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« Les caractéristiques expérimentales propres à la situation du migrant peuvent laisser espérer une connaissance plus exacte du rôle respectif joué chez celui-ci par sa personnalité pré-morbide, d’une part, et par l’importance du changement socio-culturel d’autre part1. »

« [La psychopathologie du migrant] offre en particulier des conditions presque expé- rimentales pour apprécier l’influence de l’environnement sur les désordres mentaux. Quelle place faut-il donner aux facteurs sociaux dans l’étiologie et dans l’évolution des troubles des migrants ?2 »

Ces deux citations donnent une vue précise de l’enjeu théorique majeur des recherches en psychopathologie de la migration : il s’agit à travers elles d’apporter une contribution significative quant à l’étude de l’étiologie des maladies mentales. Comme nous l’avons déjà signalé auparavant, ce domaine de recherche n’est rendu possible qu’à partir du moment où l’expérience de la migration est non seulement envisagée comme événement déclenchant, mais surtout comme événement pathogène : une psychopathologie des conséquences morbides causées par le déplacement et le changement de milieu qu’il induit. Il est alors possible de faire un pas supplémentaire pour affirmer que la pathologie de la migration sera une pathologie de l’adaptation : les troubles observés s’originent dans une incapacité à s’adapter de manière satisfaisante au nouveau milieu. Or cette démonstration du rôle pathogène de la transplantation en tant qu’exigence adaptative quasi-insurmontable va nécessiter un rejet inaugural : celui du modèle de la prédisposition.

[3.3.1] La prédisposition morbide

La lecture du texte de Sivadon, Koechlin et Guibert a montré que l’étude de la transplantation dans ses rapports avec la maladie mentale pouvait être envisagée de deux manières : ou bien la transplantation n’est elle-même qu’une conséquence de la pathologie, ou bien elle en est la cause principale. Le rejet de la première hypothèse au profit de la seconde semble bien constituer le geste véritablement fondateur du domaine de recherche. Par prédisposition, il faut d’abord entendre l’existence d’une personnalité morbide pré-émigrante à l’image des aliénés migrateurs de Foville, dont le déplacement n’est que le témoignage d’une activité délirante : ce dernier est pathologique bien plus que pathogène. Or, comme l’énonce Le Guillant en 1960,

1. Berner P., Zapotoczky H.G., « Psychopathologie des transplantés », Confrontations Psychiatriques, 1969, 4 : 135-154 ; p. 136.

« Jusqu’alors les migrants présentant des troubles mentaux étaient simplement tenus pour des arriérés ou des « déséquilibrés migrateurs ». Cependant, elle demeure trop statique. Elle méconnaît notamment les transformations psychologiques qui s’opèrent chez l’individu transplanté, transformations qui, nous le verrons, paraissent jouer un rôle essentiel1. »

Une autre version de la prédisposition, quoique dans la droite ligne de la précédente, concerne l’hypothèse que la transplantation favoriserait le déclenchement d’un trouble mental qui, jusque là, fonctionnait plutôt à bas bruit. Pour illustrer ce dont il s’agit, nous pouvons nous référer à une étude publiée en 1970 par une équipe de neuro-psychiatres travaillant à l’Hôpital psychiatrique de Belgrade. Ces derniers ont eu l’occasion de prendre en charge nombre de patients yougoslaves qui, au cours d’une migration dans un autre pays de l’Europe occidentale, ont déclenché une psychose, motif de leur rapatriement. Et de leur point de vue, en parfait accord avec les anciennes études de Ødegaard, il apparaît très clairement que

« trois quarts des patients observés avaient un comportement remarquable au point de vue psychique avant l’émigration. Parmi eux dominaient les perturbations de la personnalité, le plus souvent du type schizoïde. On a trouvé un grand nombre de sujets subnormaux et de sujets avec épisodes psychotiques antérieurs2. »

Deux ans après la publication française de cette communication, Almeida la critique sévèrement dans son article majeur sur les perturbations mentales chez les migrants. Insistant d’abord sur les difficultés méthodologiques relatives à la détection d’une prédisposition, il interroge le fait que, étrangement, ces patients diversement schizoïdes, paranoïaques ou cycloïdes avant leur émigration aient tous fait, de préférence, une bouffée délirante au lieu de décompenser sur un mode respectivement schizophrène, paranoïaque ou maniaco-dépressif. D’où la question suivante :

