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1.3] Le contexte de l’Indépendance et le déplacement du regard

[1.3.1] L’évolution des thèses algéroises

Porot quitte l’Algérie en 1946 et une nouvelle génération de psychiatres va y poursuivre ses travaux : son fils M. Porot, J. Sutter et Y. Pélicier. Or quoique ces derniers entendent clairement s’inscrire dans le sillage du fondateur de l’École d’Alger, ils ne manquent pas d’ouvrir leurs recherches sur la pathologie nord-africaine à un ordre de préoccupation finalement assez peu considéré jusque là. On en trouvera les prémisses dans un court article de Sutter publié en 1949, ayant pour titre Quelques aspects de la Psychogenèse en milieu indigène Nord-Africain1.

Le cadre général du propos s’ordonne toujours autour du concept de primitivisme, organisation psychologique typique de l’indigène et aisément repérable dans la simplicité de l’organisation sociale, le fatalisme, la religiosité, la pauvreté intellectuelle, l’impulsivité… La problématique va toutefois être enrichie d’un élément d’analyse supplémentaire afin d’étudier la psychogenèse en milieu indigène dans son rapport « avec l’organisation sociale et les conditions de milieu » ; et là réside la grande nouveauté par rapport aux premiers développements de l’École d’Alger. Porot ne s’embarrassait guère des particularités d’un contexte socio-culturel puisqu’il lui suffisait d’évaluer la mentalité indigène par rapport à une norme occidentale fixée a priori et en dernier recours fondée dans une structuration différente du cortex : si le fondement dernier est neurologique, l’influence du contexte apparaît finalement bien secondaire pour rendre compte des spécificités de cette mentalité. Or Sutter va en quelque sorte inverser l’ordre des priorités : le primitivisme reste certes le trait typique de la mentalité indigène mais il s’agit moins d’un donné neurologique que d’un mode d’organisation socio-culturel particulier, qui n’a pour l’instant fait l’objet d’aucune étude vraiment rigoureuse.

1. Sutter J., « Quelques aspects de la Psychogenèse en milieu indigène Nord-Africain », Maroc Médical, 1949, 284 : 215-216.

Ainsi, prenant soin de distinguer les individus n’ayant vécu qu’en milieu strictement indigène de ceux qui ont des contacts avec les milieux européens, Sutter esquisse tout d’abord une description de l’organisation de la famille, de la répartition des rôles de chacun au sein de la cellule familiale : le père est le détenteur de l’autorité absolue tandis que la femme, la mère, est maintenue dans une condition inférieure. Dans ce contexte,

« la rigidité d’une telle organisation supprime, on le conçoit, bien des problèmes psychologiques. L’attachement oedipien du fils à sa mère est bientôt contrebalancé par la conscience qu’il prend de l’infériorité du personnage maternel et sans doute ce fait a-t-il une grande importance pour le développement ultérieur de son affectivité. La rivalité entre frères, exacerbée par la supériorité accordée aux aînés, donne lieu, il est vrai, à de fréquents désaccords, mais il s’agit là, le plus souvent, d’une opposition pleinement consciente, se manifestant par des actes et par des attitudes de révolte ouverte, et non pas, comme en milieu européen, d’un conflit profond entre le devoir moral d’amour fraternel et une jalousie inavouée, chargée d’un lourd sentiment de culpabilité. Quant à la femme, elle se replie dans une attitude de secondarité et de passivité qui laisse peu de place aux débats intra-psychiques angoissants1. »

Une certaine nouveauté réside dans le souci de description et de compréhension d’éléments d’ordre socio-culturel – ici le modèle familial – à partir desquels il serait ensuite possible de rendre compte des particularités de la folie indigène. Et quoique ces considérations sociologiques demeurent tout aussi sommaires que schématiques – l’auteur lui-même le reconnaît – elles déplacent sensiblement le mode d’interrogation puisque le modèle indigène ne consiste plus tout à fait en une simple déviation pathologique du modèle européen. Certes, le cadre reste toujours empreint d’un parti-pris évolutionniste permettant de situer les indigènes à un stade plus primitif de civilisation mais ce dernier n’est plus vraiment envisagé en tant que forme morbide, mais davantage en tant qu’organisation sociale particulière imprimant sa marque sur les manifestations de la folie :

