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III. Déterminismes génétiques et physiologiques de l’aptitude au croisement

2. Systèmes contrôlant l’inaptitude au croisement chez les plantes

2.1. Contrôle de l’auto-incompatibilité intra-spécifique

L’auto-incompatibilité (SI, Self-Incompatibility) est un nom général qui englobe plusieurs mécanismes ou « systèmes » génétiques chez les angiospermes. Ces systèmes empêchent l'auto-fécondation et favorisent ainsi la pollinisation croisée. Chez les plantes possédant un système d'auto-incompatibilité, le processus de germination du pollen, de croissance du tube pollinique, fécondation de l'ovule et de développement de l'embryon est arrêté lorsqu' un grain de pollen atteint le stigma de la même plante ou d'une autre plante avec un génotype similaire et aucune semence n'est produite.

Les mécanismes les mieux étudiés de systèmes de l’auto-incompatibilité (SI) agissent en inhibant la germination du pollen sur le stigma ou l'élongation du tube pollinique dans les styles. Ils sont basés sur des interactions protéine-protéine, gouvernées par un seul locus appelé le locus S (S-locus), qui comprend de nombreux allèles dans une même espèce. Malgré des manifestations morphologiques et génétiques semblables, les mécanismes d'auto-incompatibilité ont évolué de façon indépendante dans les différentes espèces, chaque locus S étant unique et les interactions étant basées sur des composants cellulaires différents (DEBORAH et al. 2005).

Le locus S contient deux régions codantes pour des protéines S, dont l'une est exprimée dans le pistil (déterminant femelle, gamétophytique, GSI), et l'autre dans le pollen (déterminant mâle, Sporophytique, SSI). En raison de leur proximité physique, les deux composantes sont génétiquement liées, et héritées en une seule unité. Les deux protéines interagissent l'une avec l'autre pour provoquer l'arrêt de germination du pollen et/ou l'élongation du tube pollinique. Cependant, quand le déterminant femelle interagit avec un déterminant mâle d'un haplotype différent, le système d'auto-incompatibilité n'est pas efficace, et la fécondation se produit.

2.1.1. Auto-incompatibilité gamétophytique (GSI)

Le système d'auto-incompatibilité gamétophytique (GSI) est retrouvé dans de nombreuses familles e.g Solanaceae, Papaveraceae, Ranunculaceae, Plantaginaceae, Fabaceae, Campanulaceae, Leguminosae, Onagraceae, Scrophulariaceae, Rosaceae et

Poaceae (BREWBAKER 1957; FRANKLIN et al. 1985; IGIC and KOHN 2001).

Dans le système GSI, l'auto-incompatibilité est habituellement déterminée par le génotype du pollen (Figure 8). Chez la plante S1S2, la moitié des pollens possède l'haplotype S1 et l’autre moitié l'haplotype S2. Quand il y a correspondance entre l'haplotype-S du pollen

50 Figure 9 : Modèle du mécanisme cellulaire impliqué dans le system GSI chez le coquelicot (Papaver rhoeas).

et l'un ou l'autre des deux haplotypes présents dans le pistil, une réaction incompatible se produit.

Trois classes de réaction sont observées avec ce système : incompatible (tout le pollen est inhibé), semi-compatible (50% inhibé, 50% se développe normalement) ou compatible tout le pollen se développe normalement) (MCCLURE and FRANKLIN-TONG 2006)(Figure 8). Deux mécanismes de GSI ont été décrits en détail au niveau moléculaire :

2.1.1.1. Le mécanisme RNase S

Dans ce mécanisme, lorsque les allèles S femelles et mâles sont identiques l'élongation du tube pollinique est arrêtée à environ un tiers du chemin à travers le style probablement au travers du composant ribonucléase de la femelle, appelée S-RNase (MCCLURE et al. 1989) qui dégrade l'ARN ribosomal (ARNr) à l'intérieur du tube pollinique (FRANKLIN-TONG and FRANKLIN 2003). Les composants mâles ont été récemment identifiés comme des protéines membres de la famille "F-box" (SIJACIC et al. 2004). Les membres de ce groupe, fonctionnent généralement comme des ubiquitine ligases qui reconnaissent les molécules de RNase-S correspondantes et les dirigent vers une dégradation protéasomique qui inhibe ainsi la fécondation.

