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La construction jurisprudentielle aboutissant à l’abus dans la détermination du prix dans les contrats de distribution. La jurisprudence qui a conduit à la consécration de

III. Les clauses des contrats conclus entre professionnels, possibles pratiques restrictives de concurrence

90. La construction jurisprudentielle aboutissant à l’abus dans la détermination du prix dans les contrats de distribution. La jurisprudence qui a conduit à la consécration de

la notion d’abus dans la détermination du prix s’est fondée sur une notion totalement différente : celle d’indétermination du prix dans les contrats de vente299. Elle considérait qu’un contrat-cadre de distribution s’apparentait à un contrat de vente en raison de l’obligation du revendeur d’acheter auprès du fournisseur. L’application de l’exigence d’un prix déterminé découlait de ce raisonnement300. Sans modification de la position de sa jurisprudence, la Cour de cassation s’est ensuite fondée sur la notion plus générale d’objet des contrats301. Elle sanctionnait, en les annulant, les contrats d’approvisionnement exclusif qui ne comportaient pas de prix sur ce fondement, même si elle a ensuite distingué et exclut de cette exigence les contrats de distribution impliquant essentiellement des obligations de faire302. Ces décisions ont suscité un important débat doctrinal303. Au milieu des années 1990, la Cour de cassation a effectué un revirement de jurisprudence304 la conduisant, dans quatre arrêts de l’assemblée

interventions de G. Teboul, p.3, L. Mosser intitulée « Abus de majorité, abus de minorité : le choc des cultures », p.13 et P. Roussel-Galle, intitulée « Brève introduction historique », p.6.

299 Art. 1591 C. civ. : « Le prix doit être déterminé et désigné par les parties ».

300 Décisions rendues en matière de contrats comportant des engagements d’exclusivité d’approvisionnement avec des compagnies pétrolières : Cass., com., 27 avr. 1971 (4 arrêts) n°70-10.216, 70-10.752, 70-10.753, 70-11.444, Bull. civ., IV, n°107 ; D., 1972, p. 353, note sous arr. J. Ghestin ; JCP, G, 1972, II, 16975, note sous arr. J. Boré ; RTD Com, 1972, p. 1068, note J. Hemard ; V. aussi : Cass. com., 5 nov. 1974, n°70-11.920, Bull. civ., IV, n°262 ; En matière de contrats de bière : Cass. com., 12 fév. 1974, n°72-13.959, Bull. civ., IV, n°54, D. 1974, p. 414, note sous arr. J. Ghestin.

301 Le fondement de l’article 1129 C. civ. a été appliqué dans trois arrêts Cass. com., 11 oct. 1978, n°77-10.155, 77-11.624, 77-11.485, Bull. civ., IV, n°223, 224 et 225 ; D. 1979, p. 135, note R. Houin ; JCP, G, 1979, II, 19034, note Y. Loussouarn.

302 Cass. com., 9 nov. 1987, n°86-13.984, Bull. civ., IV, n°237, D., 1989, p. 35, note P. Malaurie ; JCP, G, 1989, II, 21186, note G. Virassamy ; RTD Civ., 1988, p. 527, note J. Mestre ; RTD Com., 1989, p. 674, note B. Bouloc.

303 V. not. : L. Aynès : « Indétermination du prix dans les contrats de distribution : comment sortir de l’impasse ? », D., 1993, p.25 ; M. Béhar-Touchais : « La structure du contrat cadre de distribution et la détermination du prix des contrats d’application », JCP, G, 1994, I, 3800 ; L. Vogel : « Plaidoyer pour un revirement : contre l’obligation de détermination du prix dans les contrats de distribution », D. 1995, p. 155 ; D. Ferrier : « La détermination du prix dans les contrats stipulant une obligation d’approvisionnement exclusif », D. 1991, p.237 ; M.-A. Frison-Roche : « L’indétermination du prix », RTD Civ., 1992, p. 269 ; J. Ghestin : « Réflexions sur le domaine et le fondement de la nullité pour indétermination du prix », D. 1993, p. 251 ; F. Leduc : « La détermination du prix, une exigence exceptionnelle ? », JCP, G, 1992, I, 3631 ; D. Legeais : « La détermination du prix d’achat des marchandises dans les contrats de franchise : l’espoir déçu », JCP, E, 1992, p. 135.