« Aussi sommaires que soient les quelques notions que nous venons de dégager, elles rendent compte cependant de certains traits généraux de la psychogenèse chez les malades provenant des milieux indigènes les moins touchés par l’influence européenne, et avant tout de la simplicité élémentaire des conflits intra-psychiques. L’opposition entre une personnalité tout d’une pièce et des forces antagonistes brutalement répressives ne laisse place qu’à des solutions d’une primitive simplicité : révolte explosive, irréfléchie, désespérée, abandon inerte, refuge dans la maladie sous la forme d’une hystérie grossière ou d’une hypocondrie massive, fréquence, dans les psychoses et les névroses les plus diverses, des idées d’influence prenant leur forme dans les superstitions et dans la couche la plus archaïque des croyances religieuses2. »

1. Ibid., p. 215. 2. Ibid., pp. 215-216.

Si Sutter n’approfondit pas cette théorie étiologique, et notamment ce qui est ici nommé des « forces antagonistes », il est en revanche remarquable que cette dernière esquisse nettement une ligne de démarcation entre normalité et pathologie indigènes à partir d’une prise en compte de données culturelles désormais reconnues en elles-mêmes : la morbidité n’est plus nécessairement constitutive de la mentalité indigène même si celle-ci ne cesse de conserver sa nature de simple. Par ailleurs, si ces précédentes hypothèses concernent seulement les indigènes n’ayant pas de contact avec les Européens, il convient également de mentionner la tentative de compréhension des « malades plus ou moins gagnés par la civilisation européenne », qui seraient confrontés à des modes de vie et de pensée s’accordant bien difficilement avec leur fonctionnement psychique :

« Nombre de traits de caractère communs aux indigènes dits « évolués » résultent de cette contradiction interne, de ce manque d’harmonie entre les premiers stades de l’organisation psychologique et ses développements ultérieurs […]1. »

Une dizaine d’années plus tard, les recherches algéroises semblent bien s’être définitivement engagées dans cette voie comme l’attestent les Aspects algériens de la pathologie mentale signés Sutter, Porot et Pélicier2. L’article rapporte en effet de nombreuses données socio-

psychologiques et témoigne d’un intérêt marqué pour l’évolution contemporaine de la société algérienne et les conséquences de ses mutations sur la morbidité psychiatrique. Ce programme de recherche est d’ailleurs jugé

« conforme à l’évolution générale des thèses ethnopsychiatriques. D’abord attachée à définir et à différencier des types humains, en rapport avec les travaux biotypologiques du début du siècle, la psychiatrie nord-africaine a tenté, non sans succès, de décrire une mentalité de l’algérien peu évolué, groupant autour du noyau central de l’impulsivité, la plasticité, la crédulité, la patience routinière, le désintérêt pragmatique et l’empirisme intellectuel. Actuellement, les données sociogénétiques retiennent toute l’attention et apportent une moisson de faits nouveaux3. »

Ce passage met exemplairement en lumière l’évolution des interrogations de l’École d’Alger et l’aspect a priori novateur des recherches portant désormais sur les données socio- culturelles afin de comprendre la mentalité indigène puis les formes de sa folie. Ces considérations socio-culturelles s’attachent d’abord à distinguer un milieu rural considéré comme le plus typique, d’un milieu citadin en proie à de brusques changements. Si même au sein du monde rural il existe d’importantes différences de langues, de coutumes et d’organisations sociales, il reste possible de retrouver des traits communs : l’importance de la

1. Ibid., p. 216.

2. Sutter J., Porot M., Pélicier Y., « Aspects algériens de la pathologie mentale », Algérie Médicale, septembre 1959 : 891-896.

religion musulmane, une vie rurale pauvre, un niveau culturel des plus bas, une absence de contacts avec d’autres populations, un système patriarcal instaurant l’autorité absolue du père et la domination des femmes ;

