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Un contexte défavorable à la mobilité internationale des Colombiens

Chapitre 7. Une mobilité sous haute surveillance: difficultés et stratégies mises en place

7.1 Un contexte défavorable à la mobilité internationale des Colombiens

7.1.1 Fermeture des frontières des Etats-Unis : les trois handicaps de la Colombie

Ces dernières années, les conditions de départ des Colombiens ont beaucoup changé. En effet la Colombie cumule trois handicaps. C’est un pays à fort taux d’émigration, mais aussi un pays producteur de drogue, et un pays qui possède plusieurs groupes définis comme terroristes. En effet les FARC font partie de la liste des Foreign Terrorist Organisations des Etats-Unis depuis le 5 Octobre 2001227. Or la migration, la drogue et le terrorisme sont les trois catégories à contrôler en priorité d’après les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001228. Selon les information du Commandement du Sud 90% de la cocaïne et 47% de l’héroïne qui arrive aux Etats-Unis vient de ou passe par la Colombie 229. Les Colombiens sont donc sous haute surveillance, ce qui a des conséquences sur leur accès à la mobilité.

7.1.1.1 Fermeture en tant que pays à fort taux d’émigration

Etant des individus ressortissants d’un pays considéré à risque migratoire, les migrants colombiens, comme ceux de nombreux autres pays d’Amérique Latine, sont soumis à un titre

227 US Department of State

228 Créatíon du Commandemant militaire du nord, Northern Command, en 2002 suite aux évènement du 11 Septembre 2001.

C’est un espace géopolitique de défense mutuelle face aux menaces non conventíonnelles comme le terrorisme et le narcotrafic incluant les Etats-Unis, le Canada, et le Mexique.

229 Informatíon du site internet du Commandement militaire du Sud (Southern Command partnership for the Americas)

d’entrée, en l’occurrence un visa de tourisme pour entrer aux Etats-Unis. De plus, la Colombie fait partie des pays d’Amérique Latine ayant un des plus forts taux d’émigration internationale étant donné que 10% de la population colombienne vit à l’étranger230. Or selon Durand on peut alors parler de « migration massive »231. Enfin, il y a eu une explosion forte de la sortie du territoire colombien lors des dix dernières années232, ce qui a renforcé la visibilité de ces départs. Or, étant donné que l’Ambassade des Etats-Unis en Colombie reçoit un nombre très important de demandes annuelles233, les personnes se présentant à l’Ambassade sont soupçonnées d’être de possibles futurs migrants clandestins. De nouvelles mesures ont donc été mises en place. Il y a quelques années une fois le visa de tourisme obtenu pour une durée de 5 ans, il était possible de le renouveler par courrier en ne payant que le prix du visa. Aujourd’hui, pour le renouvellement, il est nécessaire de prendre rendez-vous234, de venir personnellement et après avoir été payé, le visa peut être refusé sans aucune explication. Cela montre une volonté de contrôle plus régulier, c'est-à-dire un droit de regard sur l’évolution de la situation des personnes qui ont un visa de tourisme, un désir de passer d’un privilège définitif à un accès plus aléatoire qui peut être retiré à n’importe quel moment, enfin une volonté de profiter de cette manne économique que représentent les demandes de visas.

7.1.1.2 Création de nouvelles frontières internes.

L’ambassade des Etats-Unis tente tout d’abord de réduire le nombre de migrants en fonction de critères économiques et sociaux. Ceci montre une volonté de réduire l’accès à la migration aux plus riches comme une forme de protection contre l’attaque des pauvres, c’est l’éternelle peur des pauvres. Les visas de tourisme ont commencé à avoir un coût de 20 dollars en 1995. Du fait des politiques de sécurité nationale mises en place par les Etats-Unis depuis le 11 Septembre 2001, le coût du visa de tourisme est passé depuis le 1er novembre 2002 de 65 à 100 Dollars, et plus récemment à 131 dollars. Mais des changements ont lieu également au niveau de la liste des critères informels d’obtention, en effet de plus en plus de documents sont demandés. Raymond McGrath qui a été consul à Bogotá jusqu’en 2007 explique : «Bien que la décision de donner un visa dépende essentiellement de l’entretien et du dossier, les demandeurs peuvent aider le fonctionnaire en présentant d’autres documents…(…) ils

230 Le Ministère des Affaires étrangères de Colombie recense 4 millions de colombiens à l’étranger sur une populatíon de 45 millions.

231 Jorge Durand, lors de l’introductíon au Colloque Internatíonal sur Migratíon et Développement en décembre 2008 à Heredía, Costa Rica, prend comme critère le chiffre de 10% pour parler d’émigratíon ou d’immigratíon massive et 7%

comme une migratíon en processus de massificatíon.

