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quelques considérations sur la sortie de crise : la persistance de la fragilité financière

c. Dégradation des infrastructures économiques et émigration de travailleurs qualifiés en conséquence de la violence

Section 3 quelques considérations sur la sortie de crise : la persistance de la fragilité financière

En conjuguant la dimension financière de l’ouverture aux migrations, la première aurait a priori permis l’émergence d’un facteur contra-cyclique, capable d’accélérer la sortie de crise : les Transferts de Fonds Migrants (TFM). A cela s’ajoute la politique de « sécurité démocratique » cherchant à favoriser l’afflux d’IDE (a). La véritable sortie de crise n’a néanmoins lieu qu’avec le retour des capitaux étrangers alimentant de nouveau les crédits hypothécaires et partant la dynamique spéculative sur les actifs immobiliers (b).

a. Transfert de Fonds Migrants et politique « de sécurité démocratique »

d’attractivité des IDE

Dans le cas de la Colombie, l’augmentation des TFM commence en effet lorsque la crise de la transition s’est déclenchée126. Une motivation altruiste (Lucas & Stark 1985 ; Lowell & De La Garza, 2000 ; Agarwal & Horowitz, 2002, Rapoport & Docquier, 2005 ; Coiffard, 2011) pousse les migrants à soutenir financièrement leurs familles et leurs proches n’ayant pas pu se déplacer, faute de moyens économiques, et dont les conditions de vie se sont dégradées avec la crise (cf.

annexe 3.9). Depuis 1995, les TFM représentent la deuxième composante la plus importante du compte courant, après le pétrole (cf. annexe 3.10). Le pays est aujourd’hui le troisième pays latino-américain récepteur de TFM, après le Mexique et le Brésil. Bien que faible par rapport à d’autres pays d’Amérique Latine, le ratio TFM/PIB augmente de manière continue jusqu’au seuil des 5% en 2007127 (cf. graphique 3.27). Leur montant dépasse à partir de 2005 celui des aides publiques au développement (Khoudour-Castéras, 2007). L’importance des TFM leur permettrait de soutenir les dépenses des ménages, pour ainsi maintenir des débouchés à la production de biens de consommation finale (Hysenbegasi & Pozo, 2002 ; Ratha, 2006).

126 Une enquête réalisée par la chaîne d’information RCN (2004-2005) conclut que plus de 7 migrants colombiens sur 10 envoient des fonds à leurs familles et proches. Bien que l’activité économique se reprenne à partir de 2002, les TFM continuent à augmenter, dans le cadre d’un effet d’hystérèse : les migrants demeurent dans leur pays destination et continuent à transférer des fonds même si la crise est terminée.

127. En 2005, le ratio s’élève à 21,2% pour le Honduras, 20,7% pour Haïti, 19% pour la Jamaïque, 17,1% pour le Salvador 17,1% et 16,9% pour le Nicaragua (16,9%) (Khoudour-Castéras, 2007a, 2007b). L’Amérique Latine est aujourd’hui la première région réceptrice de TFM. Ainsi les TFM peuvent-ils représenter jusqu’à 65% des revenus des ménages (contre 10% en Colombie), 60% de la population ayant un membre de leur famille à l’étranger (Fernandez Malo, 2010). Faible, le ratio de la Colombie est sous-estimé. Les menaces d’extorsion et de kidnapping avec rançon conduisent une partie des récepteurs à cacher une partie des montants reçus aux enquêtes permettant d’estimer les TFM (cf. Cadena & Cardenas, 2004, Cardenas & Mejia Mantilla, 2006).

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Graphique 3.27 : Les TFM et l’économie colombienne, 1990-2004 (millions de dollars et %)

Source : DANE, Banque centrale de Colombie.