« Faut-il en déduire qu’une grande masse de migrants malades se recrute parmi des débiles, des hystéro-épileptoïdes ou des sensitifs ? Pour que tout cela fût cohérent, il faudrait en bonne logique hérédo-constitutionnaliste tracer le portrait-robot de la personnalité psychopathique correspondant à la bouffée délirante, portrait qui, jusqu’ici et à notre connaissance, n’a jamais été dessiné3. »

1. Le Guillant L., « Psychopathologie de la transplantation », 1960, op. cit., p. 3439.

2. Marković M., Tomašek B., Jevtić-Todorović J., Stanišić P., « Psychoses chez les émigrants. Tableau clinique et caractéristiques de la personnalité pré-émigrante », Annales médico-psychologiques, 1973, 131, 3 : 341-347 ; p. 346.

Selon Almeida en effet, si l’on peut repérer des antécédents psychiatriques pré-migratoires, il y a de fortes chances alors pour qu’il ne s’agisse pas d’une pathologie de la transplantation mais plutôt d’une pathologie d’importation, indépendante de la migration elle-même.

Autre classe de facteurs de prédisposition qu’il paraît urgent d’abandonner, certaines explications d’ordre psychanalytique à propos desquels il nous faut tout de même confier un certain embarras, dans la mesure où leurs détracteurs ne se donnent jamais la peine de mentionner la moindre référence... Le Guillant évoque rapidement les tentatives d’expliquer la migration par une fuite névrotique et la pauvre condition des immigrés par un mécanisme d’échec ; hypothèses jugées indémontrables et sans fondement au regard des analyses psycho-sociales. Bastide mentionnera quant à lui, sans grande conviction non plus, les théories qui voient dans le déplacement une réactivation du sevrage, de la séparation d’avec la mère et la réactivation d’angoisses primitives1. Almeida, à son tour, consacre lui aussi de

brefs développements assassins sur le point de vue des psychanalystes :

« Ainsi, c’est par l’analyse des motivations des « aliénés migrateurs » que certains psychanalystes ont voulu expliquer la surmorbidité chez les populations transplantées. Ils considèrent que la migration représente une fuite pour les individus qui n’ont pas résolu dans leur enfance la problématique oedipienne. La transplantation ne ferait que traduire les conflits internes du sujet en quête symbolique de parents idéaux. Pour eux, l’acte d’émigrer constitue en somme le premier symptôme de troubles latents qui ne tarderont pas à se manifester en force. Cette interprétation qui est partiellement valable pour un secteur de la jeunesse « hippie » de notre temps, et qui l’est entièrement pour un grand nombre d’aliénés voyageurs, ne l’est sûrement pas quand elle s’applique au déra-cinement économique, phénomène surtout d’ordre sociologique2. »

On ne saurait être plus clair : la prédisposition dont témoignent entièrement les aliénés migrateurs et partiellement un pourcentage non négligeable de hippies, n’entre en rien dans l’explication des troubles mentaux chez les transplantés. Certes on ne peut manquer de voir dans cette démonstration un forçage puisque sont mises sur un même plan la prédisposition morbide dans son acception psychiatrique et une logique de l’inconscient propre à une pensée psychanalytique dont, il nous faut tout de même l’admettre au regard de ce qui nous est rapporté, la trivialité ne parvient pas vraiment, ici, à éveiller l’intérêt. Mais il importe d’abord de saisir la manière dont procède cette volonté de rejet définitif de la prédisposition. Le débat ouvert par ce problème de la prédisposition n’est finalement rien d’autre que celui, tout aussi classique que mal posé, opposant facteurs constitutionnels et facteurs sociaux dans l’étiologie des troubles mentaux : ces derniers dérivent-ils du biologique, du constitutionnel et de l’hérédité, ou bien de l’environnement ? Retraçant les principales lignes de force de ce

