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Annonce. La définition de certaines clauses contractuelles par leur qualification de pratique restrictive de concurrence implique la confrontation de deux notions juridiques

III. Les clauses des contrats conclus entre professionnels, possibles pratiques restrictives de concurrence

37. Annonce. La définition de certaines clauses contractuelles par leur qualification de pratique restrictive de concurrence implique la confrontation de deux notions juridiques

distinctes, les clauses d’une part, et les pratiques d’autre part. Alors que les unes font partie intégrante de l’acte juridique, les autres relèvent du fait, des comportements. Ces caractères, a

priori incompatibles, se combinent parfois en droit positif. Pour autant, le droit hésite entre

distinction de ces deux notions, ou assimilation (Titre 1er). La définition de la nature de pratique restrictive de concurrence d’une clause suppose ensuite la recherche d’un critère de qualification (Titre 2). Seul ce critère permettra de regrouper l’ensemble des clauses mettant en œuvre une pratique restrictive de concurrence en une catégorie unique.

1 G. Cornu (dir.) : Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 11ème éd., Paris : PUF, coll. Quadrige Dicos Poche, 2016, (cité Infra : G. Cornu : Vocabulaire juridique) V° « qualifié », sens 1.

2 E. Littré : Dictionnaire de la langue française, Paris : Librairie Hachette, 1873, (cité Infra : E. Littré :

Dictionnaire de la langue française) V° « qualification », sens 2. 3 G. Cornu : Vocabulaire juridique, V° « catégorie ».

TITRE 1ER :CLAUSES ET PRATIQUES, ENTRE DISTINCTION ET ASSIMILATION.

38. Annonce. Les clauses et les pratiques sont deux notions juridiques distinctes que le droit de la concurrence assimile, ce qui n’est pas sans poser question. Le terme « pratiques » n’est pas complété par le qualificatif « restrictives de concurrence » puisque, précédemment à l’étude de ce type de pratiques, il convient de s’attarder sur la notion elle-même. Si on admet que les clauses font partie intégrante des contrats, partant des actes juridiques, et que les pratiques sont des comportements de fait, sanctionnées comme faits juridiques illicites par le droit de la responsabilité civile, la distinction entre les deux termes transparaît aisément (Chapitre 1er). Cependant, cette distinction ne se retrouve pas en droit commercial. Dans cette matière, des clauses sont sanctionnées sur le fondement du droit des pratiques restrictives de concurrence, marquant une assimilation des deux termes (Chapitre 2).

CHAPITRE 1ER :LA DISTINCTION DES CLAUSES ET DES PRATIQUES.

39. Annonce. La mise en évidence de la distinction entre clauses et pratiques s’insère au cœur d’une distinction fondamentale du droit privé, celle opérée entre actes juridiques et faits juridiques, sur laquelle il convient de s’attarder de manière préliminaire (Section préliminaire). C’est ainsi que les clauses s’appréhendent comme des parties de l’acte juridique (Section 1), alors que les pratiques s’analysent comme des faits juridiques (Section 2).

SECTION PRELIMINAIRE :LA DISTINCTION ENTRE ACTES JURIDIQUES ET FAITS JURIDIQUES. 40. Annonce. La distinction entre actes juridiques et faits juridiques constitue la summa

divisio des sources du droit des obligations (§1), qui permet en conséquence de distinguer

clauses et pratiques (§2).

§1 : La summa divisio des sources du droit des obligations.

41. Une distinction doctrinale. La doctrine a mis en évidence la « summa divisio »1 des sources du droit des obligations entre les actes juridiques et les faits juridiques alors même qu’elle n’existait pas en tant que telle dans le Code civil. Les auteurs procèdent, en effet, à une classification des obligations selon que leur source soit un acte juridique ou un fait juridique2. Jusqu’à récemment, le Code civil se cantonnait à suggérer cette classification dans son plan, distinguant entre les « obligations conventionnelles en général »3 et les « engagements qui se

1 Pour reprendre l’expression de Gaïus, Institutes, c.3, §88 ; Cette expression a été utilisée dans ce domaine par ex. par C. Caillé : « Quelques aspects modernes de la concurrence entre l’acte juridique et le fait juridique », in

Propos sur les obligations et quelques autres thèmes fondamentaux du droit, Mélanges offerts à J.- L. Aubert,

Paris : Dalloz, 2005, p. 55-66, n°2.