2.1.1.2. Le mécanisme protéine S

Ce mécanisme a été décrit en détail chez le coquelicot (Papaver rhoeas). L'interaction entre les déterminants mâles et femelles induit un signal cellulaire envoyé dans le tube pollinique qui résulte en un fort afflux des cations de calcium. Celui-ci interfère ensuite avec le gradient de concentration intracellulaire des ions calcium à l'intérieur du tube pollinique qui est essentiel pour son élongation (FRANKLIN-TONG et al. 1997; FRANKLIN-TONG et al. 2002; FRANKLIN-TONG et al. 1993).

Le pollen incompatible subi une interaction spécifique d'allèles (liaison de la protéine stigmatique S1 à un pollen récepteur S1, Figure 9), et déclenche une cascade de signalisation de Ca2+ intracellulaire impliquant des afflux de Ca2+ à large échelle (Figure 9). Deux cibles sont rapidement modifiées : (1) Pr-p26 (une protéine cytosolique 26 kDa) est phosphorylée et l'activité de sa pyrophosphatase est inhibée, (2) et le filament d'actine est réorganisé et dépolymérisé. Les deux causent un arrêt rapide du développement du tube pollinique. Puis, la p56-MAPK (mitogen activated protein kinase) est activée et peut signaler la mort programmée de la cellule (PCD). La PCD est déclenchée impliquant la fuite du cytochrome c

52 Figure 10 : Modèle moléculaire de la réponse à l'auto-incompatibilité (SI) chez les Brassicaceae. Le locus S est constitué de trois gènes, SRK, SP11, et SLG. Le récepteur kinase SRK est le facteur déterminant femelle et couvre la membrane plasmique de la cellule de la papille stigmatique. SP11 est le déterminant mâle et il est essentiellement exprimé dans le tapis de l’anthère où il s'accumule dans la couche extérieure du pollen au cours

2.1.2. Auto-incompatibilité Sporophytique (SSI)

Dans l'auto-incompatibilité sporophytique (SSI, Sporophytic Self-Incompatibility), le phénotype auto-incompatible du pollen est déterminé par le génotype diploïde de l'anthère (le sporophyte).

Cette forme d’auto-incompatibilité a été identifiée chez les Brassicaceae, Asteraceae,

Convolvulaceae, Betulaceae, Caryophyllaceae, Sterculiaceae et Polemoniaceae. Dans le SSI,

le pollen et le pistil, produisent, respectivement deux déterminants mâles et deux déterminants femelles. La relation de dominance existe souvent entre paires d'allèles, ce qui complique les modes de compatibilité ou d'auto-incompatibilité. Ces relations de dominance permettent la génération d'individus homozygotes pour l'allèle récessif. Par rapport à une population dont tous les allèles S seraient co-dominants, la dominance augmente les chances de compatibilité entre les individus (HISCOCK and TABAH 2003). Le taux de fréquence entre allèles S récessifs et dominants, reflète un équilibre dynamique entre l'assurance de la reproduction (favorisée par des allèles récessifs) et à la prévention des autofécondations (favorisée par les allèles dominants) (OCKENDON 1974). Le mécanisme d'auto-incompatibilité sporophytique (SSI) a été décrit en détail chez les Brassicaceae. Les études ont montré que le déterminant mâle, appelé SCR ou SP11 (Figure 10) est exprimé dans le tapis de l’anthère (c'est-à-dire sporophytiquement), ainsi que dans les microspores et le pollen (c'est-à-dire gamétophytiquement) (SCHOPFER et al. 1999; TAKAYAMA et al. 2000). Il correspond à de petites protéines riches en cystéine.

