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Chapitre 2 : Parcours méthodologique

2.3 Construction de l’objet de recherche

2.3.1 Génèse

En tant que coordinatrice du Cursus de formation d’enseignants d’anglais et de français, « Licenciatura » en Langues Étrangères, dans le siège principal de l’Université publique d’Antioquia à Medellín en Colombie, je fus chargée de mettre en place le même cursus en milieu rural. C’est pourquoi depuis février 2005, je me suis intéressée à la Région Oriente, située à environ une heure de route de la ville de Medellín.

Lors des entretiens effectués en mars 2006 dans le cadre de ma recherche de Master 2, les futurs enseignants ont exprimé un sentiment de responsabilité vis-à-vis de leur pays. Ils ont évoqué leurs préoccupations ( les valeurs sociales, l’éducation des enfants, le Traité de Libre Échange avec les États-Unis, la qualité de l’enseignement de l’anglais dans les écoles rurales, la situation civile dans le pays ) et leurs ambitions ( créer une école bilingue, changer l’image internationale du pays, égaliser les chances pour tous ) de jeunes futurs enseignants de langues étrangères en milieu rural.

LES ENJEUX SOCIO-ÉCONOMIQUES DE L’ENSEIGNEMENT PLURILINGUE EN MILIEU RURAL EN COLOMBIE : Le cas de l’Oriente d’Antioquia. B. VILLA

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8 Dans L’Anthropologie dynamique et relationnelle. Extrait de Georges Balandier ( 1971 ) Sens et puissance, Presses

Universitaires de France, pp.13-16. http://socio.univ-lyon2.fr/IMG/pdf/texte_Balandier.pdf (Dernière consultation le 05/10/2013 )

Signes de transcription

P future enseignante de langues étrangères / intonation montante \ intonation descendante & répétition : allongement du son .. pause [ ] prononciation EN MAJUSCULES emphase

P : on doit nous ouvrir/&nous ouvrir et: je crois que: c’est très important de: d’avoir de bonnes relations avec la&avec les autres pays parce que:: éh : mhm: nous avons besoin de:: de grandir/ et économiquement/ euh:: je crois que :&je crois que nous devons travaille[R] ensemble euh: pour avoir:: je ne dis&je ne dis pas que: LA PAIX/ parce que: pour moi/ c’est mhm& c’est très&très difficile de&d’atteindre mais je crois que:: si l’éducation en Colombie est très ouverte/ euh:: nous pouvons: nous pouvons avoir de meilleurs&de meilleurs emplois/ et nous pouvons avoir: de meilleures opportunité[s] euh: je crois que: nous:: nous:: nous pouvons:: valoir/&valoir\ notre culture aussi 9

Suite à ce qu’ils ont exposé, je leur ai proposé de réfléchir à un projet de diffusion des langues qu’ils acquéraient et qu’ils enseigneraient plus tard. Une vingtaine de futurs enseignants ont pris au sérieux ma proposition. Nous nous sommes organisés et avons fondé une pépinière de recherche nommé Groupe d’Étude Langue Vivante Oriente ( GELVO ), afin de concrétiser le projet d’enseignement auprès d’un public local.

Un dispositif pédagogique, objet de cette étude, a été mis en place à mon initiative. Il rassemblait une vingtaine de jeunes enseignants. Une trentaine d’habitants de cette Région rurale a exprimé le souhait d’apprendre une langue étrangère. Ma démarche est, de ce fait, partiellement construite à des fins de recherche se nourrissant d’un volet expérimental. En revanche, le choix des groupes Apprenant, le déroulement du projet et les interactions entre les groupes, ont été imposés par la réalité même du contexte.

9 Villa, B., 2006, Apprentissage de langues étrangères en milieu alloglotte. Étude de cas Université d’Antioquia, Annexe rurale Oriente, Colombie. Mémoire de recherche Master 2 Linguistique, sociolinguistique et développement

langagier. Dirigé par Marinette Matthey. Université Stendhal Grenoble 3, France.

Corpus « L’impact social de l’apprentissage des langues », Entretien collectif semi directif, Étudiants de langues étrangères. Annexe 10b.