232 Voir graphique évolutíon de la migratíon, le pic récent

233Lors d’un entretien, un employé de l’Ambassade des Etats-Unis à Bogotá nous a dit qu’en 2005 la Colombie était le 3ème pays au monde en demandes de visas après la Corée et le Mexique, ce qui représente d’après lui entre 250 000 et 300 000 demandes par an. Selon un article de journal le consul états-unien Raymond McGrath dit qu’en moyenne l’Ambassade de Bogotá attribue 150 000 visas de non-immigrant par an.

234 La prise de rendez-vous grâce à un PIN coûte 15 dollars pour 15 minutes d’appel téléphonique

peuvent inclure une lettre de leur employeur indiquant leur fonction, leur salaire et le temps passé au sein de l’entreprise, …les extraits bancaires des 6 derniers mois, les extraits de naissance des enfants, le certificat de Maríage ou les titres de propriété. »

L’augmentation des critères économiques rend plus difficile la mise en place de la migration, mais ce n’est pas pour autant que les migrants les moins aisés y renoncent. C’est ce que nous confirme un informant de l’Ambassade des Etats-Unis à Bogotá : « l’augmentation des coûts n’a pas eu d’effets sur le nombre de demandes ». Souvent ils investissent toutes leurs économies dans ce projet, ou s’endettent auprès d’une ou plusieurs personnes pour pouvoir le faire. Ceci augmente donc la chaîne des dépendances et rend alors d’autant plus difficile le retour car leur salaire aux Etats-Unis est en grande partie utilisé pour payer ces dettes de mise en mobilité.

Les Etats-Unis ont fermé dans les années 90 les différents consulats des grandes villes de Colombie235, pour ne conserver que leur Ambassade à Bogotá ce qui a réduit l’accessibilité à la demande de documents pour de nombreuses personnes236. Celles-ci doivent donc avoir quelques connaissances technologiques pour consulter les informations sur le site internet, ou faire appel à un tiers spécialisé dans ce genre de transactions ce qui représente un coût additionnel. Ils doivent aussi mettre en place une première forme de mobilité interne étant donné que la plupart des migrants rencontrés à New York ne viennent pas de Bogotá 237. Cela représente donc un investissement en temps et en argent, non seulement pour le dossier de demande de visa mais aussi pour le voyage et le séjour de plusieurs jours dans la capitale. En effet le voyage Cali-Bogotá prend 8 heures en bus. (là carte)

D’un autre côté, connaissant les principales régions d’origine des migrants les plus nombreux, les employés de l’ambassade ont fait une liste des « zones rouges » à surveiller plus particulièrement, c’est le cas de la zone caféière. Selon le DANE c’est effectivement une des régions de Colombie qui a connu le plus de départs internationaux238. Les résultats du recensement de 2005 indiquent que 11,9% des migrants internationaux sont originaires de Antioquia, 7,8% de Risaralda, 3% de Quindío et 2,6% de Caldas. Ces quatre départements appartenant à la zone caféière représentent donc 25,3% du total 239. Il est moins difficile d’obtenir un Visa en venant d’une région à faible migration internationale que d’une région dite « rouge ».

235 Cali, Medellín, Barranquilla

236 Alors que les deux pays d’Amérique Latine dont la populatíon est plus importante que la colombienne, le Brésil et le Mexique ont respectivement 11 et 10 représentatíons des Etats-Unis sur leur territoire, ou que des pays dont la populatíon est moins importante en ont 4 comme la Bolivie.

237 Ils sont originaires de Cali, Medellín et de différentes villes de la zone caféière

238 Recensement de 2005 qui posait pour la première fois des questíons liées à la migratíon internatíonale

239 KHOUDOUR, 2007, p 259

L’aéroport de Bogotá est une plaque tournante au sein du réseau aérien de l’Amérique Latine.

Or il existe en Colombie un développement important des filières de faux papiers240 qui a conduit les Etats-Unis à former les agents du DAS241 de l’aéroport de Bogotá à de nouvelles techniques de contrôle des visas et des passeports242.

Photos 21 et 22. Aéroport de Bogotá

McGrath fait également référence au problème particulier des faux documents : « Il est important de dire que la Colombie est un des pays où il y a le plus de fraudes au sein de l’hémisphère occidental. C’est tellement important que l’Ambassade de Bogotá est une des rares au monde à avoir un fonctionnaire à temps plein chargé de vérifier les cas de faux

240 Selon un employé du Département Administratif de Sécurité rencontré à l’aéroport de Bogotá en 2005 entre 10 000 et 14 000 personnes passent par l’aéroport, chaque jour ils arrêtent à peu près 5 personnes pour faux papiers par jour et 95% des voyageurs de Colombie passent par Bogota

241 Département Administratif de Sécurité

242 Entretien Agent du DAS, aéroport de Bogotá

papiers»243. Physiquement l’ambassade de Bogotá est une véritable forteresse architecturale.