304 Avant même la position de l’Assemblée plénière, deux arrêts avaient anticipé le revirement de jurisprudence : Cass. 1ère civ., 29 nov. 1994, deux arrêts, n°91-21.009, Bull. civ. I, n°348 ; D. 1995 p. 122, note sous arr. L. Aynès ; RTD Civ., 1995, p. 358, note J. Mestre ; JCP G, 1995, II, 22371, note sous arr. J. Ghestin. V. aussi : J. Ghestin : « L’indétermination du prix entre passé et avenir », P. Aff., 6 mars 1996, n°29, p. 19.

plénière, à admettre les contrats-cadres de distribution qui ne précisaient pas de prix305. Trois des quatre arrêts sont rendus sur les fondements des anciens articles 1134 et 1135 du Code civil306 mais le quatrième considère que l’ancien article 1129 du même Code307 n’est pas applicable à la détermination du prix. Le premier apport de ce revirement de jurisprudence308 se trouve dans cette affirmation ; il s’ensuit que le prix ne constitue pas l’objet du contrat-cadre de distribution. Mais, il ne s’agit pas du seul aspect du revirement. La jurisprudence permet également au fournisseur de fixer le prix, postérieurement à la conclusion du contrat, validant ainsi les clauses qui prévoient cette prérogative unilatérale, et abandonnant le « principe de prédétermination »309. Le garde-fou prétorien réside dans la notion d’abus, l’abus dans la détermination du prix. Le fournisseur a la possibilité de fixer le prix sous réserve de ne pas commettre d’abus dans cette fixation. La jurisprudence modifie enfin la sanction, précédemment caractérisée par l’annulation du contrat, et qui est désormais la responsabilité contractuelle de la partie qui a commis un abus dans la fixation du prix. La notion d’abus paraît particulièrement adaptée puisque le contractant dispose d’un droit de fixer le prix conféré par une clause du contrat de distribution. Ce droit de fixer le prix est limité par la sanction des abus. Pour autant, l’abus dans la détermination du prix consistera, en pratique, en un prix vu comme excessivement élevé par l’autre partie. Le contrôle juridictionnel se transforme alors en un contrôle du prix, avec la nécessité d’une référence, afin de permettre l’appréciation du prix fixé en vertu de la clause. Cette question ne semblait pas se poser lors des décisions de 1995 qui envisageaient surtout les situations dans lesquelles la clause fait référence à un prix catalogue du fournisseur, applicable, au jour de la commande. Pour autant, elle se pose en

305 Cass. Ass. Plen., 1er déc. 1995, quatre arrêts, n°91-15.578, n°91-15.999, n°91-16.653, n°93-13.688, Bull. Ass. Plen., n°7, 8 et 9 ; D., 1996, p. 13, note L. Aynès et concl. M. Jeol ; RTD Civ., 1996, p. 153, note J. Mestre ; JCP, E, 1996, 776, comm. L. Leveneur ; Adde : C. Jamin : « Réseaux intégrés de distribution : de l’abus dans la détermination du prix au contrôle des pratiques abusives », JCP, G, 1996, I, 3959 ; La détermination du prix :

nouveaux enjeux, un an après les arrêts de l’Assemblée plénière, colloque Centre d’étude de la distribution

intégrée pour le partenariat, Laboratoire de droit des affaires de l’Université Montpellier I, 1996, RTD Com., 1997, p. 1-84, spéc. M. Jéol : « Le contenu juridique des décisions du 1er décembre 1995 », p.1 ; C. Jamin : « La détermination du prix : les apports au droit des contrats-cadre », p. 19 ; T. Revet : « La détermination du prix : les apports au droit des relations de dépendance », p. 37 ; D. Ferrier : « La détermination du prix, les apports au droit commun des obligations », p. 49.

306 Cf., après l’entrée en vigueur de l’ord. n°2016-131, respectivement art. 1104 et 1194 C. civ.

307 Cf., après l’entrée en vigueur de l’ord. n°2016-131, art. 1163 C. civ.

308 La jurisprudence avait auparavant soumis certains contrats de distribution à l’exigence contenue dans l’article 1591 du Code civil selon lequel le prix de la vente doit être déterminé par les parties : Cass. com., 27 avril 1971 et 5 nov. 1971, D., 1972, p. 353, note J. Ghestin, Cass. com., 21 févr. 1974, D., 1974, p. 414, note J. Ghestin. Par la suite, la Cour de cassation a remplacé ce fondement par l’article 1129 du Code civil pour considérer que le prix constituait l’objet des contrats-cadres de distribution (contrat d’approvisionnement exclusif en l’occurrence), de sorte qu’en l’absence de prix déterminé, ces contrats devaient être annulés : Cass., com., 11 oct. 1978, D., 1979, p. 135, note Houin. Sur la jurisprudence antérieure, v. le comm. précité de L. Leveneur, qui la résume au début de son commentaire.