1. Bastide R., Sociologie des maladies mentales, 1965, op. cit., p. 208.

débat à partir de la position organo-dynamique de H. Ey, Bastide montre comment organogenèse et sociogenèse s’opposent avant tout sur le statut étiologique que l’on doit accorder à l’événement, à la situation : pour les premiers, il ne peut s’agir que d’une variable occasionnelle qui n’influence en rien le processus pathologique tandis que pour les seconds, la survenue de l’événement ou de la situation peut à elle seule provoquer le trouble, qui sera dès lors considéré comme réactionnel1. Or cette alternative est exactement celle devant

laquelle se trouvent les psychopathologues de la migration, comme l’illustre une nouvelle fois cette citation de Almeida :

« Y-a-t-il toujours besoin d’un « terrain » organo-psychique prédisposant ? Un « terrain » sain peut-il, dans sa totalité bio-mentale, réagir au changement écologique par une désintégration pathologique globale de ses structures ? Existe-t-il vraiment des psychoses « réactionnelles » ?2 »

La problématique se fonde bien sur une distinction très marquée entre deux types de facteurs étiologiques : une prédisposition finalement peu éloignée de la notion de constitution (l’organique et le psychique étant situés ici en continuité), et un événement caractérisé par la migration ; pathologie constitutionnelle vs pathologie réactionnelle. Et dans le cadre d’un tel débat, la démonstration du rôle pathogène de la transplantation doit nécessairement exclure l’autre hypothèse selon laquelle il ne peut y avoir que des variables occasionnelles, ou encore : des non-événements. Les auteurs vont ainsi se livrer à une élucidation des troubles psychiques observés en se focalisant uniquement sur les conséquences de l’événement migratoire, c’est à dire sur la seule actualité de la condition de migrant. Le modèle de la prédisposition étant exclu, c’est donc guidés par l’hypothèse d’une sociogenèse que les auteurs vont tenter de mettre à jour les processus par lesquels la migration, le changement de milieu, peut devenir une expérience pathogène en elle-même. Dans ce cadre de pensée, on ne cherchera pas ailleurs que dans la condition de migrant – qui reste à définir – les facteurs susceptibles d’entraver le processus central que représente l’adaptation. Adaptatifs, les troubles psychiques trouveront ici leur fondement dans un ensemble de déterminations sociales et culturelles dont on suppose l’influence morbide sur le processus en question. Or comme l’énonce fort justement Bastide,

« ce qui compte, ce n’est pas l’événement lui-même, ou la migration, mais l’appréciation subjective que l’intéressé s’en fait, la façon dont la personnalité vit la situation sociale dans laquelle elle est impliquée3. »

1. Bastide R., Sociologie des maladies mentales, 1965, op. cit., pp. 90-104.

2. Almeida (de) Z., « Introduction à la psychopathologie de la transplantation », 1972, op. cit., p. 168. 3. Bastide R., Sociologie des maladies mentales, 1965, op. cit., p. 248.

Reformulé dans les termes de la psychopathologie de la transplantation, la problématique de l’adaptation au milieu inviterait à penser de manière dialectique les facteurs externes, « socio-culturels », et les facteurs internes, « individuels ». Il ne suffit effectivement pas de mettre en lumière l’impact pathogène d’une condition socio-culturelle. On doit ensuite être en mesure de rendre compte de ce que d’aucuns nommeront le mode réactionnel propre à chacun, faute de quoi le « migrant » deviendrait bien rapidement une nouvelle entité morbide... Les psychopathologues de la migration ne s’y sont pas trompés puisque tous insistent sur l’impératif de maintenir la dialectique entre ces deux types de facteurs. Cependant, l’évidence de l’un n’a d’égal que l’obscurité de l’autre, précisément à cause du rejet inaugural de la prédisposition. Faute de ne pouvoir le penser autrement que sous la forme de cette prédisposition morbide nécessairement exclue, le facteur « individu » va en effet demeurer radicalement impensable, réduit à un presque rien face à la multiplication des facteurs socio-culturels de vulnérabilité adaptative.

[3.3.2] De l’acculturation...

« L’un d’entre nous (L. Millet) a rapproché, dans une comparaison analogique, l’arboriculture aux notions d’acculturation et de transplantation.