Ceci est dû en partie à l’insécurité en Colombie. Il y a de nombreux contrôles et seules les personnes, faisant la demande de visa, peuvent y entrer. Cela crée une ambiance très stressante et il n’est pas rare de voir des personnes sortir en pleurant.

De nombreux demandeurs de visas ont pu constater qu’ils dépendent avant tout de l’appréciation du fonctionnaire de l’ambassade qui les reçoit en un maximum de dix minutes pour éviter les engorgements244. Les candidats à la migration en concluent alors que c’est une question de chance, d’où les tentatives de demandes à répétition. Amalia de Pereira dit : « Alors maintenant il faut se présenter plusieurs fois à l’Ambassade des Etats-Unis »245. La soeur de Lucia explique: “Il est difficile de savoir si une « connexion », (contact d’un réseau illégal de mobilité), est bonne ou mauvaise, c’est une question de chance, c’est comme lorsque l’on va demander un visa, à une voisine ils lui ont donné alors que tous ses papiers étaient faux, mais à sa fille ils ne lui ont pas donné, c’est une question de chance. »246

Cette opinion est tellement répandue, qu’un petit texte y fait référence sur le site de l’Ambassade des Etats-Unis en Colombie en précisant : « Ce n’est pas une question de chance. Contrairement à ce que de nombreuses personnes disent, la chance n’a aucune influence sur votre obtention ou non de visa de non immigrant ». Cependant les fonctionnaires de l’Ambassade utilisent également un discours ambigu. Il leur arrive régulièrement de donner de l’espoir à des candidats qui ne correspondent pas aux critères, en leur conseillant de renouveler leur demande plus tard. Yaneth de Cali raconte que le visa de tourisme lui a été refusé car son nom apparaissait, soit disant, au sein d’une liste de personnes qui auraient facilité la migration illégale d’autres Colombiens. Et le responsable de son dossier lui a ensuite expliqué par téléphone : « si vous apparaissez dans la liste cela veut dire que vous êtes coupable, mais ça ne vous empêche pas de vous présenter à nouveau plus tard. ». Les fonctionnaires semblent donc pris entre deux logiques : celle du respect des critères de contrôle et celle des intérêts économiques.

Lors de la mise en place de ces premières démarches, les Colombiens se voient confrontés à l’existence de leur mauvaise image à l’étranger. En constituant leur dossier de visa ou en écoutant les conseils d’autres migrants lorsqu’ils font la queue devant l’ambassade, ils apprennent à développer une nouvelle image pour correspondre aux attentes de leurs interlocuteurs. En plus des documents prouvant leur attachement à leur pays d’origine, certains développent un discours de non intérêt pour les Etats-Unis pour que lors de

243 Ceci est confirmé par un article du journal colombien El País du 29 octobre 2006 intitulé « Cali la Meca de los papeles falsos » dans lequel est décrite la ville de Cali comme un des hauts lieux de fabricatíon de faux papiers de Colombie.

244 Le contrôle du temps de l’entretien a été mentíonné par notre informateur

245 « Entonces ahora toca presentarse varias veces a la Embajada de Estados Unidos »

246 « Es difícil saber si una conexión es buena o mala, es suerte, como cuando uno va a pedir una visa. Tengo una vecina; se la dieron y llevaba todos los papeles falsos; pero fue la hija y se la negaron. Es suerte »

l’entretien le fonctionnaire n’ait pas l’impression qu’ils veulent aller s’installer là-bas.

D’autres passent par des professionnels qui leur enseignent les bonnes et mauvaises attitudes.

Dès la mise en place du projet migratoire, les migrants colombiens questionnent leur identité nationale et mettent en place une réflexion sur l’image qu’ils donnent à voir mais aussi sur celle qu’on attend d’eux. Commence alors un travail de réajustement.

