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1 INTRODUCTION

1.1 Contexte de l’étude

1.1.1 L’émotion

D’après Françoise Dejong-Estienne, philologue et orthophoniste, « l’émotion est une richesse pour la voix, elle la fait vivre, lui donne un sens, un contenu. » (Dejong, F. E.

(1991)). Cette citation est une parfaite illustration de la valeur et de l’importance de l’émotion dans un discours. Mais qu’entend-on par «émotion» ? L’étude de l’étymologie de ce mot nous éclaire exactement sur le sens du nom «émotion». Du latin «motio», action de mouvoir et de

«e» qui signifie qui vient de, avec pour racine latine «emovere» qui définit la mise en mouvement, nous pouvons conclure que l’émotion est un mouvement provoqué par une action extérieure créant un état soudain et bref qui s’accompagne, presque systématiquement, de signes physiologiques comme la pâleur, des rougeurs, des tremblements, etc… La capacité à reconnaître l’état émotionnel d’un locuteur est primordiale pour une communication réussie.

L’impact social peut être important si un défaut dans cette aptitude se présente. La communication se fait grâce à l’association d’un message verbal correspondant au sens des mots ou de la phrase et d’un message prosodique porté par la modification de hauteur (fréquence fondamentale), de durée (ou de rythme) et/ou d’intensité (Heilman, K. M., Leon, S.

A., & Rosenbek, J. C. (2004)). Tous ces changements de paramètres peuvent influencer le sens d’une phrase (exemple : une phrase interrogative ou exclamative). Nous appréhendons les émotions vocales, pour l’essentiel, grâce à la prosodie linguistique et/ou émotionnelle (affective). La prosodie peut être congruente ou non congruente sur le contenu sémantique (sens du mot). En d’autres termes, cela signifie qu’un sujet peut évaluer la prosodie sans se référer au sens des mots (congruente) et à l’inverse qu’il peut se concentrer uniquement sur le sens émotionnel du mot (non congruente).

L’expression vocale est composée d’informations sémantiques (sens du mot) et d’informations paralinguistiques (expressions, gestes, mimiques, etc…) (Dupuis, K., &

Pichora-Fuller, K. (2007)). Les indices physiques et visuels de l’émotion qui sont repérables sur le locuteur sont utiles pour son identification. L’étude de T. Most et C. Aviner (2009) a démontré que les personnes âgées interprétaient mieux les émotions grâce aux indices visuels et que leurs scores n’étaient pas améliorés même en combinant les indices auditifs-visuels.

et J.L Arnott (1993) nous apprennent que les indices acoustiques nécessaires à l’identification des émotions seraient transmis grâce aux variations de la fréquence fondamentale. Cette dernière ainsi que les premiers harmoniques se trouvent dans les Basses Fréquences (BF). De plus, l’émotion vocale est transmise par un ensemble d’indices et de paramètres acoustiques tel que le tempo, le pitch, la variation de hauteur, l’enveloppe ou encore l’intensité (Scherer 1995).

Les études d’Hugo Fillol (2017), Füllgrabe, C., Moore, B. C., & Stone, M. A. (2015);

Dupuis, K., & Pichora-Fuller, K. (2007) et de Paulmann, S., Pell, M. D., & Kotz, S. A. (2008) ont mis en évidence que les personnes âgées normo-entendantes avaient une perception dégradée des émotions par rapport à des jeunes normo-entendants. En effet, d’après les deux études suivantes, celle de Mitchell, R. L. (2007) et celle de Mitchell, R. L., Kingston, R. A., &

Barbosa Bouças, S. L. (2011), il semblerait que les sujets âgés rencontrent plus de difficultés à décoder les indices émotionnels prosodiques et en particulier la hauteur prosodique. Un second article de Mitchell, R. L., & Kingston, R. A. (2014) a conclu qu’il existe un lien entre l’âge du sujet et la mauvaise compréhension des émotions prosodiques au niveau du traitement sensoriel.

Parallèlement, plusieurs articles, notamment celui de Paulmann, S., Pell, M. D., & Kotz, S. A.

(2008), certifient que le genre d’une personne n’a aucun effet sur l’identification des émotions.

Les hommes et les femmes reconnaissent les émotions de manière identique.

Si l’on en croit les conclusions des articles précédents certifiant que les émotions se-raient transmises par les Basses Fréquences (BF), la perte auditive sur les Hautes Fréquences (HF) ne devrait donc pas avoir d’impact sur la reconnaissance des émotions. Or, les études d’Hugo Fillol (2018) et de Goy, H., Pichora-Fuller, M. K., Singh, G., & Russo, F. A. (2016) démontrent que les sujets malentendants presbyacousiques perçoivent encore moins bien les émotions que les personnes âgées normo-entendantes. De plus, ils ont conclu que les Appareils de Corrections Auditives (ACA) redonnent de l’intelligibilité mais n’améliorent pas forcément la reconnaissance des émotions. En effet, dans son étude, Hugo Fillol (2018) a rapporté les pourcentages de reconnaissance des émotions suivants: 53 % pour les malentendants sans ACA contre 57,3% pour les malentendants avec ACA, sachant que les normo-entendants ont obtenu un score de 89,4%. Les chiffres relevés par Goy, H., Pichora-Fuller, M. K., Singh, G., & Russo, F. A. (2016) les ont amenés à la même conclusion puisqu’ils ont obtenu un pourcentage de reconnaissance d’émotion de 38 % sans ACA contre 40% avec ACA. Ces résultats montrent que les ACA n’engendrent aucun bénéfice supplémentaire.

Cependant, des interrogations demeurent sur les difficultés rencontrées par des sujets

modification du traitement des émotions dans les circuits neuronaux ou encore dégradation du traitement du signal par les ACA sont autant de pistes à explorer pour tenter d’expliquer cette problématique.