2 V. par ex. : G. Marty, P. Raynaud : Droit civil. Les obligations, 2ème éd., t. I : Les sources, Paris : Sirey, 1988, n°20-21 ; J. Carbonnier : Droit civil, Tome 4, Les obligations, 22ème éd., Paris : PUF, Coll. Thémis Droit privé, 2000, n°11 ; P. Delebecque, F.- J. Pansier : Droit des obligations, contrat et quasi-contrat, 6ème éd., Paris : LexisNexis, coll. Objectif droit, cours, 2013, n°18 ; Droit des obligations : responsabilité civile, délit et

quasi-délit, 6ème éd., Paris : Lexis-Nexis, coll. Objectif droit, cours, 2014 ; P. Malaurie, L. Aynès, P. Stoffel-Munck :

Droit des obligations, 7ème éd., Paris : Defrénois, Lextenso éditions, 2015, n°8 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequette :

Droit civil les obligations, 11ème éd., Paris : Dalloz, Coll. Précis, 2013, n°5 et 16 ; M. Fabre-Magnan, Droit des

obligations, Tome 1 : Contrat et engagement unilatéral (2012) et Tome 2 : Responsabilité civile et quasi-contrats,

3ème éd., Paris : PUF, Coll. Thémis Droit, 2013, p.9 ; J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux : Droit civil, les obligations,

1 – l’acte juridique, 15ème éd, 2012 et 2 – le fait juridique, 14ème éd., 2011, Paris : Sirey Coll. Université, n°60 ; Y. Buffelan-Lanore, V. Larribau-Terneyre : Droit civil. Les obligations, 14ème éd., Paris : Sirey, Coll. Université, 2014, n°50 ; P. Malinvaud, D. Fenouillet : Droit des obligations, 12ème éd., Paris : Lexis-Nexis, Coll. Manuels, 2012, n°25-26 ; B. Fages, Droit des obligations, 5ème éd., Paris : LGDJ, Lextenso Editions, Coll. Manuels, 2015, n°17.

3 Cf., avant l’entrée en vigueur de l’ord. n°2016-131 du 10 fév. 2016 portant réforme du droit dans contrats, du régime général et de la preuve des obligations : Titre III : « Des contrats ou obligations conventionnelles en général » du Livre III du Code civil : « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ».

forment sans convention »4. En réalité, le Code civil semblait davantage distinguer entre engagements conventionnels et engagements sans convention plutôt qu’entre acte juridique et fait juridique. Cependant, une lecture plus détaillée des premières dispositions de chacun des titres permettait de mettre en évidence la distinction. L’ancien article 1101 du Code civil prévoyait en effet la convention comme un engagement d’une personne envers une autre5. Il s’agit d’un acte juridique. A l’inverse, le dernier alinéa de l’ancien article 1370 du Code civil prévoyait que les « engagements qui résultent d’un fait personnel à celui qui se trouve obligé, résultent ou des quasi-contrats, ou des délits ou des quasi-délits »6. Cette disposition suggérait au lecteur la source des engagements qui se forment sans convention, le « fait personnel ». Il s’agit d’un fait juridique.

