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Considérations théoriques sur la dynamique des pores

5.2 Description de la méthode

5.2.1 Considérations théoriques sur la dynamique des pores

Rappelons le modèle théorique développé dans [Brochard-Wyart 00]. On considère une vésicule sphérique de rayon initial Rinsoumise à une ten-

sion de surface initiale σ0, dans un milieu de viscosité η. Quand la tension

de surface de la vésicule augmente, un pore peut se créer, ce qui permet de relâcher la tension. Nous avons donc trois variables dynamiques poten- tiellement couplées : le rayon de la vésicule R, la tension de la membrane

σ, et le rayon du pore r. Trois équations pourraient donc être suffisantes pour décrire pleinement l’évolution du système. Si l’on considère l’étire- ment de la membrane par la tension de surface σ et si l’on suppose que le nombre de lipides dans la membrane est conservé pendant l’ouverture et la fermeture du pore, on obtient en calculant les aires du pore et de la vésicule : σ σ0 = 1− r 2 r2 c − 4(R 2 inR 2) r2 c , (5.1) où r2 c = 4(R 2 inR 2

0), et R0 désigne le rayon de la vésicule sous tension

vésicules où la viscosité de la membrane domine [Debrégeas 95], s’écrit : ηS ˙ r r =σγ r , (5.2)

où ηSdésigne la viscosité de surface de la membrane lipidique, γ la tension

de bord, etr˙la dérivée de r par rapport au temps t. La troisième et dernière équation gouverne l’évolution du rayon de la vésicule R. Elle est dérivée en considérant le flux de la solution interne à travers le pore, et en estimant la vitesse de fuite en égalant la pression de Laplace et les tensions de cisaillement en jeu. Elle prend la forme

3ηRr

3= −

4πR2R .˙ (5.3) On dispose à présent d’un système de trois équations régissant l’évolu- tion des trois variables r, R et σ. Brochard-Wyart et al. ont mis en œuvre une résolution numérique de ce système d’équations, et donné des so- lutions analytiques pour certains cas limites [Brochard-Wyart 00]. Nous nous concentrons ici sur les résultats dans la limite correspondant à nos expériences sur GUVs. Dans cette limite, la vie d’un pore comporte quatre étapes consécutives :

(i) une période de croissance,

(ii) l’atteinte du rayon de pore maximal,

(iii) le régime quasistatique durant lequel r décroît lentement (ou régime

de fermeture lente),

(iv) un dernier stage de fermeture rapide.

Le pore passe la majeure partie de sa vie dans le régime (iii) de fermeture lente, qui est utilisé pour déterminer la tension de bord. Si le rayon r du pore change très lentement, on peut faire l’approximation quasi-statique

γ dans l’équation 5.2. En dérivant l’équation 5.1 par rapport au temps on obtient

rr˙≈ 4RR .˙ (5.4) L’insertion de l’équation 5.4 et de rσγ dans l’équation 5.3 donne finale- ment

R2r˙ r ≈ −

3πη . (5.5)

Si l’on intègre cette équation en supposant que R reste constant (ceci sera justifié par la suite), on trouve que la quantité R2ln(r)doit décroître linéai- rement en fonction du temps t avec une pente a = −2γ/(3πη) :

R2ln(r)= −

Nous suivons l’évolution temporelle du rayon du pore r et mesurons le rayon R de la vésicule. Nous en déduisons la pente a de la partie à décroissance linéaire de R2ln(r) correspondant à la phase de fermeture

lente. La tension de bord γ est ensuite obtenue en utilisant la relation

γ = −(3/2)πηa.

5.2.2

Caractéristiques de la formation de macropores par

électropulsation

Le pore est créé par l’application d’une impulsion électrique de du- rée égale à 5 ms et d’amplitude de l’ordre de 50 kV/m, induisant une différence de potentiel à travers la membrane de l’ordre de 1 V (exacte- ment le même type d’impulsions que celles décrites au chapitre 4). De telles impulsions peuvent créer des pores de plusieurs microns de diamètre [Portet 09, Tekle 01], d’où l’appellation de macropores. Nous enregistrons l’évolution de la taille du pore par microscopie à contraste de phase rapide, ce qui nous permet d’éviter d’avoir recours à du glycérol et à des sondes membranaires fluorescentes. C’est là le principal avantage de notre mé- thode sur celles existant à ce jour. En effet, on sait que le glycérol interagit avec les membranes de phosphatidylcholines, par exclusion de la couche d’hydratation et partitionnement dans la membrane [Westh 03]. Il est donc tout à fait concevable que la présence de glycérol ait une influence sur la tension de bord qui dépend de la répulsion entre les têtes polaires lipi- diques et de la conformation des chaînes hydrocarbonées, comme le prédit le modèle théorique de May [May 00]. Les sondes fluorescentes, quant à elles, pourraient poser problème à cause d’un partitionnement préférentiel entre le bord du pore et le reste de la bicouche. C’est pour ces raisons que nous pensons que notre méthode de mesure des tensions de bord, basée sur l’utilisation d’imagerie à contraste de phase rapide ne nécessi- tant ni glycérol ni molécules fluorescentes, peut potentiellement donner des valeurs plus précises.