2.3.2 Spécificité et originalité de l’objet

Je me suis intéressée aux changements sociaux et économiques entrainés par l’ouverture d’un cursus universitaire de formation d’enseignants de langues étrangères, et plus particulièrement à l’impact des nouvelles langues et cultures étrangères dans cette zone rurale colombienne. Ce nouvel enseignement plurilingue s’adressait-il seulement aux futurs enseignants et à leurs futurs élèves ? Ou bien, ce nouveau plurilinguisme allait-il avoir un impact direct sur les autochtones ? Qui étaient les bénéficiaires des apports de ces nouvelles langues et cultures ? Et comment ?

Les réponses à ces questions laissaient entrevoir l’architecture sociale locale et ses modes opératoires. Dès le début du projet, quatre thématiques de recherche ont émergé :

• la circulation de l’information dans la région

• les représentations des langues et cultures étrangères • les dynamiques sociales

• le développement local souhaité

La réponse locale, très positive face au projet entrepris par GELVO, montre que l’apprentissage d’une langue étrangère dans une région rurale constitue un projet mobilisateur de l’action collective et devient une potentielle source de changements sociaux.

Pour la première fois cette région rurale colombienne accueille un cursus universitaire de formation d’enseignants d’anglais et de français langues étrangères dispensé par le système public. Mais ce n’est pas ce fait inédit qui constitue la singularité de notre travail : ce sont plutôt les groupes Apprenant et leur choix de la langue à apprendre. En effet, le souhait de ces petits

producteurs agricoles et artisans céramistes d’apprendre le français peut surprendre. Lorsque je

commentais mon intention d’analyser leur processus d’apprentissage auprès de collègues ou d’amis, j’obtenais souvent des réactions telles que : « À quoi sert le français pour un agriculteur

colombien ? La langue française en zone rurale en Colombie, pour quoi faire ? ». Tandis que le

projet prenait forme et que je construisais mon objet d’étude, je devais légitimer la démarche de ces acteurs ruraux vis-à-vis des personnes extérieures à leur contexte. Pour cela, je m’appuyais souvent sur des arguments comme l’égalité des chances dans la formation tout au long de la vie,

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la valorisation de la production locale par certains réseaux commerciaux, ou encore la présence grandissante d’interlocuteurs étrangers en Colombie, suite aux politiques d’ouverture économique depuis les années 1990.

2.3.3 Hypothèses opératoires

Nous venons de voir que dans le contexte rural de l’Oriente d’Antioquia en Colombie, l’apprentissage du français langue étrangère stimule les acteurs à s’organiser et à agir ensemble. Cette action collective génère de nouvelles configurations sociales répondant à des changements initiés par les acteurs eux-mêmes. Nous avançons donc l’idée que la langue française en milieu rural constitue un moyen d’amélioration des conditions de vie et d’insertion dans une nouvelle dimension de développement. C’est alors toute la complexité de la vie sociale et de la relation au développement qui seront visées dans notre étude.

La prise en compte des réseaux sociaux existants permet de dégager les contraintes qui encadrent l’action collective. Selon Sabelli ( 1993 : 34 ), « la connaissance des faits sociaux doit

passer par l’examen conjoint de ce qui relève de la situation contingente et de ce qui se trouve incorporé dans les systèmes de pensée et dans les structures sociales ». La relation entre ces

champs constitue une piste pour notre démarche. Il s’agira d’étudier les représentations et les pratiques sociales. Voici les grand domaines que nous explorerons :

Les systèmes de pensée • Représentations sociales • Logiques d’action

Les configurations sociales • Réseaux sociaux

• Pratiques sociales

Les actions sociales ( Dispositif d’enseignement de la langue étrangère ) • Les processus organisationnels

• Culture d’apprentissage des acteurs • Schémas de transmission des savoirs

Nous prendrons comme point de départ les questions suivantes :

• Quels sont les enjeux de l’apprentissage du français langue étrangère en zone rurale ?

• Dans quelle mesure le plurilinguisme en milieu rural modifie-t-il la configuration sociale existante ?

• Dans quelle mesure ce plurilinguisme influe-t-il sur les dynamiques de développement des acteurs sociaux ?