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Avant   de   commencer   l’analyse   des différents   entretiens,   j’ai   dû   apprendre une méthode propre  à  l’enquête  qualitative.  Pour  cela,  Géraldine  Bloy  m’a  proposé  d’utiliser la méthode que donnent Didier Demazière et Claude Dubar dans leur ouvrage « Analyser les entretiens biographiques,   l’exemple   des   récits   d’insertion ». Elle avait préalablement résumé et simplifié  l’ouvrage pour faciliter ma compréhension et me faire gagner en efficacité. A partir de   là,   je   me   suis   approprié   l’outil et ai choisi pour commencer mon analyse de constituer trois grilles de lecture des entretiens afin d’en extraire les informations et de les ficher. La première lecture avait pour objectif de relever les termes et expressions en lien avec le cadre   temporel   ou   la   durée   de   l’affaire   et   l’enchaînement   des   faits   et   avec   les   actants   ou   encore  les  différents  personnages  ayant  participé  à  l’affaire.  

A   l’issue   de   cette   lecture,   je   pouvais   alors   illustrer avec un schéma les relations entre le médecin   interviewé   et   les   différentes   personnes   et   institutions   ayant   participé   à   l’affaire.   Cela permettait de bien mettre en valeur la place et le rôle de chacun vis-à-vis du médecin. Dans chaque affaire on peut ainsi déterminer différents groupes ayant évolué autour du triangle formé par le médecin, le plaignant et  l’instance : les soutiens du médecin qui sont l’assureur,   l’expert   mandaté   par   l’assureur,   l’avocat   mandaté   par   l’assureur,   des   amis   médecins, des soutiens professionnels, la famille ; face à cela on trouve aussi les soutiens du patient  ou  du  plaignant  autrement  dit  l’avocat  ou  un  juriste,  des  médecins  experts  et  enfin,  il   existe  parfois  selon  le  type  d’affaire  un  groupe  constitué  par  les  autres  médecins impliqués dans  l’affaire  ou  dans  la  chaîne  de  responsabilité.

41 Schéma n° 1 : les différents intervenants

Pour bien comprendre : ce schéma illustre une affaire dans laquelle la patiente porte plainte contre son médecin dans  les  suites  d’une  thrombophlébite  liée  à  une  prescription de pilule qu’elle  lui  avait  faite. Ce médecin, Emmanuelle ou Dr E., la suivait régulièrement en tant que médecin   traitant   et   a   fait   le   renouvellement   de   pilule   après   les   vérifications   d’usage.   La patiente  révisait  un  examen  chez  ses  parents  et  s’est  donc  peu  déplacée.  Elle  a  ressenti  une   douleur  dans  la  jambe  pour  laquelle  elle  a  fait  venir  deux  fois  un  médecin  en  visite  qui  n’a   rien   diagnostiqué   d’inquiétant   puis   voyant   que   ça   persistait,   la   mère de la patiente a téléphoné à Emmanuelle qui   s’est   tout   de   suite   inquiétée en comprenant le risque de phlébite. Ne pouvant pas se rendre au domicile elle a donc fait venir une ambulance pour acheminer la patiente aux urgences les plus proches et a vérifié que le trajet avait été fait. Le diagnostic  de  phlébite  a  été  rapidement  posé  et  la  patiente  s’en  est  sortie  sans  séquelle  avec   un  diagnostic  d’anomalie   congénitale   rare   de   la   coagulation   qui   n’aurait   pu   être   suspectée lors des vérifications  d’usage. Cette jeune femme a ensuite porté plainte contre Emmanuelle à   l’Ordre   Départemental   puis   Régional car, à cause de son hospitalisation, elle   n’a   pas   pu   passer  l’examen  qu’elle  révisait.  Emmanuelle a donc appelé son assurance qui lui a fourni un avocat. La Sécurité Sociale   s’est   associée   à   la   plainte   pour   récupérer   les   indemnisations   perçues par la patiente si Emmanuelle avait été considérée fautive. Lors de la confrontation à  l’Ordre,  Emmanuelle  a  laissé  l’avocat  de  la  patiente  et  les  experts exposer la situation puis

42 elle a  pris  le  temps  de  bien  expliquer  comment  ça  s’était  passé, et comment elle avait sans doute  sauvé  la  vie  de  cette  patiente.  Les  deux  experts  mandatés  ont  confirmé  l’absence de responsabilité  d’Emmanuelle et la patiente a été déboutée. A travers cette schématisation de   l’affaire   on   voit   clairement   le   triangle   formé   par   la   plaignante,   l’Ordre   et   Emmanuelle autour duquel gravitent différents intervenants qui, soit   ont   pris   part   à   l’affaire   médicale   (hôpital, médecin X, mère de la patiente), soit sont là comme soutien des différentes parties tels  que  l’assurance  et  l’avocat pour le Dr Emmanuelle,  les  experts  pour  l’Ordre  ou  encore   l’avocat   pour   la   patiente.   On visualise bien aussi que la Sécurité Sociale, qui   s’associe   à   l’Ordre   pour   demander   des   comptes, joue un rôle à la fois auprès de la patiente, qui est assurée sociale, et du médecin prescripteur. Par ailleurs, avec la présence  d’un  représentant   de la Sécurité Sociale,  le  médecin  se  trouve  jugé  par  une  double  juridiction  puisqu’elle  risque   deux types de sanctions différentes : financière à la sécurité sociale et ordinale en cas de manquement à la déontologie

Les différents indices de temporalité extraits des entretiens, parfois   complétés   par   l’étude   des  dossiers  auxquels  j’ai  pu  avoir  accès, ont été intégrés sur une frise chronologique. Le but était de souligner à la fois la durée des affaires, le degré de précision des souvenirs rapportés par le médecin (validés ou  non  par  l’étude  du  dossier) ainsi que le vécu de cette séquence où, certains  moments  ont  paru  plus  lents  que  d’autres  aux  yeux  du  médecin  mis  en  cause.   L’objectif  était  de  repérer  un  certain  déterminisme  dans  ces  séquences.