309 Sur ce point v. not. D. Ferrier : « La détermination du prix : les apports au droit commun des obligations », précité.

doctrine, qui estime que le juge devra prendre en compte le prix du marché, en appréciant d’abord objectivement l’abus310 avant la prise en compte d’éléments subjectifs. La jurisprudence semble employer indifféremment plusieurs critères comme la volonté de réaliser un profit illégitime311, le fait que le contractant doive être en mesure de faire face à la concurrence312, ou le fait que le bénéfice d’une société doive d’abord permettre de résoudre les difficultés financières de ses contractants distributeurs, et non pas être distribué à ses actionnaires313.

91. La consécration législative de la construction jurisprudentielle relative à l’abus dans la détermination du prix dans les contrats de distribution. A l’occasion de la réforme du droit des contrats, opérée par l’ordonnance du 10 février 2016314, le législateur a « tenu compte de la jurisprudence sur la fixation du prix »315. Désormais, le Code civil prévoit que le prix peut être « fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation », et précise qu’en « cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts, et le cas échéant la résolution du contrat ». Outre la consécration de la jurisprudence qui s’était construite autour de la notion d’abus dans la fixation du prix pour permettre la fixation unilatérale du prix, mais engager la responsabilité de celui qui abus de cette prérogative, le législateur ajoute ainsi une obligation de motivation, en cas de contestation. Il est aisé d’imaginer qu’en cas de contestation, il appartiendra d’abord à celui qui a fixé unilatéralement le prix d’apporter la motivation de cette fixation, puis, si celle-ci n’est pas satisfaisante, il sera possible de caractériser un abus dans la fixation du prix, qui pourra être sanctionné judiciairement316. Cette consécration législative peut résolument apparaître comme une innovation de l’ordonnance de

310 M. Chagny : Droit des contrats et droit commun des obligations, précité, n°970 et s.

311 CA Versailles, 27 janv. 2000, CA Paris, 25e ch. A, 19 mai 2000, RTD Civ., 2000, p. 570, note J. Mestre et B. Fages.

312 Cass. com., 4 nov. 2014, n°11-14.026 ; JCP, E, 2014, 1639, note sous arr. A.- S. Choné-Grimaldi, v. aussi, du même auteur : JCP, G, 2014, 1310 ; D. 2015, p. 183, note sous arr. J. Ghestin ; AJCA, 2015, p. 78, note S. Bros ; Revue de droit rural, avr. 2015, n°432, comm. 67, note sous arr. N. Dissaux ; RDC n°2/2015, p. 233, note P. Stoffel-Munck ; p. 293, note M. Béhar-Touchais.

313 Cass. com., 15 janv. 2002, n°99-21.172, D. 2002, p. 1974, note sous arr. P. Stoffel-Munck ; D. 2002, p. 2841, note D. Mazeaud ; RTD Civ., 2002, p. 294, note J. Mestre et B. Fages ; JCP G, 2002, II, 10157, note sous arr. C. Jamin.

314 Ord. n°2016-131 du 10 fév. 2016, précitée.

315 Pour reprendre les termes relatifs à cette consécration du Rapport au Président de la République relatif à l’ord. n°2016-131.

316 Sur ce mécanisme, v. : J. Moury : « La fixation unilatérale du prix dans le contrat cadre », in Dossier : Réforme

du droit des contrats : quel impact sur les contrats d’affaires, AJCA, 2016, p. 123 ; Adde, relativement au projet

de cette consécration : C. Aubert de Vincelles : « Article 1163 : la fixation unilatérale du prix », in Dossier : « Projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats : articles choisis », RDC, n°3-2015, p. 733-810, spéc. p. 752.

2016, puisqu’elle consiste en l’appréhension d’une pratique par le droit commun des contrats, au stade de l’exécution d’un contrat cadre.