« Telles sont les conditions communes qui interviennent beaucoup plus certainement que des facteurs raciaux ou climatiques, bien difficiles à définir, pour donner à la « mentalité indigène » un ensemble de traits assez constants qui la situent […] à mi-chemin entre la structure mentale de l’européen « civilisé » et la « mentalité primitive » […]. À cette dernière, elle emprunte son fatalisme, sa conception mystique ou plus souvent magique de la causalité, sa notion très subjective du temps […], son inaptitude habituelle à la précision et à l’abstraction, toute connaissance demeurant imprégnée d’affectivité, le caractère asseritif de ses croyances, l’empirisme de ses notions éthiques1. »

En contraste total se situe la mentalité des citadins, ces derniers vivant dans un milieu en perpétuel devenir. Et si l’on peut esquisser un portrait psychologique du musulman rural, il est en revanche impossible de définir un type spécifique d’urbain quoique le trait le plus caractéristique soit l’éloignement des structures traditionnelles. Les auteurs s’attachent alors à décrire les mutations d’un mode de vie traditionnel à un autre occidentalisé : multiplication des migrations, travail salarié permanent, accès à l’instruction, accès au confort de vie européen, émancipation des filles, déclin de l’autorité paternelle… Dès lors,

« on conçoit aisément qu’une telle déstructuration n’est pas sans danger si elle n’est pas compensée par des possibilités de restructuration valables sur le plan choisi. La transition peut être harmonieuse ou discordante, être peut-être une réussite ou un échec. Elle se fait, de façon plus ou moins conflictuelle, essentiellement en fonction du niveau socio- économique et d’une certaine unité familiale persistante. […] Il y a donc là un aspect dynamique de la psycho-sociologie qui mérite des études à la fois urgentes, indispensables et passionnantes2. »

Les auteurs dressent alors un panorama de la psychopathologie algérienne en totale adéquation avec les précédents travaux issus de cette école. Soulignons néanmoins le rôle accordé aux changements sociaux dans l’éclosion de certains d’entre eux : la crise pubertaire s’originant dans la confrontation au modèle adolescent européen, les psychoses nuptiales bien souvent provoquées par la connaissance chez les jeunes filles de normes maritales plus libérales, ou encore la délinquance des jeunes vagabonds errant dans les villes.

L’étude de la mentalité indigène passe donc dorénavant par la nécessité d’une prise en compte systématique des dimensions sociale et culturelle à partir desquelles les spécificités de la folie pourront, ensuite, être appréhendées. Loin des généralisations précédentes, un

1. Ibid., p. 892. 2. Ibid., p. 893.

certain effort semble ici à l’œuvre afin de contextualiser davantage les observations cliniques. Et si la référence au primitivisme est toujours aussi explicite, elle n’entre plus tout à fait au service d’une psychiatrisation de la culture mais vient davantage désigner un mode d’organisation sociale moins évolué permettant en retour de comprendre, par analogie, les manifestations a priori rudimentaires de la folie : celle-ci emprunte les formes d’une mentalité mais ne se confond plus nécessairement avec elle.

Autre témoin du déplacement du regard clinique, l’attention portée aux changements socio- culturels et à leur potentielle force de déstructuration, qui fait entrer la folie dans le registre d’une étiologie socio-culturelle, certes assez schématique, et non plus seulement dans celui des constitutions. Une telle ouverture aux problématiques liées à ces bouleversements sociaux semble d’ailleurs directement issue des « événements » contemporains de la rédaction de l’article (1959), comme l’illustre sa conclusion :

« Jamais sans doute la marche historique des événements ne pourra être rigoureusement organisée et dirigée. Elle le sera d’autant mieux cependant que l’on saura lui proposer un cours raisonnable, en tenant compte des réalités présentes et des besoins les plus authentiques. C’est dans ces conditions seulement que les artisans de l’Algérie de demain pourront éviter des erreurs redoutables et promouvoir un progrès dont les aspects techniques et économiques auront une authentique correspondance sur l’échelle des valeurs humaines1. »

Si nous nous contenterons ici de ces deux articles afin d’illustrer la manière dont les travaux issus de l’École d’Alger ont contribué, dans le contexte de l’Indépendance, à faire évoluer la pensée psychiatrique coloniale, rappelons néanmoins que d’autres études verront le jour à la même période, guidées par des questionnements tout à fait similaires. Mais nous ne saurions toutefois clore cet aperçu de la psychiatrie coloniale dans le contexte de l’Indépendance sans évoquer la voix singulière d’un psychiatre radicalement engagé dans la lutte pour la décolonisation.