Dans le cas de la Colombie, bien que les TFM aient financé des dépenses de soin, d’éducation, de logements (loyers, eau, électricité) et en biens de première nécessité (Cadena & Cardenas, 2004), la consommation des ménages a néanmoins diminué durant la récession (cf. graphique 3.28). La diminution fut même supérieure à celle du PIB dans son ensemble. Vu l’ampleur de la crise, les TFM n’ont pu qu’atténuer mais non empêcher la baisse de la consommation. A la limite, les TFM favorisent le rôle « keynésien » contra-cyclique des dépenses publiques (cf. annexe 3.11). Le poste « consommation finale » de ces dépenses a varié à la hausse, tout du moins a affiché un taux de variation positif (bien qu’instable) au moment même où l’économie est en récession. Les TFM ont facilité le rôle contra-cyclique des dépenses publiques en contribuant à la stabilisation des recettes fiscales (Valero, 2007). Malgré une diminution graduelle du taux d’imposition des TFM (de 12% en 1992 à 7% en 1996), ils étaient assujettis à la TVA et à une taxe sur les transactions financières, la

Gravamen a los Movimientos financieros de 0.4%128. L’augmentation continue des TFM se traduisait directement en augmentation des recettes fiscales. Néanmoins, même les dépenses publiques ne purent jouer pleinement leur rôle contracyclique, étant donné l’ampleur et la durée de la crise de la transition.

128Cf. Rodríguez Salazar (1996), Wiesner, (1997), Clavijo (1998) et Gonzales & Calderon (2002a, 2002b) sur l’évolution des TFM et de leur taxation au cours du 20ème siècle.

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Graphique 3.28 : Consommation finale de la Colombie, 1991-2004 (en%).

Source : DANE.

En outre, le rôle contra-cyclique des TFM n’est possible que si le pays d’accueil des migrants n’est pas en crise. 80% des TFM proviennent des Etats-Unis et de l’Espagne129. Ces deux pays n’ont pas subi de crise en même temps que la Colombie. C’est tout le contraire avec la dernière crise économique, déclenchée avec la crise d’un segment particulier des marchés financiers : les titres adossés aux crédits hypothécaires non-conventionnels dits

subprimes (cf. Aglietta, 2008 ; Kregel, 2008). La crise pénalise l’emploi et diminue les revenus des travailleurs migrants. Ces derniers sont in fine pénalisés dans leurs transferts de fonds (cf. annexe 3.9). De manière plus générale, ériger les TFM comme facteur de développement à long terme est sujet à caution (cf. tableau 3.3, encadré 3.1, également annexe 3.12 a-b-c-d).

Tableau 3.3 : Crise des pays d’accueil des migrants et diminution des TFM

Croissance (en %) Taux de variation des TFM colombiens (en %)

Etats-Unis Espagne

2007 1,947 3,572 15,50

2008 0 0,864 7,78

2009 -2,633 -3,722 -14,39

Source : DANE, FMI.

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Encadré 3.1 : Transferts de Fonds Migrants et Développement

Selon l’OIM (Organisation Internationale de Migrations), les TFM ont un impact positif sur le recul de la pauvreté. Ils permettraient d’augmenter les revenus des plus pauvres (Adams, 1991, 2004, 2006). Le taux d’abandon scolaire tendrait à être réduit dans les ménages récepteurs de TFM. Il y aurait ainsi un effet positif sur le « capital humain ». Enfin, en améliorant les conditions de vie via l’augmentation des revenus, les TFM diminueraient la mortalité infantile. Ils amélioreraient en outre la capacité d’épargne, donc l’investissement (Solimano, 2003 ; Acosta et al., 2007 ; Khoudour-Castéras, 2007 ; Tedesco, 2008).

Cependant, la plupart des émigrants colombiens n’appartient pas à la population la plus pauvre (Cadena & Cardenas, 2004 ; Solimano & Allendes, 2007). Les effets positifs des TFM sur cette population restent donc limités.. En outre, la répartition des TFM au détriment des plus pauvres augmente les inégalités. Selon une enquête de la Banque Inter-Américaine du Développement, plus de 85% des femmes bénéficiant de TFM ont fini des études secondaires et 32% suivirent des études supérieures130. Il n’existe pas non plus de véritable programme pour que les migrants formés à l’étranger reviennent dans leur pays d’origine. L’accumulation de nouvelles connaissances grâce aux TFM est donc douteuse (cf. annexe 3.12 a-b-c-d).