92. La place de l’abus dans la détermination du prix dans la sanction de pratiques. La qualification de la détermination unilatérale du prix, par l’un des contractants dans un contrat de distribution, en pratique ne semble pas aller de soi. La pratique consiste en un comportement. Elle revêt les caractères d’un fait juridique. La question est alors de savoir si l’application d’une clause contractuelle selon laquelle l’une des parties détermine le prix du contrat peut être vue comme une pratique. Il apparaît que cela ne pose guère de difficulté en doctrine, où la fixation unilatérale du prix est vue comme un comportement du contractant317. En effet, la qualification d’acte juridique sied, de prime abord, mal à la détermination du prix par l’une des parties. Pourtant, ce pouvoir unilatéral est contractuellement prévu ; il trouve sa source dans un acte juridique. Ne serait-il pas, alors, possible de soutenir qu’il s’agit d’une manifestation unilatérale de volonté, acceptée par avance via le contrat qui prévoit cette manière de fixer le prix, revêtant donc les attributs de l’acte juridique. En application d’un contrat, l’une des parties fixe unilatéralement le prix. Il s’agit d’un comportement, mais il est fondé sur une clause d’un contrat. Une fois fixé, et à moins d’un abus dans la fixation, le prix fait corps avec le contrat, il en devient l’un des éléments, en attendant la prochaine fixation. La fixation du prix est ainsi une pratique, mais elle peut être vue comme revêtant les caractères de l’acte juridique. Désormais consacré par la loi, l’abus dans la fixation unilatérale du prix s’apparente à la seule pratique qui est appréhendée par le droit commun des contrats, au stade de l’exécution. Cette pratique peut être sanctionnée via la sanction prévue par le droit des contrats : la responsabilité contractuelle318.

c. L’abus de l’état de dépendance.

93. Création de l’abus de l’état de dépendance comme forme possible de la violence. L’ordonnance du 10 février 2016 permet la sanction d’une autre forme d’abus : l’abus de l’état de dépendance. Au contraire de l’abus dans la fixation unilatérale du prix, qui peut être commis en cours d’exécution d’un contrat cadre, l’abus de l’état de dépendance est un vice du consentement, ou un abus commis dans l’objectif de faire conclure celui au détriment duquel il est mis en œuvre. Ainsi, l’article 1143 du Code civil prévoit qu’il « y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve

317 G. Chantepie : La lésion, préf. G. Viney, Paris : LGDJ, Coll. Bibl. de droit privé, t. 467, 2006, n°266 ; M. Chagny : op. cit., n°979 ; B. Fages : op. cit., n°823.

son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif »319. Aussi, ce texte érige-t-il l’abus en tant que condition à établir pour caractériser cette forme particulière de violence. Le législateur paraît alors permettre l’appréhension d’une pratique qui consiste en un abus de l’état de dépendance d’un cocontractant. La notion d’abus est ainsi présente dans deux dispositions du droit des contrats, qu’il est possible d’analyser comme des dispositions permettant la sanction de pratiques critiquables de contractants. Pour autant, la notion d’abus, telle que définie par la doctrine, ne peut être vue comme jouant un rôle central dans l’appréhension par le droit des contrats, de pratiques.

94. Le faible usage de la notion d’abus pour la sanction des pratiques par le droit des contrats. Désormais légalement consacrée, la notion d’abus peut permettre la sanction, sur le fondement du droit des contrats, de pratiques mises en œuvre par des cocontractants. Pour autant, la notion ne peut être considérée comme ayant, à l’occasion de la réforme de 2016, atteint l’ensemble du potentiel qui a été décelé par la doctrine. Aussi n’est-elle pas une notion générale permettant l’appréhension de l’ensemble des comportements des cocontractants qui peuvent être abusifs. La notion est circonscrite à l’abus dans la détermination unilatérale du prix et à l’abus de dépendance. S’agissant de l’abus dans la détermination du prix, sa sanction peut apparaître comme le moyen d’appréhender une pratique mise en œuvre par un contractant, mais la source du comportement demeure l’acte juridique, ou plus précisément la clause du contrat qui permet à un contractant de procéder à une telle fixation. Aussi, cet abus est-il sanctionné davantage comme un acte juridique, par la résolution du contrat et la responsabilité contractuelle320, que comme un fait juridique, qui aurait supposé l’engagement d’une responsabilité délictuelle. Concernant l’abus de dépendance, il est possible de constater que l’abus est pris en considération dans l’appréciation de cette forme particulière de violence, et que cette pratique est ainsi sanctionnée. Pour autant, il faut préciser qu’elle n’est sanctionnée qu’à condition que le contrat ait été conclu321, et que les abus de dépendance, qui aboutissent à un échec des négociations contractuelles, demeurent non sanctionnés par cette disposition. Aussi, les consécrations relatives à l’abus opérées par la réforme de 2016 ne semblent pas pouvoir remettre en cause une observation qu’il aurait été possible de faire avant la réforme,

319 Sur ce texte, v. : M. Chagny : « Les contrats d’affaires à l’épreuve des nouvelles règles sur l’abus de l’état de dépendance et le déséquilibre significatif », in Dossier : Réforme du droit des contrats : quel impact sur les

contrats d’affaires, AJCA, 2016, p. 115. 320 Cf. art. 1164 al. 2. C. civ.