Le déterminant femelle est une protéine transmembranaire appelé SRK (S-receptor kinase, Figure 10), qui possède un domaine kinase intracellulaire, et un domaine extracellulaire variable (NASRALLAH and NASRALLAH 1993; STEIN et al. 1991). SRK est exprimé dans le stigmate, et fonctionne probablement comme un récepteur pour les protéines SCR/SP11 dans la couche extérieure du pollen. Une autre protéine stigmatique, appelée SLG (Figure 10), très similaire à SRK, semble fonctionner comme un co-récepteur pour le déterminant mâle, amplifiant ainsi la réponse auto-incompatible (TAKASAKI et al. 2000). L'interaction entre les protéines SRK et SCR/SP11 résulte en une autophosphorylation du domaine kinase intracellulaire de SRK (SCHOPFER and NASRALLAH 2000; TAKAYAMA et al. 2001) et un signal est transmis dans les cellules des papilles du stigmate. Une autre protéine essentielle pour la réponse à SI est MLPK (M-locus protéine kinase, Figure 10), une sérine-thréonine kinase, qui est ancrée à la membrane plasmique de son côté intracellulaire (MURASE

54 Tableau 2 : Sous-familles de graminée et tribus dans les quelles l'auto-incompatibilité (SI) a été identifié,

d’après BAUMANN et al. (2000); CONNOR (1979) et LI et al. (1997).

Sous-famille Tribu Espèce Auto-incompatibilité

Pooideae Poeae Briza media Oui

Briza minor Non Cynosurus cristatus Oui Dactylis aschersoniana Oui Festuca pratensis Oui Lolium perenne Oui Lolium multiflorum Oui Lolium rigidum Non

Aveneae Anthoxanthum odoratum Oui

Avena barbata Non Phalaris coerulescens Oui

Triticeae Secale cereale Oui

Hordeum bulbosum Oui Hordeum vulgare Non Triticum aestivum Non

Panicoideae Andropogoneae Sorghastrum nutans Oui

Themeda australis Non

Zea mays Non

Chloridoideae Chlorideae Chloris gayana Oui

Chloris striate Non

Arundinoideae Danthonieae Danthonia linkii Non

Molinia caerulea Oui

Bambusoideae Oryzeae Oryza barthii Oui

Oryza sativa Non

Figure 11: Contrôle génétique de l'auto-incompatibilité gamétophytique (GSI) par deux locus multi-allélique S

pollen et SRK du stigmate induit la signalisation de l’auto-incompatibilité dans la cellule de la papille stigmatique et résulte dans le rejet de l'auto-pollen (KAKITA et al. 2007; TAKAYAMA

and ISOGAI 2005).

2.1.3. Mécanisme d'auto-incompatibilité (SI) chez les graminées

La promotion de l’hybridation externe par le système d’auto-incompatibilité a joué un rôle important dans l'évolution et la diversification des espèces de graminées (PANDEY 1977). L'efficacité du système d'auto-incompatibilité chez les graminées se limite, dans une certaine mesure, à l'efficacité de la production de lignées pures et hybrides en sélection végétale, mais il assure aussi le maintien d'hétérozygotie dans les populations sauvages et il pourrait avoir contribué potentiellement aux succès d’adaptation chez ces espèces. L’auto-incompatibilité est largement répandue chez les graminées et au moins 16 genres auto-incompatibles ont été identifiés au sein de cinq des treize sous-familles des Poaceae (BAUMANN et al. 2000; CONNOR 1979) (cf. tableau 2).

Des études sur le seigle Secale cereale par LUNDQVIST (1954) et sur Phalaris

coerulescens par HAYMAN (1956) ont montré que l’auto-incompatibilité chez les graminées

est contrôlée gamétophytiquement par au moins deux locus multi-alléliques et indépendants, S et Z. L'incompatibilité du phénotype du grain de pollen est déterminée par son génome haploïde et dépend de la combinaison d'allèles S et Z dans le grain de pollen. Un grain de pollen est incompatible lorsque ses deux allèles S et Z sont présents dans le pistil (Figure 11). Le degré de compatibilité peut être de 50, 75 ou 100%, selon les génotypes du pollen et du stigmate. Dans les cas 1 et 2 (à gauche dans la Figure 11), le sens de croisement peut déterminer le devenir du phénotype. Si un pollen de génotype S1S1Z1Z2 est croisé avec un pistil portant le génotype S1S2Z1Z2, le pollen est incompatible, alors qu'un génotype S1S2Z1Z2

sur un pistil S1S1Z1Z2, donnera 50% de compatibilité (BICHENG et al. 2008).