Augmentation de l'émigration et des TFM

Effets positifs supposés sur le développement

Amélioration de l'éducation Diminution de la pauvreté

Augmentation des inégalités

Répartition des TFM

Cas de la Colombie :

Principaux bénéficiaires des TFM = les classes moyennes et supérieures, disposant déjà d'un certain niveau d'éducation Amélioration de l'éducation

Baisse de la mortalité infantile

TFM = condition ni nécessaire ni suffisante pour le développement

130 http://www.iadb.org/mif/remittances/lac/remesas_co.cfm?language=Spanish (consulté en novembre 2010) (cf. annexe 3.12 a-b-c-d)

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La croissance se rétablit définitivement en 2002. La politique d’attractivité des IDE mise en place par le gouvernement Uribe (2002-2006) a sûrement joué un rôle. Cette politique est axée autour de la récupération de la « sécurité démocratique », c’est-à-dire mettre un terme à la violence (par la violence), notamment à partir d’une plateforme radicale de combat contre les guérillas131. Le risque-pays de la Colombie en serait diminué, permettant ainsi des investissements étrangers générant la croissance (Kalmanovitz, 2002, 2004). A cela s’ajoute un agenda de développement, appelé hacia un estado comunitario (« vers un Etat communautaire »), lequel cherche à relancer l’activité économique à partir de la politique budgétaire et l’amélioration du fonctionnement des administrations publiques (ibid.).

La plateforme radicale a été critiquée. Sa mise en œuvre a entraîné la violation des droits fondamentaux tels qu’ils sont établis dans la Constitution, en sorte que la politique de sécurité a oscillé entre protection des citoyens et autoritarisme. Puerta et al. (2008) soulignent que le gouvernement a légiféré pour : a) permettre la violation de domicile sans possibilité de déposer plainte ; b) augmenter les peines quelle que soit la nature du délit ; c) autoriser l’établissement de prisons privées échappant partiellement au contrôle de l’Etat ; d) enrôler de force des paysans dans l’armée ; et e) permettre l’interception d’appels téléphoniques sans ordonnance judiciaire préalable. La Constitution de 1991 a même été modifiée pour que la violation des droits fondamentaux n’apparaisse plus en tant que telle (Atehortua & Adolfo, 2002). En outre, l’agenda de développement accompagnant les trois stratégies de rétablissement de la sécurité n’a pas bénéficié aux couches sociales les plus pauvres (Bernal, 2002 ; Gonzalez Zapata, 2002 ; Perez Restrepo, 2002 ; Pécaut, 2003 ; De Souza Santos, 2003 ; Socha, 2004 ; Ruiz Mira et Al., 2005 ; Gaviria, 2006 ; Leal Buitrago, 2006 ; Giraldo Arboleda, 2007). La diminution subséquente de la violence, l’accroissement des IDE et des exportations subséquentes, contribuent néanmoins au retour de la croissance (cf. graphique 3.29). Il faut aussi tenir compte de l’environnement international favorable : la hausse du prix du pétrole a favorisé les exportations d’hydrocarbures et, partant, les recettes fiscales de l’Etat132. L’agenda communautaire était d’autant plus facile à mettre en œuvre.

131 La plateforme radicale de combat a été concrétisée par trois stratégies décidées lors du premier mandat d’Uribe (2002-2006) : i) des contrôles permanents sur les routes colombiennes, avec intervention de l’armée ; ii) des attaques ciblées contre des camps de base des différents groupes de guérillas ; et iii) l’établissement de postes de police dans la totalité des communes, hameaux, cantons, villages et grandes villes de la Colombie.

132 Une analyse plus fine de l’évolution des structures de production et d’échange fait l’objet du chapitre 4. Ici, il suffit de souligner que les exportations, accrues grâce aux IDE et d’autres facteurs, ont favorisé le retour de la croissance.

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Graphique 3.29 : IDE et exportations (par trimestre, en millions de dollars), Colombie, 1996-2010

Source : DANE, Banque centrale de Colombie.

b. Retour des capitaux étrangers et rétablissement (provisoire) du