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Sous-compétitivité et sous-investissements en éducation et infrastructures

Les conséquences prévisibles de l’ouverture de l’économie colombienne : l’irrationalité de la décision

1.3. Sous-compétitivité et sous-investissements en éducation et infrastructures

La section se termine par quelques facteurs de sous-compétitivité communs à l’agriculture et à l’industrie. Parmi ces facteurs figure en premier le sous-investissement dans les infrastructures de type énergie, télécommunications et assainissements. De telles dépenses permettent de diminuer les coûts unitaires de production (Gannon & Liu, 1997) et d’augmenter la productivité des facteurs (Caicedo Ferrer, 2008). Cependant, force est de constater le manque d’investissement public et privé en ces trois types d’infrastructures avant et même après l’ouverture. Rozas (2008) montre qu’avant l’ouverture, l’investissement public était insuffisant compte tenu des nécessités du système productif colombien. L’investissement public va en outre diminuer davantage à la fin des années 1980 suite à des réformes structurelles (Calderón & Servén, 2002), dont on aura l’occasion d’aborder plus en détails le contenu au prochain chapitre. En ce qui concerne l’investissement privé, il n’arrivera jamais à combler le manque d’investissement public (Rozas, 2008). Après l’ouverture, le sous-investissement public et privé demeure. Comme montré dans le graphique 1.9, il est surprenant de constater des écarts aussi importants entre la Colombie et la moyenne des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes. Cela est d’autant plus surprenant qu’à partir des années 1990 les investissements en infrastructures en Amérique latine et aux Caraïbes ont eux-mêmes augmenté à un rythme plus lent que ceux d’autres régions et continuent à être très faibles, aux environs de 2% du PIB13 (Calderón & Servén, 2004a, 2004b ; Rozas, 2008).

13 En outre, ce faible montant d’investissement serve principalement à renouveler les infrastructures existantes et non pas à le développer (Rozas, 2008),

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Graphique 1.9 : Les investissements publics et privés en infrastructures, Colombie et moyenne des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes, 1995 et 1996, en dollars courants

Source : World Development Indicators et Global Development Finance.

Le nombre d’élèves par professeur est également important pour la compétitivité sectorielle. S’il est trop élevé, la dégradation subséquente de la qualité de l’enseignement se répercute négativement sur la productivité des travailleurs de l’agriculture et de l’industrie, laquelle risque donc de continuer à demeurer faible dans le cas de la Colombie (Garcia, 1999 ; Meisel Roca & Barón Rivera, 2003 ; Meisel Roca & Romero, 2007). Les tableaux 1.1 et 1.2 récapitulent le nombre d’élèves par professeur pour une série d’années entre 1970 et 1990, respectivement dans l’enseignement primaire et secondaire, pour les pays d’Amérique Latine dont les données sont rendues disponibles par le travail statistique de la Banque Mondiale. A l’exception du Mexique, tous les autres pays se caractérisent par un nombre inférieur à la Colombie dans l’enseignement primaire. Dans l’enseignement secondaire, le Mexique ne fait même plus exception.

Tableau 1.1 : Nombre d’élèves par professeur dans l’éducation primaire, pour une série de pays d’Amérique Latine, sélection d’années entre 1970 et 1990

1970 1975 1980 1985 1990 Argentine 19,25 18,22 20,23 19,98 n.d. Colombie 38,21 32,07 30,56 30,39 29,92 Mexique n.d. 45,45 39,96 34,79 31,07 Pérou 35,49 39,10 37,47 34,82 29,08 Uruguay 29,49 23,77 22,43 25,08 21,89 Paraguay 32,29 29,37 27,39 25,07 24,70

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Tableau 1.2 : Nombre d’élèves par professeur dans l’éducation secondaire, pour une série de pays d’Amérique Latine, sélection d’années entre 1970 et 1990

1970 1975 1980 1985 1990 Argentine 7,28 7,68 n.d. 7,82 7,27 Colombie 17,17 19,45 20,36 20,15 19,84 Mexique n.d. 18,37 17,08 17,46 16,94 Pérou 17,29 23,83 n.d. 20,82 19,69 Uruguay n.d. n.d. n.d. n.d. n.d. Paraguay 9,39 n.d. n.d. n.d. n.d.

Source : Banque Mondiale.

De manière plus générale, le tableau 1.3 rend également compte du pourcentage du PIB destiné aux dépenses d’éducation, pour la Colombie et un ensemble d’autres pays. Ce tableau révèle alors que, contrairement au niveau particulier du nombre d’élèves par professeur, la Colombie se situe environ au même plan que la moyenne des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes. Néanmoins, elle est toujours en retard par rapport aux pays développés tels les Etats-Unis ou ceux de l’Union Européenne. Ces derniers ont toujours dépensé plus en matière d’éducation, afin de donner aux travailleurs des compétences indispensables notamment pour incorporer/utiliser des innovations technologiques. Au moment de l’ouverture, force est de constater le manque de formation des travailleurs, et ainsi un manque de productivité pénalisant la compétitivité14.