Il est effectivement possible de mesurer avec précision la taille de pores situés dans le plan de mise au point de la vésicule, comme rapporté dans des études antérieures sur l’électroporation ou la fusion de GUVs [Riske 05, Haluska 06]. La dépendance angulaire du potentiel transmem- branaire induit par l’impulsion électrique et la géométrie de la chambre de pulsation assurent que les pores se situent principalement dans ce plan, plus précisément face aux électrodes. Pour améliorer le contraste dans les images de vésicules, nous avons employé l’astuce classique qui consiste en l’utilisation de différents sucres à l’intérieur (saccharose) et à l’exté-

rieur (glucose) de la vésicule. Grâce à la différence d’indices de réfraction entre les milieux interne et externe, les vésicules apparaissent sombres et entourées d’un halo lumineux plus clair, comme on peut le voir sur la figure 5.1A. De plus, elles reposent au fond de la chambre d’observation à cause de la différence de densité entre la solution de saccharose et celle de glucose. La membrane de la vésicule se situe aux endroits où les gradients d’intensité de l’image sont maximaux. Quand un pore s’ouvre, les deux so- lutions de sucres se mélangent et les gradients d’intensité s’annulent dans le voisinage du pore. La création d’un pore dans la membrane entraîne donc une interruption du halo lumineux, que nous utilisons pour mesu- rer le rayon du pore. Nous avons développé un programme qui détecte et mesure automatiquement la taille des pores, afin d’éviter tout biais induit par l’opérateur (voir annexe B.1).

Notons que plusieurs tout petits pores situés tout près les uns des autres donneraient en principe des images en contraste de phase simi- laires à celles obtenues avec un unique macropore. Nous avons vérifié en microscopie à fluorescence rapide que l’application d’une impulsion élec- trique causait bien l’apparition d’un seul macropore. Comme l’atteste la figure 5.2, c’est bel et bien le cas.

La réponse globale de la vésicule et le comportement des pores décrit dans [Brochard-Wyart 00] sont différents de ce que nous observons lors de l’étape de création du pore. L’application du champ électrique conduit à une augmentation graduelle et non uniforme de la tension de surface de la vésicule. Par conséquent, l’approche de [Brochard-Wyart 00] qui suppose une tension constante et uniforme sur le GUV ne peut pas s’appliquer pen- dant l’impulsion, lors de la phase de création du macropore. Néanmoins, après l’impulsion un macropore est effectivement présent, la tension de surface est relâchée et est redevenue uniforme, et le modèle théorique s’applique pour les phases (iii) et (iv) de fermeture du pore.

Cas d’apparition de plusieurs pores Parfois plusieurs macropores peuvent

être créés sur une même vésicule, par exemple un au niveau de chaque pôle. Dans ce paragraphe, nous justifions la validité et l’utilisation de l’équation 5.6 pour ce cas de figure. Considérons un GUV de taille R, contenant deux pores de tailles r1 et r2. Les équations 5.1 et 5.3 sont

donc modifiées et prennent la forme :

σ σ0 =1− r 2 1 r2 cr 2 2 r2 c − 4(R 2 inR 2) r2 c (5.7)

et 3ηR(r 3 1 +r 3 2)= −4πR 2R .˙ (5.8) Nous avons aussi deux équations analogues à l’équation 5.2 pour les deux rayons r1 et r2, et disposons donc d’un système de quatre équations à

quatre inconnues. Avec les même hypothèses qu’à la sous-section 5.2.1, et en supposant que les pores n’interagissent pas entre eux, nous re- trouvons des équations analogues à l’équation 5.6 pour la dynamique de fermeture des deux pores. Nous concluons donc que le modèle de [Brochard-Wyart 00] pour l’étape de fermeture lente s’applique bel et bien aux vésicules contenant plusieurs pores. Cette conclusion est supportée par nos observations de la décroissance linéaire en temps de la quantité

R2ln(r) pour des vésicules contenant plusieurs pores, comme celle de la

figure 5.1 par exemple. Elle est aussi corroborée par la cohérence et la reproductibilité de nos résultats.

À propos de la décroissance de taille du GUV Comme nous l’avons

vu au chapitre 4, l’application d’impulsions électriques de 5 millisecondes peut entraîner une diminution de taille du GUV accompagnée par une perte de lipides [Portet 09]. On peut voir sur la figure 5.1 que le rayon de la vésicule peut décroître d’environ 10 %. Cette observation pose la question du bien-fondé de l’approximation R = cte utilisée pour dériver l’équation 5.6.

Notons Rin le rayon initial de la vésicule, puis R1 et R2 les rayons de

la vésicule au début et à la fin du régime (iii) de fermeture lente, respec- tivement. Nous avons mesuré expérimentalement que R2 était égal à Rf,

le rayon final du liposome après fermeture complète du pore. Une inspec- tion détaillée des trois rayons Rin, R1 et R2 pour les 110 GUVs étudiés a

révélé que la décroissance de taille de la vésicule survient majoritairement avant l’entrée dans le régime (iii), dans les quelques centaines de microse- condes suivant la fin de l’impulsion. La figure 5.3 représente les variations de rayon normalisées, pour toutes les vésicules observées. Au cours de la totalité de l’expérience, les rayons des vésicules décroissent en moyenne de 7.5 %, alors que la décroissance lors du régime (iii) est de l’ordre de 2.2 %. Dans un nombre relativement important de mesures (33 sur 110),

R1−R2 est négatif, ce qui suggère une augmentation de la taille du GUV

lors du régime (iii). Cependant, cette dispersion des valeurs de R1 − R2,

aussi bien les positives que les négatives, est compatible avec les limites imposées par la résolution de la microscopie optique. Dans notre dispositif, un pixel représente 0.7528 µm, ce qui implique qu’une erreur d’un pixel lors de la mesure du rayon d’une vésicule conduit à une variation d’environ

4 %, pour un rayon typique de 20 µm. Par conséquent, les changements de rayon observés lors du régime (iii), R1−R2, sont comparables avec l’impré-

cision de la méthode de mesure et on peut raisonnablement affirmer que

R1−R2 ≈ 0, i.e. que le rayon de la vésicule reste constant lors du régime

(iii). Nous utiliserons la valeur finale du rayon, R2, pour la détermination

de la tension de bord γ à l’aide de l’équation 5.6.