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PREMIÈRE PARTIE : CONSTITUTION DE L’OBJET DE RECHERCHE

Chapitre 3 : Corpus et méthodes

2. Du corpus exploratoire au corpus de travail : mise en place d’une procédure de traitement d’une procédure de traitement

2.1. Constitution des entrées descriptives dans le corpus

Notre problématique ayant été définie en termes sémantiques (nous sommes partie d’une opération sémantique, la nomination, portant sur un type de référents, les référents exotiques), nos analyses ne pouvaient se fonder sur la sélection d’une forme ou d’un type de formes uniques dans les textes. Mais afin d’éviter l’arbitraire dans la sélection des formes susceptibles de répondre à notre

254 Le corpus de travail découle directement de l’objet de recherche et est issu d’un travail de sélection dans l’ensemble des textes retenus pour le corpus exploratoire ; en effet, « c’est l’opération de choix raisonné parmi les composants disponibles qui crée un corpus » (Habert 2000 : 4). Le corpus de travail est l’ensemble des données sélectionnées en vue d’une étude, à savoir l’ensemble des énoncés servant de base à la description et à l’analyse d’un phénomène linguistique. Nous avons réparti notre corpus de travail en différents sous-corpus (donnés dans les annexes 2 à 6), en fonction des formats linguistiques des expressions servant à la nomination.

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problématique, il a été nécessaire de définir des critères sémantiques et formels qui permettraient de circonscrire les données pouvant servir de fondement aux analyses. D’autre part, le fait de croiser des critères sémantiques et formels permet de donner une assise linguistique à l’observation des faits de nomination. C’est sur la base de la définition de critères précis que nous avons pu bâtir une typologie des formats de nomination255.

Notre problématique de la nomination et de la catégorisation des realia exotiques présente deux versants, ce qui correspond à deux grands ensembles de faits :

(1) le premier versant de notre étude adopte une approche paradigmatique ; il s’agit ici de proposer une typologie des différents formats convoqués pour la nomination initiale des realia exotiques. Or, nous avons défendu dans le chapitre 2 une conception de la nomination comme phénomène de discours, effectuée non pas à partir de dénominations isolées, mais à partir de formes replacées dans leur contexte et leur cotexte ; dès lors, l’unité d’analyse est la séquence textuelle. Nous avons donc relevé, pour ce premier pan des analyses, des séquences textuelles correspondant à la première introduction d’un type de référents présentés comme étrangers, séquences qui contiennent une forme de nomination ;

(2) le second versant de la recherche adopte une approche syntagmatique et séquentielle : une fois qu’une catégorie nouvelle a été introduite dans le discours, elle subit des opérations complémentaires de délimitation (majoritairement par l’introduction de traits descriptifs) et de reprise ; on recueille donc pour cette partie de l’étude des séquences descriptives et des séquences de reprise d’une catégorie précédemment introduite dans le discours.

Il importe de préciser les séries de critères permettant de délimiter les formes linguistiques correspondant à ces deux opérations.

255 Cf. chapitres 4 et 5.

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2.1. 1. Mod ali tés d e sél ecti on d es fo rmes de n o min ati on en premi ère men tion256

Les suites linguistiques retenues comme formes de nomination en première mention ont été sélectionnées sur la base des critères suivants, que nous détaillerons après les avoir présentés : il s’agit de :

(a) formes référentielles

(b) permettant la première introduction en discours d’une catégorie de référents

(c) présentant ce type référentiel comme spécifique à l’univers naturel ou social décrit

(d) en position référentielle et en usage

(e) de format N ou N + expansions, à l’exclusion du déterminant.

On peut ainsi distinguer un ensemble de critères principaux et des critères secondaires.

Le critère principal est le suivant :

(1) on sélectionne dans les textes des expressions référentielles permettant d’introduire dans le discours un référent présenté comme exotique, comme non réductible aux catégories disponibles dans la langue-culture de l’énonciateur :

La terre […] produit en abondance du millet et du maïs, dont les 24.

tiges atteignent quelquefois une hauteur de sept à huit pieds ; elle donne aussi le roseau sucré, les citrouilles, les haricots, une ou deux espèces de melons indigènes, et même des pommes de terre importées par les missionnaires. (Arbousset 1842b : 70)

Il est question ici d’une sous-espèce de melons présentée comme endémique, et donc spécifique à la région décrite.