Tableau 1.3 : Dépenses d’éducation en % du PIB, comparaison entre la Colombie et un groupe de pays

1970 1975 1980 1985

Colombie 2 n.d. 2 3

Etats-Unis 7 7 7 6

Union Européenne n.d. 5 5 5

Amérique Latine & Caraïbes 3 3 3 3

Source : World Development Indicators et Global Development Finance.

14 C’est sans compter sur des problèmes supplémentaires liés aux conditions de travail elles-mêmes. Cf : Kleyson

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Parmi les facteurs de compétitivité communs à l’agriculture et à l’industrie figurent également les réseaux routiers et ferrés (Cárdenas et al., 1995 ; Caicedo Ferrer, 2008), d’autant plus que 80% des marchandises sont transportées par voie terrestre au sein du territoire colombien (Pérez, 2005). Ces réseaux sont sous-développés. Le tableau 1.4 récapitule la densité respective des réseaux routiers et ferrés de différents pays, Colombie incluse, avant et au moment de l’ouverture pour le premier réseau, au moment et après l’ouverture pour le second (compte tenu des données disponibles). A nouveau, il est possible de se rendre compte combien l’écart est grand entre la Colombie et la plupart des autres pays étudiés. Dans le cas du réseau ferré, seuls le Brésil et le Pérou disposent d’une densité inférieure. Mais pour le premier pays, cela s’explique avant tout par l’importance de l’Amazonie dans le territoire et moins par un sous-investissement. Dans le cas du réseau routier, on peut déjà remarquer qu’en 1990 seul le Paraguay a une densité inférieure. En outre, alors que la densité augmente dans la plupart des pays après l’ouverture, la Colombie reste quasiment au même niveau.

Tableau 1.4 : Densité des réseaux routiers et ferrés de différents pays

Km de voies ferrés par km² Km de routes par km²

1980 1985 1990 1990 1995 2000 2005 2008 Etats-Unis 0,0276 0,0244 0,0201 0,6482 0,6537 0,6602 0,6795 0,6755 Brésil 0,0006 0,0006 0,0006 0,1961 0,1947 0,2026 n.d. n.d. Argentine 0,0123 0,0123 0,0123 n.d. n.d. 0,0775 n.d. n.d. Mexique 0,0072 0,0078 0,0103 0,1206 0,1552 0,1661 0,1793 0,1845 Pérou n.d. 0,0013 0,0013 0,0503 0,0571 0,0609 0,0611 n.d. Colombie 0,0025 0,0023 0,0022 0,0136 n.d. 0,1432 0,1439 0,1438 Bolivie n.d. n.d. n.d. 0,0389 0,0475 0,0515 n.d. n.d. Venezuela n.d. n.d. n.d. 0,0817 0,1036 0,1049 n.d. n.d. Chili 0,1026 0,0955 0,0914 1,0515 1,0441 1,0544 n.d. n.d. Paraguay n.d. n.d. n.d. 0,0644 0,0711 0,0725 n.d. n.d. Equateur n.d. n.d. n.d. 1,5194 1,5204 1,5236 n.d. n.d. Uruguay 0,0171 0,0170 0,0170 n.d. n.d. n.d. n.d. n.d. Nicaragua n.d. n.d. n.d. 0,1164 0,1304 0,1447 n.d. n.d. Guatemala n.d. n.d. n.d. 1,0643 1,1446 1,2932 n.d. n.d.

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Ainsi la Colombie témoigne-t-elle, au moment de s’ouvrir, de l’inexistence d’un « marché intégré d’intrants » (Pérez, 2005) : bien que des entreprises puissent produire des intrants à moindre coût que d’autres, la localisation des premières ajoute un coût de transport tel que le prix des intrants en question, transport inclus, devient plus cher. Les entreprises utilisant ces intrants sont donc obligés de se reporter sur des intrants plus chers avant transport mais moins chers après transport. L’augmentation subséquente des coûts unitaires de production affaiblit la compétitivité (Cardenas et al., 1995). De même, il n’existe pas un « marché intégré des biens finals », au sens où les coûts de transport pour acheminer certains biens finals moins chers les rendent in fine plus chers.

Les coûts de transport sont d’autant plus pénalisés par la rareté des équipements de transport convenables. En effet, les coûts de production augmentent à cause de l’ancienneté des véhicules et de leur faible capacité de transport (Pérez, 2005). De plus, ils sont pénalisés par des facteurs externes comme l’augmentation du prix du pétrole (Perilla Jimenez, 2010). Il faut aussi tenir compte des facteurs internes, comme les vols de carburants par les groupes armés sur les réseaux d’acheminement d’Ecopetrol15 (Escobar et al., 2004), ainsi que la destruction des exploitations pétrolières par les mêmes groupes (Avila, 2009). Cela fait augmenter les prix du transport et subséquemment les coûts unitaires de production.

Le conflit armé se concentre parmi des zones fragiles, lesquelles constituaient un motif supplémentaire contre l’ouverture. C’est ce que la prochaine section aborde.

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Section 2. L’accentuation prévisible des fragilités spatiales par