit de l’actionnaire sur les biens détenus par la société.

Le patrimoine de la société ne se confond pas avec celui des actionnaires. Ces derniers ne sont pas copropriétaires des biens sociaux, qui appartiennent exclusivement à la société, personne morale autonome. C’est pourquoi l’article 529 du Code civil qualifie les actions de biens meubles. Par le biais de ces actions, les actionnaires sont devenus créanciers de la société en vertu des apports qu’ils ont faits et que représentent les actions. Cette créance tire son originalité de son objet, à savoir une société, dont les gains seront aléatoires et irréguliers, et dont la répartition sera toute aussi aléatoire et irrégulière. Aussi peut-on dire que ce droit de créance est à la fois éventuel et subordonné107 :

- Éventuel en ce qu’il porte sur des dividendes, des droits préférentiels de souscription, des droits de remboursement des apports et de partage du boni de liquidation qui ont tous la particularité d’être des droits futurs dont l’existence sera incertaine ;

- Subordonné, en ce que les associés seront primés par les créanciers sociaux tels que les obligataires, les fournisseurs, les salariés ou encore les banques, si la société est endettée.

Une fois déterminé le patrimoine de la société, à savoir ses éléments d’actifs et de passifs, et le patrimoine des actionnaires, c’est-à-dire les actions, il convient d’isoler les différents droits financiers que ces titres confèrent à leurs propriétaires. Ces droits sont de deux ordres :

- D’une part, les actionnaires disposent d’un droit sur la valeur de l’action108 ; - D’autre part, ils disposent d’une vocation aux bénéfices générés par la société109.

107 RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité de droit commercial, Tome I, Volume II, Les sociétés commerciales, par GERMAIN (M.), L.G.D.J., 18ème éd., 2002, n° 1510, p. 309.

108 COZIAN (M.) et VIANDIER (A.), Droit des sociétés, Litec, 5ème éd., 1992, n° 880 et s., p. 286 et s.

109 Cette vocation au partage des bénéfices est clairement exprimée par l’article 1832 du Code civil selon lequel « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une

entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ».

Dans les deux cas, ces droits financiers, à l’instar des droits politiques, feront fréquemment l’enjeu d’une volonté d’appropriation.

36- À la suite de ces quelques développements, il apparaît que les contrats civils appliqués

aux actions ne sont qu’un moyen d’exécution, un montage, au service d’un transfert, le plus souvent temporaire110, de tel ou tel droit politique ou financier, voire de plusieurs. Ainsi en sera-t-il d’une donation d’actions avec réserve d’usufruit : ce contrat permettra à la fois la transmission de l’entreprise et l’aménagement du droit de vote, c’est-à-dire du contrôle de cette entreprise.

Le plan de cette première partie se pliera au caractère fonctionnel des contrats civils. Seront distingués, en conséquence, le recours aux contrats civils aux fins d’exercer un pouvoir politique sur la société (Titre I) et le recours aux contrats civils aux fins de tirer profit des droits financiers inhérents aux actions (Titre II).

110 À défaut de caractère temporaire, un seul contrat civil suffirait à transférer toutes les prérogatives politiques et financières sans aucune difficulté : le contrat de vente. Il convient également de réserver l’hypothèse d’une transmission de l’entreprise où le transfert des actions est définitif et non temporaire.

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