Ce critère principal s’accompagne de critères secondaires :

256 Les formes sélectionnées sur la base des critères présentés dans cette section sont données dans les annexes 2 à 6.

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(2) Nous travaillons sur des expressions référentielles, qui permettent de constituer en objet de pensée un segment de la réalité extralinguistique et de le désigner de manière relativement autonome (Riegel et al. 1994, Charolles 2002), à l’exclusion des expressions prédicatives, dans la mesure où nous nous intéressons à la manière dont les énonciateurs constituent en objet de pensée des objets concrets (objets manufacturés, espèces naturelles) ou abstraits (rites, pratiques sociales, concepts culturels), afin de pouvoir en parler et de leur attribuer des propriétés :

Soir : Mamadou Vad arbore un koursi neuf, joli comme un 25.

pantalon de clown. (Leiris 1934 : 80)

Les expressions qui nous intéressent se réalisent sous une forme nominale, les expressions nominales présentant la capacité à conférer le statut d’objet de pensée à une entité quelle qu’elle soit (objet, qualité, processus, etc.).

(3) Ce qui nous intéresse pour le versant paradigmatique de l’étude, c’est l’ensemble des solutions mises en œuvre par les énonciateurs-voyageurs pour introduire dans leur discours des types d’objets qu’ils présentent comme étrangers. Aussi, nous ne retenons dans un premier temps que les formes de nomination initiale des référents exotiques257. Du point de vue formel, cela signifie que nous ne travaillons ici que sur des expressions référentielles qui permettent la première introduction en discours d’un type d’objets exotiques :

Ces parasites vont se loger dans la première tente où l’on veut bien 26.

les recevoir, et deux fois le jour, le matin et le soir, un chapelet d’une main, un satalaa de l’autre, vont de porte en porte mendier un peu de lait.

a. On nomme satala de petits vases en fer-blanc, à peu près comme ceux dont se servent nos laitières. (Caillié 1830c : I, 98)

Nous emploierons, pour parler de ce phénomène d’introduction initiale d’un type référentiel dans le texte, l’expression de première mention du type d’objets, en lui conférant cependant un sens spécifique. Les études de linguistique

257 Les formes de reprise d’une catégorie déjà introduite précédemment ne seront traitées que dans l’approche paradigmatique (chapitres 6 à 8).

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textuelle s’intéressant aux chaînes de référence exploitent cette notion avant tout pour rendre compte de la première convocation, dans un texte, d’un référent singulier (par exemple, pour analyser Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure, dans la fable de La Fontaine, on peut parler du nom loup en première mention), par opposition aux mentions subséquentes de ce même référent (en particulier par les anaphores : « Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? », Dit cet animal plein de rage). Les problèmes de référence auxquels nous nous intéressons ne concernent pas tant l’indexation de référents singuliers que l’introduction dans le discours de catégories de référents, et leur construction dans le fil du texte. Ainsi, nous pourrons être amenée à travailler sur des phénomènes de reprise n’opérant ni sur la forme (comme c’est le cas dans les anaphores lexicales fidèles du type un loup / le loup), ni sur le référent singulier (comme dans les anaphores coréférentielles, qu’il s’agisse d’anaphores lexicales infidèles – un loup / cette bête cruelle – ou d’anaphores pronominales – un loup / il), mais sur la catégorie (on pourrait imaginer une reprise du type : un loup / ces bêtes cruelles, avec passage de l’exemplaire à la classe).

Ainsi, nous parlerons de première mention pour la première occurrence d’une catégorie, de deuxième ou troisième mention pour les occurrences ultérieures de la même catégorie, quel que soit le référent singulier indexé ; ces notions telles que nous les adaptons à notre propos renvoient aux phénomènes d’introduction et de réintroduction en discours, non pas d’un référent singulier, mais d’une catégorie.

(4) Parmi les expressions référentielles, nous nous intéressons à celles qui mettent en œuvre une problématique de l’altérité, celles qui soulignent l’asymétrie entre la langue-culture dont dispose l’énonciateur, et la société et l’environnement naturel dont il a à rendre compte258. Pour donner une assise non seulement sémantique mais aussi formelle à la sélection de telles formes, nous avons choisi de ne sélectionner que les formes qui d’une manière ou d’une autre, présentent le trait [+altérité], qui doit être marqué formellement. Les formes concernées marquent

258 Il ne s’agit bien évidemment pas de relever tous les SN présents dans les textes des voyageurs, ce qui serait de peu d’intérêt pour l’analyse, dans la mesure où celle-ci pourrait être appliquée à n’importe quel texte et où elle ne rendrait aucunement compte de la spécificité des récits de voyage vis-à-vis de la construction de la référence.