[1.3.2] Frantz Fanon : psychiatrie et révolution

Située au carrefour de la psychiatrie et du militantisme politique, l’œuvre de Frantz Fanon représente d’abord une contribution majeure à la lutte pour l’émancipation des Noirs et, plus globalement, de tous les peuples colonisés et opprimés. Outre l’engagement dans l’action politique, un tel combat en passe nécessairement par une déconstruction systématique du

discours colonial, au premier rang desquels le discours psychiatrique. Et c’est à ce titre que nous nous attarderons sur cette critique radicale de la psychiatrie coloniale.

Né à Fort-de-France en Martinique en 1925, Fanon s’engage au cours de la Seconde guerre mondiale dans les combats pour la libération de la France. En 1947, l’obtention d’une bourse d’Etat lui permet de s’inscrire à la Faculté de Médecine de Lyon en psychiatrie et, au cours de ces études, il rencontre la pratique de la psychothérapie institutionnelle avec Tosquelles, à Saint-Alban. En 1952 paraît son premier livre, Peaux noirs, masques blancs, dont les lignes suivantes illustrent magistralement le projet général :

« Le Noir est un homme noir ; c'est-à-dire qu’à la faveur d’une série d’aberrations affectives, il s’est établi au sein d’un univers d’où il faudra bien le sortir. Le problème est d’importance. Nous ne tendons à rien de moins qu’à libérer l’homme de couleur de lui- même. Nous irons très lentement, car il y a deux camps : le blanc et le noir1. »

Premier jalon d’une entreprise de désaliénation, Peaux noirs, masques blancs consiste en une analyse à la fois psychologique et politique des relations Noirs/Blancs dans le contexte de la colonisation, c'est-à-dire d’un dispositif reposant non seulement sur la supériorité de la race blanche mais également, en symétrie, sur l’infériorité manifestement intériorisée de la race noire. Si Fanon mène une critique systématique de l’idéologie coloniale, il semble que c’est très précisément sur la problématique de l’intériorisation par le noir de la suprématie blanche que psychiatrie et politique vont pleinement s’articuler.

Dans Peau noire, masques blancs, cette problématique apparaît au moment où Fanon entreprend une critique, parfois excessive, de quelques thèses issues d’un ouvrage paru en 1950 : la Psychologie de la colonisation, signé Octave Mannoni2. Rédigé après la sanglante

répression de l’insurrection malgache de 1947, ce dernier ouvrage développe notamment une analyse psychologique de la colonisation via la théorie d’un complexe de dépendance propre non seulement au peuple malgache, mais bien plus largement aux peuples colonisés. Afin de comprendre la situation coloniale, Mannoni estime qu’il faut étudier les deux types de populations en présence et les relations qu’elles vont nouer, armé du postulat que l’on a affaire à deux types de personnalités radicalement distinctes. Opérant par analogie entre développement culturel et développement de l’enfant, Mannoni caractérise la personnalité malgache par un complexe de dépendance à l’égard des morts, des ancêtres, tandis que la personnalité européenne rompt avec cette dépendance au profit de l’autonomie et de l’individualisme typiques des progrès de la civilisation. Toutefois les difficultés inhérentes à la rupture de la dépendance peuvent engendrer un complexe d’infériorité, bien repérable

1. Fanon F., Peau noire, masques blancs (1952), Paris, Seuil, coll. Points, 1975 ; p. 6.

chez l’enfant dans son sentiment d’abandon, qui sera alors compensé par un impérieux besoin de domination. Et c’est alors la rencontre entre complexe de dépendance malgache et complexe d’infériorité européen qui va engager la situation coloniale sur la voie du malentendu : le Malgache transfère sur l’Européen ses sentiments de dépendance, ce dernier étant de fait reconnu dans sa supériorité et légitimé dans son projet d’expansion coloniale.