La distinction n’étant pas, jusqu’à aujourd’hui, clairement exprimée dans le Code civil, la doctrine l’a mise en évidence pour distinguer deux sources d’obligations, mais aussi pour distinguer le régime qui diffère selon la source de l’obligation, acte juridique ou fait juridique. Cette entreprise doctrinale n’est pas récente. C’est ainsi que l’on peut trouver dans les Institutes de Gaïus la summa divisio lorsque l’auteur expliquait que « les obligations naissent les unes d’un contrat, les autres d’un délit »7. A cette époque, le contrat est un acte doté de formes précises, qui sont exigées par le jus civile8, et ne correspond pas à toutes les conventions. De même, les délits sont ceux qui sont sanctionnés par le jus civile9. L’auteur donnera ensuite une classification tripartite entre contrat, délit et variae causarum figurae, les différentes figures de cause. Cela inclut les quasi-délits et les quasi-contrats, mais cette expression est postérieure10. En revanche, une classification quadripartite est opérée par Justinien, entre contrat, comme d’un contrat, délit et comme d’un délit11. Au XVIIIème siècle, Pothier distinguera entre cinq

4 Cf., avant l’entrée en vigueur de l’ord. n°2016-131 : Titre IV : « Des engagements qui se forment sans convention » du Livre III du Code civil.

5 Avant l’entrée en vigueur de l’ord. n°2016-131, l’anc. art. 1101du Code civil prévoyait que « le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ».

6 Avant l’entrée en vigueur de l’ord. n°2016-131, l’anc. art. 1370 al.4 du Code civil disposait que « Les engagements qui naissent d’un fait personnel à celui qui se trouve obligé, résultent ou des quasi-contrats, ou des délits ou des quasi-délits ; ils font la matière du présent titre ».

7 Institutes de Gaïus, c.3, §88 : « Nunc transeamus ad obligationes, quarum summa divisio in duas species

deducitur ; omnis enim obligatio vel ex contractu nascitur, vel ex delicto ». Ce texte de Gaïus et sa traduction

peuvent être retrouvées in M.-L. Domenget : Institutes de Gaïus, contenant le texte et la traduction en regard, Paris : A. Marescq aîné, libraire-éditeur, 1866, p.347 : « Passons maintenant aux obligations : la grande division des obligations est celle qui distingue les obligations qui naissent d’un contrat et les obligations qui naissent d’un délit ».

8 V. A. Castaldo et J.-P. Lévy : Histoire du droit civil, 2ème éd., Paris : Dalloz, Coll. Précis, 2010, n°439.

9 Ibidem.

10 Ibidem et Aurei Res Cottidianae de Gaïus ; V. pour une étude détaillée, v. : C. Teixeira : La classification des

sources du droit des obligations du droit romain à nos jours, thèse, dactyl., Lyon, 2011, spéc. p. 15 à 43.

11 A. Castaldo et J.-P. Lévy : op. cit., loc. cit ; Institutes de Justinien, Livre III, titre XIII, §2 : « Sequens divisio in

sources d’obligations : le contrat12, le fait13 (qui regroupe le contrat, le délit et le quasi-délit), et la loi14.

La distinction est revenue au cœur du débat doctrinal au cours du XXème siècle. Demogue a en effet mis en évidence que « les obligations ont toutes pour source un fait juridique »15. Au sein des faits juridiques, il distingue ensuite entre les faits juridiques lato

sensu et les faits juridiques stricto sensu, qui « suffisent à créer, modifier ou éteindre un

rapport de droit »16. Au sein de cette catégorie, apparaissent alors les faits juridiques qui ne comprennent pas la volonté d’un homme et ceux qui, au contraire, la comportent, comme le contrat ou l’acte illicite. Il s’agit de « faits juridiques volontaires »17. Parmi ceux-ci, l’auteur distingue selon leurs effets juridiques, qui peuvent ne pas dépendre de l’intention de l’auteur pour le délit, ou « avoir été accomplis en vue de produire un effet de droit, tels les conventions, les testaments, les renonciations volontaires », pour les « actes juridiques »18. Pour Demogue, les actes juridiques sont donc « tous les faits juridiques volontaires conformes à la volonté de leur auteur qui produisent un effet de droit »19, prenant soin d’évincer les « faits volontaires illicites, comme l’occupation, la prise de possession »20, car ils ne « comportent pas toujours des conséquences conformes à la volonté de leur auteur »21. C’est ainsi que l’auteur mentionne les actes juridiques comme un type particulier de fait juridique.