7.1.2 Fermeture des frontières de nombreux pays : stigmatisation de la mobilité internationale des Colombiens

Une des particularités de la Colombie, est qu’elle a connu une véritable rupture depuis l’importance de sa participation au sein de l’économie de la drogue, et surtout de sa spécialisation dans la diffusion de ce commerce dans les années 80. A partir de ce moment là, la mobilité internationale des Colombiens a été associée au niveau international à une image négative qui a été largement diffusée dans les médias. Dans certains films ou séries télévisées états-uniennes, la drogue est presque toujours associée à des Colombiens. A tel point que certains lobbys de Colombiens ont porté plainte aux Etats-Unis. Un exemple récent de ce stigmate est le film « Mr et Mrs Smith » la Colombie est représentée sous les bombes des Cartels de la drogue. Cette image négative a été plus développée que celle d’autres pays producteurs de drogue comme le Pérou ou la Bolivie, car les Colombiens se sont spécialisés dans la distribution. Ils sont donc très mobiles et sont présents dans les pays consommateurs et en particulier aux Etats-Unis. Comme les médias et l’industrie du film états-unien a une importante diffusion mondiale, cette image a été rapidement partagée par de nombreux pays.

Ceci a entraîné la fermeture des frontières d’autres pays et en particulier des pays d’Amérique Latine - pays d’accueil ou de transit des migrants colombiens - Cette augmentation des contrôles induite a rendu difficile leur mobilité de façon générale.

Etant donné que le visa permet de mettre à l’écart les indésirables, une cartographie du Visa permet de définir la limite entre les amis et les persona non grata des pays. Voici une carte représentant les pays demandant aux Colombiens de passer par un visa de tourisme pour entrer sur leur territoire.

Figure 55. Document représentant l’accès des Colombiens au Monde

Source : MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES DE COLOMBIE

-Les 23 pays en vert ne demandent pas de visa aux Colombiens

-Les 9 pays en marron ne demandent pas de visa mais conditionnent l’entrée à la présentation d’un autre document

-Pour entrer dans les 8 pays en Bleu, les Colombiens ont besoin d’avoir un visa états-unien, européen ou canadien.

-Les 157 pays en rouge exigent un visa.

Au sein même des conditions d’obtention des visas, de nouvelles formes de sécurité ont été mises en place. Aujourd’hui pour les Colombiens une des conditions pour obtenir un visa de tourisme mexicain est d’avoir le visa de tourisme des Etats-Unis. Pour de nombreux chercheurs, le durcissement de la position du Mexique face aux flux migratoires en transit vers les Etats-Unis répond aux pressions exercées par le gouvernement états-unien. Il y a donc une exportation d’une partie de la gestion des frontières états-uniennes vers le Mexique247. D’autres pays utilisent d’autres moyens de contrôle. L’Equateur et le Panama depuis 2009 ont par exemple choisi de contrôler l’entrée des Colombiens sur leur territoire en leur demandant

247 D’après les données de l’Institut Natíonal de Migratíon détentíons et expulsions ont augmentées : en 1980 le nombre d’expulsions au Mexique étaient de 10 000, en 1990 de plus de 100 000 et en 2005 de plus de 235 000.

Instituto Naciónal de Migración, El INM en números, México : país de origen, de tránsito y destino de migrantes, [http://www.inami.gob.mx/imagenes/comunicacion/presentaciones/INMparte2.swf].

de présenter un casier judiciaire. Enfin, les Colombiens ont également besoin d’un visa pour aller en Europe tout comme les Péruviens, les Equatoriens, les habitants de la Guyane, du Surinam, de Belize et des Caraïbes. Mais au sein de ce groupe, seuls la Colombie et le Surinam doivent passer par des périodes plus longues pour obtenir les visas248.

Bien qu’il y ait une augmentation de l’émigration colombienne, la nouveauté réside plus dans les crispations identitaires particulières et la redéfinition du rôle de l’état nation en particulier la fermeture des frontières des Etats-Unis, de leurs alliers d’Amérique Latine, mais aussi de la plupart des pays du monde influencés par le stigmate développée par les Etats-Unis249. Comme dans beaucoup d’autres flux migratoires, les Colombiens rencontrent des limites à leur mobilité. Cependant la particularité des Colombiens est qu’ils doivent faire face à une fermeture d’ensemble qui remet donc en question la plupart des options qu’ils pourraient avoir imaginées et les obligent à mettre en place des stratégies d’évitement à tous les niveaux.

Les Etats-Unis, la plupart des pays d’Amérique Latine et du monde veulent contrôler leur mobilité. On peut parler de la construction d’un véritable mur symbolique entre la plupart des pays et la Colombie. Leurs difficultés ne sont alors pas circonscrites à un espace régional particulier. C’est donc un limitant généralisé que tous les migrants colombiens partagent, quelque soit leur classe sociale ou leur destination, et qui les rapproche comme nous allons le voir par la suite.

7.2 Stratégies mises en place pour faire face à la fermeture : perte de nationalité pendant