« Parlant de culture, il paraît intéressant de faire référence à la forme la plus simple de celle-ci, l’agriculture. Le premier temps, lorsqu’on veut installer un arbre à une nouvelle place, consiste évidemment à le retirer du lieu où il se trouvait d’abord. On choisit habituellement un sujet assez jeune, particulièrement vigoureux et solide, car un végétal solidement enraciné et de grande taille a beaucoup de mal à être déplacé. Un point essentiel réside dans la conservation du plus grand nombre de ses racines, et c’est pourquoi il sera placé dans un nouveau sol entouré d’une partie de la terre natale : la motte. Ce temps de préparation indispensable doit être minutieux. La préparation comporte aussi l’aération et l’enrichissement du sol récepteur qui doit être creusé et rendu plus accueillant. Mais tous les sols ne se ressemblent pas, de même que les racines des arbres. Il existe parfois des terres de grande qualité, faites de limon humide, sans pierres, de composition minérale équilibrée, dans un climat excellent ; la plupart des plantes peuvent y pousser. Mais, elles sont exceptionnelles. Par contre et en évitant toute notion de hiérarchie, certains sols conviennent bien à certaines racines ; d’autres qui leur sont défavorables sont accueillants pour d’autres arbres : des racines requièrent de la profondeur, d’autres nécessitent une extension en longueur ou en largeur1. » »

1. Millet L., « Acculturation, transplantation et arboriculture » (1980), cité in Bensmail B., Boucebci M., Bouchefra A., Millet L., Seddik-Ameur M., « Psychopathologie et migration », Annales médico-psychologiques, 1982, 140, 6 : 647-662 ; p. 660.

De l’écart au conflit

La mise en échec des processus adaptatifs peut tout d’abord trouver son fondement dans l’écart et la différence entre les caractéristiques du milieu d’origine et celles du milieu d’accueil. Plutôt que de convoquer la notion trop statique de choc culturel, il faudra partir d’une hypothèse plus dynamique, celle du conflit. Ce à quoi serait effectivement confronté le migrant, c’est à un conflit entre ses représentations et valeurs passées et celles qu’il doit acquérir pour non seulement se mouvoir mais surtout s’intégrer pleinement dans le nouveau milieu. Ce mode de construction repose en définitive sur une version bien particulière du processus d’acculturation, pensé ici dans une perspective non plus anthropologique mais psychopathologique. Selon la définition princeps établie par Redfield, Linton et Herskovits dans le Mémorandum pour l’étude de l’acculturation (Memorandum on the Study of Acculturation, 1936), l’acculturation désigne

« l’ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types culturels de l’un ou des autres groupes1 »

Et comme le souligne Bastide à plusieurs reprises, il importe de garder à l’esprit qu’un tel phénomène est avant tout dynamique : il ne correspond pas à un état mais à un processus continu de transformation du modèle culturel initial par la sélection d’éléments empruntés à l’autre modèle en présence. Qu’en est-il alors de ce concept une fois transposé dans la psychopathologie des migrants ? L’idée majeure qui doit être retenue est celle du changement des modèles culturels, non plus au niveau du groupe mais de l’individu. Mais le changement en question est interprété d’une manière particulière puisqu’il est surtout connoté d’un aspect conflictuel : ça ne change jamais sans heurts et c’est bien pour cette raison que des troubles psychiques apparaissent. Scotto et ses collaborateurs pourront ainsi affirmer que le processus d’acculturation permet de saisir

« les difficultés de l’immigré constamment écartelé entre la nécessité de changer et le besoin qu’il a de rester fidèle à lui-même et à sa communauté d’origine. Les processus d’adaptation et d’assimilation sont en effet conditionnés par l’adhésion au modèle culturel du groupe récepteur. L’immigré se voit donc placé devant la nécessité d’une restructuration intégrale de ses références culturelles de base2. »

Un premier facteur de vulnérabilité rencontré par les migrants dans leur périple adaptatif concerne l’écart, et bien souvent l’isolement, linguistique. Nous avons déjà rencontré

1. Cité par Bastide R., « Acculturation » (1968), Encyclopædia Universalis, 1996, Vol. 1. Voir également : Cuche D., La notion de culture dans les sciences sociales (1996), Paris, La Découverte, coll. Repères, 2004 ; pp. 50-66. 2. Scotto J.C., Luccioni H., Liauzu J.P., Pin M., Trouvé J.N., « De la perte d’identité à l’invalidation chez le travailleur immigré », Annales médico-psychologiques, 1982, 140, 6 : 634-638 ; p. 636.

