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4. Chirurgie maxillo-faciale et autres approches

4.1. La chirurgie maxillo-faciale et la prise en charge des blessés de la face

4.1.2. Le traitement des séquelles

4.1.2.5. La constriction des mâchoires

Fréquemment observée pendant la Grande Guerre, la constriction des mâchoires est une complication mal connue dont le traitement est assez difficile.

Les causes de sa survenue sont multiples et mal identifiées : toute lésion de la face peut se compliquer par la constriction, qu'elle soit superficielle ou profonde, aussi bien à la suite de plaies musculaires, tégumentaires ou à la suite d'atteintes d'origine rhumatologique.

La constriction des mâchoires obéit à un mécanisme complexe associant des origines cicatricielles, ostéo-articulaires et musculaires.

Le mécanisme cicatriciel fait suite à des grandes plaies de la région massétérine ou génienne dont la cicatrisation est de mauvaise qualité ou à des cicatrices intra-buccales avec perte de substance muqueuse génienne. Concernant les plaies mal cicatrisées, l'occlusion cède facilement avec le traitement des cicatrices. Dans le cas des cicatrices intra-buccales, un certain nombre de brides très rigides voire ossifiées occupe l'espace intermaxillaire. La constriction d'origine cicatricielle reste rare.

Le mécanisme ostéo-articulaire est à l'origine d'une faible quantité d'ankylose dans les plaies de la face. On l'observe surtout chez les grands traumatisés de la face avec des dégâts de la région temporo-massétérine, des fractures du condyle, ou des pertes de substance du condyle et d'une portion de la branche montante. Dans la grande majorité des cas, ces lésions ne se compliquent pas d'ankylose des mâchoires car elles ne sont pas associées à des déplacements osseux. On observe

tout de même un processus de consolidation vicieuse dans les fractures sous-condyliennes basses non réduites.

Le mécanisme musculaire reste la composante la plus importante et la plus fréquente dans le processus de constriction des mâchoires. Également appelé mécanisme myopathique, ce mécanisme fait suite à de vastes délabrements des régions temporo-massétérines. Les muscles temporaux, masséters et ptérygoïdiens internes sont responsables d'un véritable « verrouillage » de la zone lorsqu'ils ont été lésés. Les blessures s'accompagnent quelque fois de fractures de l'arcade zygomatique ou de l'os malaire.

La zone est très inflammatoire et une contracture musculaire s'installe. La contracture est puissante, permanente et durable. A plus ou moins long terme, le muscle perd son élasticité et son extension. Il est de plus douloureux. La contractilité musculaire est très réduite voir inexistante. Des raideurs articulaires et des rétractions cutanées (dues à l'immobilisation durable) apparaissent.

Le traitement des constrictions des mâchoires repose sur la mécanothérapie et la chirurgie.

4.1.2.5.1. La mécanothérapie [28]

La mécanothérapie est de loin la thérapeutique la plus utilisée dans le traitement des constrictions des mâchoires. Les centres de prothèse maxillo-faciale ont mis au point des appareils écarteurs ou dilatateurs des mâchoires.

Deux procédés sont utilisés : l'un consiste à écarter l'espace mandibulo-maxillaire, soit sous anesthésie locale soit sous anesthésie générale, jusqu'à obtenir une ouverture de bouche égale à deux travers de doigts. Un bouchon de liège est placé entre les dents pour maintenir l'étirement. Après trois jours d'immobilisation, le bouchon va être retiré et les séances de mécanothérapie sont alors entreprises. Après la dernière séance de la journée, la bouche est maintenue ouverte toujours à l'aide du bouchon, luttant contre les rétractions musculaires. Le bouchon peut être remplacé par la toupie, l'ouvre bouche à vis ou crémaillère, des « pinces de blanchisseurs », ou des appareils à double ressorts en acier.

L'action de ce type d'appareil est plutôt « brusque et douloureuse » et peut provoquer des rétractions musculaires secondaires.