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une distance, généralement par approximation (ce qui peut se gloser par « ce n’est pas tout à fait un X comme on l’entend chez vous ») :

Du reste, à en juger par deux plats d’une sorte de poule au riz que 27.

Sadhio m’avait envoyés à mon arrivée à Ségou, la cuisine n’était pas désagréable. (Mage 1867b : XXI, 804),

Cette distance peut aussi être marquée par description des traits spécifiques du type d’objets visé (qui est donc présenté comme ayant des caractéristiques qui le distinguent de ce qu’on appelle chez nous un X) :

J’avais trouvé aussi de petits concombres épineux de la grosseur 28.

d’un œuf de poule, qui nous faisaient une nourriture excellente, et dont les feuilles étaient pour eux une friandise. (Le Vaillant 1795 : 375) ;

ou encore par un retour réflexif sur la dénomination choisie qui est présentée comme n’allant pas de soi, par exemple parce qu’il s’agit d’une dénomination locale, supposée inconnue du lecteur :

Samba-Farba et Sontoukou étaient tous deux vêtus de tuniques de 29.

drap rouge, brodées d'or, par-dessus lesquelles ils portaient des boubous lomas noirs, brodés en soie éclatante ; de vastes turbans blancs et des mouqués ou pantoufles en cuir du pays complétaient ce costume vraiment magnifique. (Mage 1867b : XX, 900)

Avec les expressions référentielles citées, l’objet est présenté comme ne se réduisant pas totalement à la représentation prototypique induite par l’emploi du N seul en français (pour l’exemple (28), il ne s’agit pas tout à fait de ce que nous appelons chez nous un concombre).

Par ces différents types de marquage, le référent visé est présenté comme ne correspondant pas à la représentation prototypique que l’on peut se faire du type de référents auquel il est rattaché en discours au moyen du N qui le catégorise.

(5) Notre problématique étant formulée en termes de constitution des catégories exotiques dans les textes, nous ne nous intéressons, au sein des expressions

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nominales, qu’à celles qui opèrent la catégorisation, qui rattachent le référent spécifique dont il est question dans un passage discursif particulier à un type d’objets, à une catégorie. Ainsi, nous travaillons essentiellement sur des expressions ayant pour tête un nom commun. Les expressions constituées autour de noms propres ne seront généralement pas relevées, dans la mesure où le nom propre, dans ses emplois prototypiques, n’opère pas la catégorisation ; il ne sert généralement pas à rattacher un spécimen à une catégorie constituée de plusieurs entités, mais à désigner un individu unique – cependant, des noms propres tels que les noms de fêtes pourront être analysés dans la mesure où ils rattachent un jour spécifique à une catégorie259. Ce qui nous intéresse est d’étudier la manière dont un référent est rangé dans une classe d’objets et dont ce type référentiel est construit en discours, d’analyser la façon dont les catégories sont travaillées en discours.

En outre, nous nous intéressons à la seule partie du syntagme nominal qui opère la catégorisation. Le SN met en œuvre deux types d’opérations qu’il est important de distinguer pour notre analyse : une opération de catégorisation (on rattache le référent à une catégorie d’objets) et une opération de détermination (d’actualisation, d’identification et de quantification). La première opération est portée par le N tête du syntagme, éventuellement accompagné de ses expansions si celles-ci renvoient à des propriétés possédées par l’ensemble des spécimens de la catégorie, la seconde par le déterminant :

L’orchestre se composait de deux balophons, de cymbales en fer, 30.

d’une [détermination] flûte bambara percée dans un bambou [catégorisation] et enfin de deux tamtams (ce sont les tambours du pays). (Mage 1867b : XX, 82)

Certes, la référence à un exemplaire singulier, dans un énoncé, est de fait construite par les deux opérations, le N tête du syntagme, éventuellement accompagné de ses expansions, permettant de le rattacher à un type de choses d’une part, le déterminant indiquant le mode de donation de la référence d’autre part.

259 Par exemple Ramadan. Ce type de dénomination fonctionne à l’intersection entre nom propre et nom commun : c’est un nom propre dans la mesure où elle désigne une fête unique, mais elle peut être employée comme nom commun dans des phrases du type Tu fais le ramadan ?