l’analogie dressée par Sivadon, Koechlin et Guibert entre la situation des transplantés et celles des sourds. Deux décennies plus tard, Barros-Ferreira annoncera à son tour que

« l’immigrant analphabète et non francophone est un handicapé1. »

L’isolement linguistique s’accompagne effectivement, surtout chez le migrant isolé, d’un isolement social et culturel qui risque bien de provoquer une rupture radicale de tout lien social. Par ailleurs, hypothèse déjà rencontrée, faute d’une maïtrise suffisante de la langue française le migrant sera contraint de vivre dans un monde de silence quasi-autistique et aura inéluctablement recours, au moins dans les premiers temps, au langage du corps pour exprimer ses difficultés. Cependant la question de l’apprentissage de la langue apparaît rapidement secondaire au regard de celui de nouveaux mécanismes culturels, dont elle ne représente d’ailleurs qu’un aspect. Et cet apprentissage est rendu d’autant plus difficile que l’écart entre le milieu d’origine et le milieu d’accueil est prononcé, comme ce peut être le cas aussi bien pour des jeunes filles bretonnes parties travailler à Paris :

« Plus le port de la coiffe, plus le parler du breton, plus les structures traditionnelles – exprimées à travers ces signes – sont fortes, plus les individus, quand ils émigrent, ont chance, si l’on peut dire, de rencontrer des difficultés d’adaptation et de présenter des troubles mentaux2 »,

que pour des Français musulmans immigrés :

« Dans l’immigration classique, l’immigrant ne peut s’épanouir qu’à condition de s’intégrer dans un système de valeurs nouveau, et d’abord connaître les habitudes et coutumes, puis la langue. [...]. Ici, les systèmes sont si différents que l’acculturation est difficile3. »

Il est nécessaire toutefois de dépasser le simple constat d’une différence culturelle afin de mettre à jour la dynamique qui s’y actualise. Le Guillant envisage celle-ci comme une dialectique entre deux mécanismes fondamentaux : la contradiction et l’aliénation. Le premier repose sur l’idée que les deux milieux ne sont pas seulement différents mais bel et bien contradictoires : il s’exerce une lutte entre deux formes, passée et présente, d’idéologie et de pratique sociale envers lesquelles le migrant nourrit des sentiments ambivalents d’attrait et de répulsion. Dans le meilleur des cas, l’adoption de la forme nouvelle conduit à une intégration complète mais le plus souvent, l’ambivalence ne peut être surmontée et le

1. Barros-Ferreira (de) M., « L’immigrant portugais et « son » hystérie ou l’hystérie de l’immigration », 1978, op.

cit., p. 537.

2. Le Guillant L., « Psychopathologie de la transplantation », 1960, op. cit., p. 3434.

3. Pouget R., Cirba R., Chiariny J.F., Castelnau D., « Troubles psychiatriques chez les Français musulmans immigrés », Annales médico-psychologiques, 1975, 133, 2, 3 : 541-561 ; p. 559.

conflit qui en résulte fait naître l’angoisse, « mère des troubles mentaux ». Quant à l’aliénation, elle désigne la situation d’étranger à la société, d’homme séparé des autres, coupé des échanges sociaux qui seuls permettent de se réaliser et de se désaliéner. Et

« dans le monde, pour lui inconnu et insolite des grandes cités modernes, le migrant, « perdu, exclu de tout », devient étranger non seulement aux autres mais à lui-même. C’est alors qu’il lui arrive de perdre la raison1. »

Le conflit entre les deux référentiels peut alors, d’après Almeida, contraindre la vie affective du migrant à devenir un véritable champ de bataille

« entre les anciens et les nouveaux attachements et les crises de dépersonnalisation pourront se succéder au fil des ans, jusqu’à la restructuration totale d’une identité plus conforme aux exigences socio-culturelles du présent. À l’instar de ce qui se passe dans la cure psychanalytique, il faudrait trouver une solution rapide à ces luttes intestines soit par la « réintériorisation » des valeurs et des objets d’amour perdus, soit par l’introjection de contre-valeurs et de liens affectifs récents. Autrement dit, soit par le retour au pays natal, soit par l’intégration dans le pays d’accueil2. »