Schéma n°2 : Exemple de séquence :

Pour comprendre ce schéma : il  s’agit  de la même affaire que précédemment. Il y a peu de repères temporels donnés par Emmanuelle pendant   l’entretien, en dehors des semaines d’intervalle   entre   les   premières   consultations, puis   le   repère   du   mois   d’août et enfin de la convocation   reçue   6   mois   plus   tard   soit   en   février   de   l’année   suivante.   On   ne   sait   pas  

première consultation renouvellement pilule

examen clinique + bilan biologique = RAS

revient 2 fois pour fatigue quelques semaines plus tard

examen clinique + bilan biologique = RAS

pas de nouvelles pendant quelques

semaines en Aout, la mère

appelle pour douleur de jambe envoi à l'hôpital en

ambulance et vérifie que le trajet a été fait 6 mois plus tard,

convocation à l'ordre

appelle l'assurance et l'avocat : une entrevue

avec l'avocat

un matin, audience à l'hôpital avec Ordre, experts, sécu , la patiente et son avocat

Dr E blanchie, réponse immédiate

43 combien   de   temps   s’est   écoulé   entre   la   réception   de   la   convocation   et   l’audience.   On   constate  tout  de  même  bien  qu’il  y  a  des  longues  périodes pendant lesquelles Emmanuelle n’entend   pas   parler   de   la   patiente (au moins 6 mois) et a donc le temps d’oublier   cette   histoire.

Dans une autre affaire, Caroline avait une mémoire plus nette des repères temporels donc le schéma qui va suivre est plus complet même si les durées des délais entre les différentes convocations ne sont pas précisés. La plainte concernait un faux certificat de virginité qui a retardé   le   diagnostic   d’une   grossesse.   Là   encore   elle   s’est   retrouvée   jugée   par   deux   types   d’instances   différentes :  l’Ordre   et   la   justice  pénale   représentée   par   la   gendarmerie.   Après   avoir  rédigé  le  certificat,  elle  n’entend  plus  parler  de  la  patiente  pendant  6  mois  jusqu’à  la   découverte   de   la   grossesse   dont   le   début   correspond   à   la   date   du   certificat.   A   l’issue   de   l’affaire   les   parents   de   la   jeune   fille   ont   obtenu   une   conciliation   avec   l’assurance   et   2000   euros de réparation. :

Schéma n°3 : autre exemple de séquence

Après   cela   j’ai   relevé   au   sein   de   l’entretien   les   qualificatifs   des   différents   actants   pour   comprendre bien la relation entre le médecin et la personne physique ou morale ainsi désignée.  Cela  a  contribué  à  mettre  en  évidence  l’évolution  de  la  perception  par  le  médecin   de sa relation avec le plaignant ou le patient et avec les autres actants au cours  de  l’affaire ainsi  que  la  considération  et  la  place  qu’il  attribuait  à  chacun.  

Au   cours   d’une   deuxième   lecture  plus   verticale,  je   me   suis   attachée   à   relever   les  réponses   aux différentes questions du  guide  d’entretien.  Etant  donné  qu’au cours des entretiens,  j’ai   laissé les médecins assez libres de  parler,  les  informations  n’étaient  pas  toujours  clairement  

lors d'un remplacement fin aout 2005 : première consultation et demande

de certificat de virginité

janvier 2006 découverte de la grossesse, les parents

informent le médecin de leur souhait de déposer

plainte

plainte déposée à l'Ordre et à la gendarmerie, les deux se déroulent parallèlement convocation à l'Ordre départemental / convocation à la gendarmerie 2ème convocation à l'Ordre départemental / l'enquête de gendarmerie se poursuit convocation à l'Ordre

régional / les résultats de l'enquête sont transmis au

procureur

confrontation à l'Ordre Régional / affaire classée sans suite par le procureur

2-3 mois après avertissement et amende de 80 euros à l'Ordre conciliation avec l'assurance et 2000 euros de réparation après presque 2 ans de procédure début 2007

44 formulées et faciles à extraire, ce fut un travail assez fastidieux parfois. Une fois ces données extraites du texte brut, je pouvais les comparer aux réponses données par les autres médecins  pour  une  vue  d’ensemble  plus  transversale  ou  horizontale.  

Et enfin une troisième lecture a servi à extraire les mots utilisés par le médecin pour désigner  l’affaire  ainsi  que  les  mots  ou  expressions  exprimant  le  ressenti  du  médecin.  L’idée   était alors de mettre en évidence certaines contradictions exprimées plus ou moins clairement entre un discours de façade et des mots utilisés qui semblaient parfois très forts pour  ajuster  au  plus  près  du  vécu  réel  de  l’affaire par le médecin et de son retentissement personnel. Le tout était mis en relation avec le profil du médecin élaboré avec les réponses obtenues  à  la  première  question  de  l’entretien.