Si Fanon admet volontiers la sincérité du propos de même que la pertinence d’une analyse psychopathologique du colonisateur, il reproche à Mannoni de s’être contenté d’une analyse psychologique irréalisant le poids de la domination coloniale. Le présumé complexe d’infériorité ne préexiste pas à la colonisation : il en est le produit. Il est plus précisément le produit d’une domination par un type de société foncièrement raciste de telle sorte que, dans la droite ligne du Sartre des Réflexions sur la question juive, « c’est le raciste qui crée l’infériorisé1 ».

Voilà donc le premier point de la thèse de Fanon : l’infériorité et la dépendance du colonisé ne s’enracinent nullement dans un quelconque complexe psychologique d’origine infantile mais dans le fait colonial lui-même : le Noir, c'est-à-dire un individu dont la valeur et l’humanité sont sans cesse contestées, n’existe qu’aux yeux du Blanc. Et confronté à cette situation, le Noir n’a pas d’autre solution pour s’assurer d’un sentiment d’existence, que de se faire reconnaître par le Blanc en se conformant à ce qu’on attend de lui. Dit autrement, dans une perspective marquée par Hegel relu par Kojève : l’Esclave Noir désire la reconnaissance par le Maître Blanc et pour ce faire, n’a pas d’autre choix que de devenir lui-même Blanc en adoptant tout un ensemble d’attitudes et de représentations typiques. Il est alors possible de mesurer plus finement le projet qu’a Fanon de « libérer l’homme de couleur de lui-même » : libérer le Noir de ce qu’il est par et pour le Blanc, c'est-à-dire le libérer de la contradiction née d’un désir de reconnaissance impossible. C’est en ce point précis que psychiatrie et politique vont alors se coordonner, comme l’atteste la longue citation suivante :

« 1° Mon patient souffre d’un complexe d’infériorité. Sa structure psychique risque de se dissoudre. Il s’agit de l’en préserver et, peu à peu, de le libérer de ce désir inconscient. 2° S’il se trouve à ce point submergé par le désir d’être blanc, c’est qu’il vit dans une société qui rend possible son complexe d’infériorité, dans une société qui tire sa consistance du maintien de ce complexe, dans une société qui affirme la supériorité d’une race ; c’est dans l’exacte mesure où cette société lui fait des difficultés, qu’il se trouve placé dans une situation névrotique. […].

Autrement dit, le Noir ne doit plus se trouver placé devant ce dilemme : se blanchir ou disparaître, mais il doit pouvoir prendre conscience d’une possibilité d’exister ; autrement dit encore, si la société lui fait des difficultés à cause de sa couleur, si je constate dans ses

rêves l’expression d’un désir inconscient de changer de couleur, mon but ne sera pas de l’en dissuader en lui conseillant de « garder ses distances » ; mon but, au contraire, sera, une fois les mobiles éclairés, de le mettre en mesure de choisir l’action (ou la passivité) à l’égard de la véritable source conflictuelle – c'est-à-dire à l’égard des structures sociales1. »

Ce passage nous renseigne d’abord sur une version particulière de la névrose, produit de la contradiction dans laquelle le Noir est placé dans le contexte colonial. En quelque sorte, il s’opère ici un glissement de l’aliénation mentale à l’aliénation socio-politique, la première trouvant en définitive son fondement dans la seconde à la manière d’une étiologie macro- sociologique2. Fanon situe de fait la cause à l’endroit précis où, selon lui, Mannoni s’est tu : le

réel de la domination coloniale et les contradictions qu’elle suscite chez le Noir. À ce titre, il est important de remarquer la propension de l’auteur à contester la validité des explications d’ordre psychanalytique appliquées aux Noirs :

« […] ni Freud, ni Adler, ni même le cosmique Jung n’ont pensé aux Noirs, dans le cours