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[260] L’ART de conduire des hommes est difficile. Il l’est d’abord parce qu’il dépend de dons naturels inégalement répartis ; il l’est aussi parce que les lois psychologiques qui sont à la base des relations entre chefs et subordonnés sont trop peu connues.

[261] Un homme d’expérience qui, déjà âgé, parvint rapidement à mener à bien une affaire industrielle employant un nombreux personnel, répondait à des amis qui s’étonnaient d’une réussite aussi prompte : Je ne connaissais pas les machines, en effet, mais je connaissais si bien les hommes !

[262] Il faut d’abord faire le tour des gens, comme d’une maison, pour voir ce qu’ils valent. (Foch).

[263] Connaître son métier, c’est bien, et cela peut suffire pour l’artisan qui travaille seul ; mais le chef est, par définition, celui qui commande à d’autres ; aussi, la connaissance des hommes qu’il est appelé à commander lui est-elle nécessaire au même titre que la connaissance de la tâche pour la quelle il doit les commander.

[264] L’idéal pour un chef est de mettre chacun à sa place : the right man in the right place. Un homme qui se trouve devant une tâche qui le dépasse paraît gauche et maladroit ; un homme qui est à la place qui lui convient paraît toujours intelligent.

[265] Il n’est pas toujours facile de trouver pour chacun le travail qui lui convient ; or, on sait par expérience qu’il suffit parfois d’un déplacement en apparence insignifiant, pour faire un bon ouvrier d’un mauvais.

[266] Le chef doit connaître ses hommes pour être en mesure d’adapter ses ordres aux capacités de chacun, laissant à ceux qui en sont dignes beaucoup d’initiatives, tenant plus complètement en main ceux qui ne sauraient agir seuls, avec tout un clavier qui va de l’injonction brève à la persuasion subtile. Certains chefs sont si malhabiles que,

lorsqu’ils ont parlé, leurs subordonnés ont envie de faire tout le contraire de ce qui a été demandé.

[267] Un individu qualifié de mauvais par un chef peut être trouvé excellent par un autre, uniquement parce que ce dernier a su le prendre, alors que le premier ne l’avait pas compris.

[268] Ne considérez pas hâtivement quelqu’un comme incapable. Il y a beaucoup moins d’incapables qu’on ne le croit généralement ; il y a surtout des individus mal utilisés, auxquels on n’a pas donné l’emploi qui convenait.

[269] Un groupe, quel qu’il soit, n’a de la cohésion que lorsque les membres non seulement se connaissent entre eux, mais connaissent leur chef et se savent connus de lui ; l’être humain a besoin de se sentir connu, compris, estimé et apprécié pour se donner totalement à la tâche qu’on lui propose, et il sera capable de se surpasser lui-même s’il sait que son chef compte personnellement sur lui pour un effort à accomplir.

[270] Tout homme a plus ou moins confusément le sens de sa dignité humaine ; il entend que sa personnalité soit reconnue. Être traité comme un numéro ou comme un simple rouage de machine détermine en lui un complexe

d’infériorité qu’il cherchera à compenser par l’indifférence, la révolte ou le mépris.

[271] Le chef doit donner à chacun l’impression qu’il lui reconnaît une individualité propre, qu’il ne le confond pas avec d’autres, qu’il le distingue comme ayant une existence et une valeur singulières au milieu de la multitude de ses semblables.

Cette connaissance profonde, elle est en même temps pour le chef la plus grande habileté et la source du plus grand pouvoir : c’est le secret des illustres meneurs d’hommes.

(Cf. Napoléon tirant l’oreille au grognard : Toi, je t’ai vu à Marengo I).

[272] Un chef appelle chaque fois qu’il le peut un homme par son nom. Il n’oublie pas que le nom est pour celui-ci le mot le plus doux et le plus important du vocabulaire.

{273] La connaissance des hommes permet d’apprécier exactement le moral d’un groupe, et de déterminer ce qu’on peut lui demander à un moment donné sans risquer de provoquer un désarroi. C’est elle qui donne le sentiment de ce qu’on appelle « le praticable » au-delà duquel la discipline se rompt.

{274] Tout chef étant plus ou moins un éducateur, ne peut exercer une influence heureuse que s’il est aussi perspicace pour deviner les besoins, les aptitudes, les goûts, les caractères, les réflexes de ses hommes. La connaissance du cœur humain ne suffit pas ; il faut avoir l’instinct de deviner ce qui se passe dans l’âme de ceux à qui l’on a affaire.

[275] Pour bien connaître les hommes, le chef doit se garder des simplifications à outrance. L’être humain n’est pas un être toujours rationnel et simple. C’est un être à tendances multiples qui se compensent et s’équilibre les unes les autres, soumis d’ailleurs à des variations plus ou moins fréquentes selon le tempérament, le caractère, la santé, le milieu qui l’entoure, les évènements qui l’affectent.

[276] Connaître, dit l’étymologie, c’est naître avec, vivre avec, sentir avec, et il n’y a de connaissance vraie que dans la mesure où l’on sympathise, où l’on entre dans les peines et les difficultés de chacun, où l’on sait se mettre à leur place.

[277] Un homme inquiet cherche toujours à qui confier l’objet de ses inquiétudes, mieux vaut que la confidence se trouve recueillie par son chef qui saura rectifier l’erreur ou témoigner de la sympathie. Sinon l’homme est tenté de demander assistance à un ignorant ou un irresponsable.

[278] Un chef doit s’efforcer de rester en contact avec ses subordonnés. Ce sera pour lui toujours l’occasion d’observations fécondes, car il pourra ainsi saisir sur le vif les réactions les plus spontanées, en même temps qu’il pourra briser les timidités qui paralysent et provoquer les confidences qui soulagent.

[279] L’homme qui n’a pas l’instinct de deviner ce qui se passe dans l’âme de ses sous-ordres peut être un génie sur un autre plan, il ne sera jamais un vrai chef.

[280] L’homme qui se plaint n’exige pas nécessairement qu’on lui donne satisfaction : il entend surtout être écouté avec intérêt et provoquer une décision, quel qu’en soit le sens.

[281] Pour apprécier ses hommes, le chef doit développer en lui vis-à-vis d’eux une disposition bienveillante, car les défauts sont souvent plus apparents que les qualités.

L’importance d’un défaut d’ailleurs ne saurait être chiffrée en valeur absolue,

Elle dépend essentiellement des qualités qui lui font contrepoids et de la nature des fonctions confiées à l’intéressé.