Puis, dans la lignée de l’ouvrage précurseur de Domat22, des auteurs ont divisé les sources des obligations en deux catégories : les faits juridiques, qui sont indépendants de la

maleficio. Ce texte de Justinien et sa traduction peuvent être retrouvés in A.-M. Du Caurroy : Institutes de Justinien traduites et expliquées, Tome second, 7ème éd., Paris : G. Thorel, libraire, Toussaint, Libraire, 1846, p. 104 : « Vient ensuite une division en quatre branches. En effet, les obligations existent par un contrat, ou comme par un contrat, par un délit ou comme par un délit » ; V. pour une étude détaillée, C. Teixeira : op. cit., p. 44 à 49.

12 R.-J. Pothier : Traité des obligations, Tome 1, Paris : Dalloz, Coll. Dalloz Bibliothèque, réédition de l’ouvrage de 1761-1764 en 2011, n°3 ; Cette distinction est ensuite largement reprise en doctrine, v. par ex. : A. Vigié :

Cours élémentaire de droit civil français, 2ème éd., Tome 2, Paris : LGDJ Arthur-Rousseau, 1895, n°1099 ; G. Baudry-Lacantinerie, G. Chéneaux : Précis de droit civil, 11ème éd., tome 2, Paris : Librairie du Recueil Sirey, 1913, n°3 ; M. Planiol, G. Ripert : Traité élémentaire de droit civil, 11ème éd., Tome 2, Paris : LGDJ, 1931, n°806.

13 R.-J. Pothier : op. cit., n°113.

14 R.-J. Pothier : op. cit., n°123.

15 R. Demogue : Traité des obligations en général, Tome 1, source des obligations, Paris : Librairie Arthur Rousseau, 1923, n°11 ; V. déjà, ayant la même analyse : H. Capitant : Introduction à l’étude du droit civil Notions

générales, 5ème éd., Paris : A Pédone, 1929, n°228.

16 Ibidem.

17 R. Demogue : op. cit., n°12.

18 Ibidem.

19 Ibidem.

20 Ibidem.

21 Ibidem.

22 J. Domat : Les lois civiles dans leur ordre naturel, 2ème éd., Tome I et II, Paris : P. Aubouin, P. Emery et C. Clouzier, 1697, spéc. tome II, p. 23 où l’auteur explique que le plan de son étude distingue entre « deux espèces d’engagements, l’une de ceux qui se forment par la volonté mutuelle de deux ou plusieurs personnes […] et l’autre de ceux qui se forment sans volonté mutuelle, mais seulement par le fait de celui qui s’engage », les premiers étant traités dans le premier tome, et les seconds, dans le second tome.

volonté de leur auteur, et les actes juridiques, dans lesquels « la volonté tend vers un but juridique »23. C’est ainsi que la volonté apparaît comme « l’élément essentiel de tout acte juridique »24. D’autres auteurs ont estimé que l’ensemble des obligations « dérivent de la loi »25. Pour eux, les obligations contractuelles ont également pour source la loi, mais supposent également « une déclaration de volonté ayant pour objet leur création »26. Cela constitue un « élément caractéristique, qui justifie une catégorie spéciale »27. Ces auteurs érigent la loi qu’évoquait déjà Pothier au sein des sources des obligations, comme la source unique de toutes les obligations, sans pour autant nier la distinction subséquente entre les obligations qui naissent d’un acte juridique et celles qui naissent de la loi, c’est-à-dire d’un fait juridique28. Cette source unique pour l’ensemble des obligations semble se heurter aux contributions postérieures qui replacent la loi comme une des sources des obligations mais non comme la source unique de toutes les obligations29. De plus, ces auteurs n’ont pas remis en cause la déclaration de volonté, nécessaire à la création d’un acte juridique.

42. Une distinction fondée sur la volonté largement admise en doctrine. Depuis la