1.1.2 Lien entre émotions et audioprothèse

La question d’une bonne reconnaissance des émotions n’est que très peu abordée lors d’une rééducation audioprothétique. Actuellement, l’objectif principal est d’accroître l’intelli-gibilité du patient à l’aide de corrections acoustiques appropriées et spécifiques.

D’après l’étude de Castro, S. L., & Lima, C. F. (2010), l’absence de contenu sémantique n’est pas préjudiciable à la reconnaissance de l’émotion. Il serait donc cohérent qu’un ACA, dont la fonction est de combler la perte d’informations manquantes pour améliorer l’intelligibilité, restitue par la même occasion les émotions. Or, il s’avère que ce n’est pas le cas. Il importe donc de comprendre pour quelle(s) raison(s). A ce jour, aucune étude n’a pu établir si cette absence de bénéfice découlait du fait que les ACA ne parviennent pas traiter les signaux émotionnels ou si ce sont les porteurs d’ACA qui étaient incapables d’utiliser ces signaux.

A l’heure actuelle, les ACA sont très évolués et offrent un certain nombre de possibilités de réglages (directivité microphonique, anti-larsen performant, connectivité, compression, gain, MPO, duplication fréquentielle, etc,…) faisant varier de façon positive ou négative les traitement du signal. Lors d’une réhabilitation prothétique, l’audioprothésiste agit principale-ment et systématiqueprincipale-ment sur la compression et le gain pour différentes bandes de fréquences.

Ces deux paramètres sont les éléments essentiels et principaux que nous trouvons dans les ACA.

Un gain trop fort ou trop faible peut avoir une influence sur l’intelligibilité de même que la compression (Souza, P. (2007)). Par conséquent, nous pouvons nous demander si le gain et/ou la compression pourraient aussi avoir un impact positif ou négatif sur l’identification des émo-tions.

1.1.3 La compression

La compression est utilisée dans de nombreux domaines (radio, télévision, musique, publicité) et dans les ACA. Dans l’industrie musicale, la compression dynamique est un moyen de donner l’impression que la musique est plus forte (Vickers, E. (2010) ; Taylor, R. W., &

qualitativement le pincement de la dynamique résiduelle (Moore, B. C. (2008)). Elle sert d’autre part à éviter les excès de volume (augmentation des sons faibles sans amplifier les sons forts) et à contrôler la dynamique d’un signal tout en prenant en compte la dynamique réduite du malentendant. Elle a un rôle de « sécurité », de limiteur. Elle varie en fonction de plusieurs paramètres (ratio, seuil d’enclenchement, Temps d’Attaque (TA), Temps de Retour (TR) et vitesse de compression) (Walker, G., & Dillon, H. (1981)). Dans les ACA, nous pouvons ren-contrer trois types de compressions différentes : la compression linéaire, la compression Wide Dynamic Range compression (WDRC) ou « compression sur une gamme dynamique étendue », rapide et la compression WDRC lente (Croghan, N. B., Arehart, K. H., & Kates, J. M. (2014) ; Kates, J. M. (2008)).

Par ailleurs, les études de Schmidt, J. C., & Rutledge, J. C. (1996, May), de Croghan, N. B., Arehart, K. H., & Kates, J. M. (2014) et de Mussoi, B. S., & Bentler, R. A. (2015) démon-trent que la compression a un impact négatif sur l’écoute musicale. En effet, dans les ACA un taux élevé de compression lors de l’audition d’un morceau va détériorer la qualité sonore mais aussi les caractéristiques acoustiques de certains instruments. Dans leur article, Gilbert, M., Jiradejvong, P., & Limb, C. (2019) confirment cette hypothèse. Ils affirment l’impact négatif de la compression au niveau de l’écoute de la musique par les implantés cochléaires. De plus, l’article de Souza, P. (2007) déclare qu’une compression avec un ratio supérieur à 2 :1 serait préjudiciable à l’intelligibilité.

L’étude de Mussoi, B. S., & Bentler, R. A. (2015) est à l’image des études précédentes et affirme que des auditeurs (mélomanes ou non) normo-entendants ainsi que des auditeurs malentendants ayant une perte légère à moyenne ont préféré la qualité musicale avec des taux de compression très faibles, voire nuls. De même, l’article de Neuman, A. C., Bakke, M. H., Hellman, S., & Levitt, H. (1994) montre que les patients appareillés préfèrent des taux de com-pression faibles allant de 1 :1 à 2 :1 selon trois conditions d’écoute : dans le calme, dans une cafétéria ou en présence de vent.

1.1.4 Le gain

Si l’on s’en réfère aux précédents articles, une compression trop importante a un impact négatif sur la qualité sonore mais elle joue néanmoins un rôle très important. Par ailleurs, cette compression ne pourrait pas agir sans l’élément essentiel présent dans les ACA à savoir le gain (Moore, B. C., & Glasberg, B. R. (1988)). De plus, il ne faut pas oublier que les premiers ACA

l’évolution des prothèses, les chercheurs se sont rendus compte qu’il était nécessaire d’introduire un compresseur AGC (contrôle automatique du gain) en particulier pour les pertes de perception dans le but de compenser le recrutement (pincement de la dynamique résiduelle) que celles-ci engendrent (Kates, J. M. (2008) ; Arai, T., Yasu, K., & Hodoshima, N. (2004)). Le gain permet d’amplifier les sons non perçus par un malentendant. Il est nécessaire, à ce dernier, pour améliorer son intelligibilité en particulier dans le calme. On peut penser que le gain, qui est le réglage principal pour restituer l’intelligibilité dans les ACA, soit également propice à restituer une reconnaissance des émotions.