321 Aussi l’art. 1143 C. civ. vise-t-il dans ses conditions un « engagement [que le cocontractant] n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte », et un « avantage manifestement excessif » obtenu par l’auteur de l’abus, ce qui suppose que le contrat ait été conclu.

selon laquelle la notion générale d’abus se trouve être finalement d’un faible usage pour sanctionner des pratiques. La réforme du droit des contrats ne permet pas davantage que le droit ancien l’appréhension de pratiques en tant que telles. Pour autant, au-delà de l’abus, ce qui semble être contrôlé dans la détermination unilatérale du prix est davantage la loyauté de la pratique contractuelle322. Les juridictions sont ainsi amenées à apprécier la loyauté du comportement du contractant qui tient du contrat le pouvoir de fixer le prix. Il lui incombe donc une obligation de loyauté le conduisant à prendre en compte la situation de son cocontractant. La notion d’abus dans la détermination du prix se confond ainsi avec celle de loyauté, rejoignant elle-même la notion de bonne foi qui peut aussi contribuer à la sanction des pratiques par le droit des contrats.

2. La contribution de la bonne foi à la sanction des pratiques par le droit des contrats.

95. La place de la bonne foi dans la sanction de pratiques. La bonne foi est une notion qui connaît un certain succès au stade de l’exécution des contrats (a), mais elle a également permis des constructions doctrinales qui peuvent permettre la sanction de pratiques (b).

a. La notion de bonne foi dans l’exécution du contrat.

96. Notion de bonne foi. La bonne foi désigne une qualité, « la sincérité, la franchise »323. A contrario, la mauvaise foi suppose la « déloyauté, l’absence de franchise, de sincérité »324. Il en découle que la bonne foi est synonyme de loyauté. Il s’agit du « comportement loyal que requiert notamment l’exécution d’une obligation »325. Ainsi, la bonne foi est à la fois un « état d’esprit et une façon d’agir, de se comporter »326. Plus précisément, la bonne foi implique un « souci de coopération, une absence de mauvaise volonté ou d’intention malveillante »327. Elle peut être synonyme de cohérence de comportement328, de

322 V. en ce sens : P. Stoffel-Munck : op. cit., n°173s où l’auteur évoque au sein de ses développements sur l’abus par déloyauté la situation d’abus dans la détermination du prix, préférant ce classement à celui qui l’inclurait dans l’abus de prérogative ou de liberté contractuelle ; G. Chantepie : op. cit., n°267, où l’auteur évoque le « comportement déloyal du maître du prix » pour désigner l’abus dans la détermination du prix ; M. Chagny : op.

cit., n°977, où l’auteur fait état « d’une obligation de loyauté […] en vertu de laquelle il incombe au maître du prix

de tenir particulièrement compte de la situation de son cocontractant » ; A.-S Choné : Les abus de domination

essai en droit des contrats et en droit de la concurrence, Préf. B. Teyssié, Paris : Economica, Coll. recherches

juridiques, 2010, n° 266 où l’auteur estime que « l’abus est constitué par l’absence de prise en compte de l’intérêt du contractant », Adde n°271 et s ;

323 E. Littré : Dictionnaire de la langue française, V° « foi », sens 4 (bonne foi).

324 Ibidem.

325 G. Cornu : Vocabulaire juridique, V° « Bonne foi », sens 2.

326 M. Fabre-Magnan : Droit des obligations, t. 1 : Contrat et engagement unilatéral, précité, p.68.

« sincérité et fidélité »329. Elle constitue, pour un auteur, le « moyen de faire pénétrer la morale dans le droit positif »330. Elle s’oppose à la malice331, c’est-à-dire « l’inclination à malfaire »332, et à la « duplicité, comportement double qui nuirait à la prévisibilité »333. La bonne foi se définit par conséquent entre contractants comme un comportement loyal, mêlé de franchise, de fidélité à la parole donnée, d’honnêteté, de sincérité et de coopération, et qui exclut la mauvaise volonté, l’intention malveillante. La bonne foi est une notion légalement consacrée en droit des contrats, au troisième alinéa de l’ancien article 1134 du Code civil qui dispose que les conventions « doivent être exécutées de bonne foi »334. Au-delà de la question de la place de la bonne foi dans la formation des relations contractuelles, la loi la consacre ainsi au stade de l’exécution des contrats. La bonne foi incarnant le comportement loyal du contractant, elle semble s’affirmer comme une qualification d’un bon comportement335. Elle incarne la prise en

328 D. Houtcieff : Le principe de cohérence en matière contractuelle, thèse, préf. H. Muir Watt, Aix-en-Provence :