Le second procédé présente de nombreux avantages : il est plus progressif, plus lent et moins douloureux. Il ne nécessite pas d'anesthésie locale ou générale.

Préconisé par M.Virenque et J.Lebedinsky, il consiste à utiliser un ouvre bouche modifié. La force est transmise par des élastiques de différents calibres.

L'ouverture buccale minimale nécessaire est de seulement deux millimètres. L'application de l'appareil est de quinze minutes de façon quotidienne au début du traitement. Une fois la séance terminée, le patient est libre et peut s'exercer lui même avec des exercices d'ouverture et fermeture pour maintenir les résultats obtenus. La physiothérapie est poursuivie.

La durée du traitement dépend de l'origine de la constriction (musculaire, ostéo-articulaire ou cicatricielle). Elle est très variable. M.Virenque et J.Lebedinsky l'évaluent à deux mois environ. Dans les occlusions d'origine musculaire, une ouverture de bouche de trois centimètres conservée quinze jours après la fin de traitement est synonyme de guérison. La sclérose musculaire influence la durée du traitement : une sclérose importante entraîne un temps de convalescence plus long (trois à quatre mois environ).

L'évolution des résultats est irrégulière. Les progrès mettent souvent des semaines à apparaître.

Il faut distinguer dans les cas complexes de constrictions d'origine musculaire étendues et associées à une fracture mandibulaire : les lésions sans perte de substance osseuse et les lésions avec pertes de substance osseuse.

- Les lésions sans perte de substance osseuse : la constriction est d'origine musculaire. Si la blessure ne s'accompagne pas de déplacement de la fracture et que l'articulé dentaire est normal, la physiothérapie (massages) est débutée très tôt puis commencent les séances de mécanothérapie. Si la blessure s'accompagne d'un déplacement du foyer de fracture, l'immobilisation de la mandibule est réalisée dans un premier temps grâce à une gouttière afin

d'éviter tout mouvement de latéralité. Les séances de massages et de mobilisation permettront d'éviter l'apparition de la pseudarthrose. La mécanothérapie est entreprise ensuite.

- Les lésions avec pertes de substance osseuse étendues : les lésions musculaires sont importantes et prédominent dans le mécanisme de la constriction. Dans un premier temps, le chirurgien interviendra sur le traitement d'urgence des blessures (parage, suture, blocage intermaxillaire). La physiothérapie intervient en même temps pour prévenir les phénomènes de constrictions. La mécanothérapie débute lorsque les lésions cutanées et musculaires ont cicatrisé.

Figure 73 : Différents appareils de mécanothérapie pour constriction des mâchoires du médecin-major Frey. Archives et documents de la guerre (a : n°21884, b : 21883, c et d : 21882)

Figure 74 : Soldat S, constriction des mâchoires d'origine myopathique. Avant (à gauche) puis après (à droite) un mois de traitement par mécanothérapie. D'après J.Lebedinsky et M.Virenque. [51]

Figure 75 : Détail de l'appareil de mécanothérapie. Centre de chirurgie et de prothèse de la IVème

4.1.2.5.2. La chirurgie [28]

La solution chirurgicale est retenue seulement lorsque la mécanothérapie s'est avérée inefficace ou insuffisante. Dans 96 % des cas, la mécanothérapie et la physiothérapie sont suffisantes pour obtenir la guérison.

Concernant les constrictions dont l'origine est musculaire, la chirurgie est indiquée lorsque les lésions évoluent vers une sclérose étendue, voire complète et adhérente. Elle consiste en des désinsertions et sections musculaires. La sclérose qui atteint la sangle ptérygo-massétérine sera traitée par l'intervention de Le Dentu. Celle qui touche le muscle temporal sera traitée par une ténotomie du tendon temporal. La mécanothérapie est reprise directement après la chirurgie.

Les très rares cas de constrictions d'origine articulaire, pour lesquels la mécanothérapie a été insuffisante, seront traités par une résection condylienne.