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Se confronter à l'immatériel : le point du vue du visiteur

III. La muséographie de l'immatériel : exploitation des résultats

III. 1. Exposer l'immatériel

1.4. Se confronter à l'immatériel : le point du vue du visiteur

La base de données que nous avons établie nous a permis de voir que l'immatériel pouvait s'incarner dans des catégories de dispositifs de présentation. Pour certains d'entre eux, ils sont le fruit de nouvelles logiques qui sous tendent leur création. Mais qu'en est-il de la réception ? Notre dernière hypothèse supposait que chaque catégorie de dispositifs faisait appel à un type d'action de la part du visiteur. Nécessité se fait donc de réévaluer ces dispositifs à l'aune des mécanismes mobilisés par le public. Néanmoins, en l'absence d'étude de publics, force est de constater que nous ne pourrons seulement qu'établir des conjectures et dégager des pistes de réflexion dans ce domaine.

En préambule, il s'agit dans un premier temps d'appréhender la matrice de réception dans laquelle le visiteur se situe tout au long du parcours. La description de la muséologie de la société, décrite par Virginie Soulier dans le cadre des musealia des cultures de tradition orale170 peut être une base de réflexion pertinente, car elle forme un point de jonction entre la conception de l'exposition, mais aussi de sa réception par visiteur. Le système formé correspond bien aux objectifs affirmés des musées exposants des sujets de société. La stratégie de communication se réalise à partir d'une perspective directrice guidant le récit. La disposition des éléments cherche alors à interroger l'identité. Dans ce cadre, deux axes se dégagent lors de la visite. Le premier est l'axe du réel, fondé sur les faits, le deuxième est l'axe de l'imaginaire, fondé sur les capacités de création et de projection du visiteur. A cela s'ajoutent deux vecteurs : l'unité d'immersion spatio-temporelle et l'unité d'identification inter et intra -culturelle. La première suppose de s'interroger sur « où sommes-nous et d'où venons-

nous ? », impliquant alors de reconnaître le passé par les objets présentés, et d'arriver, dès lors

à se retrouver et se situer. La zone d'identification quant à elle reflète la question « qui

170 SOULIER, Virginie. « Muséalia des cultures de tradition orale ». Les cahiers d'études supérieurs. Muséologies, vol.3, n°1, automne 2008. pp. 76-99

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sommes-nous et qui sommes-nous par rapport aux autres ?», supposant alors de connaître les

autres, pour arriver à apprendre et de comprendre. Dans ce cadre, l'objet donne à se comprendre face aux points communs et aux différences qu'il montre entre les sociétés. De fait, « le concept d'exposition privilégie la mise en réflexion du visiteur à partir de l'impact

visuel de l'objet. La relation est d'ordre inclusif, ce qui signifie que le visiteur établit un rapport à l'objet grâce à l'information donnée en complément, et par rapport à lui même et à ses propres convictions ».

Au regard de l'immatériel, la trame se complexifie, car l'objet n'est plus la seule entité qu’il faut appréhender, puisqu'il faut prendre en considération le dispositif même, aussi multiple qu'il puisse être. Mais aussi parce que, comme nous l'avons vu, chaque dispositif est sous tendu par une logique particulière. Nous allons tenter de présenter quelques traits de ces mécanismes de fonctionnement

* De l'attention à l'apprentissage

Chaque dispositif, s'il veut remplir le rôle qu'il s'est fixé, doit être en mesure de capter l'attention du visiteur et de la maintenir. C'est le cas notamment des dispositifs audiovisuels, présentant des films ou des courts métrage d'animation, qui ont pour ambition de transmettre des savoirs « généraux » sur les sujets traités, comme les vidéos sur l'évolution de la langue arabe à l'IMA ou les courts métrage sur l'économie, à la Cité des Sciences. Alliant l'image au

Tiré de : SOULIER, Virginie. "Les muséalia des cultures de tradition orale"

137 son, ils sont plus efficaces que les dispositifs sonores seuls, qui peuvent avoir du mal à maintenir l'attention du visiteur. C'est ce qui explique par exemple, la désaffection du public pour le dispositif Éclats de voix, dans La Voix : l'expo qui vous parle.

De plus, la part de l'émotion ne doit pas être omise : « un objet qui est émotionnel augmente

l'attention du visiteur envers cet objet précis, facilitant l'accès aux informations relatives »171. Cela implique une perception visuelle immédiate, permettant au dispositif d'entrer en mémoire du visiteur de manière plus efficace. Il en découle un stockage des informations plus efficient. De fait, pour déclencher l'intérêt vis-à-vis d'un élément muséal, il faudrait augmenter trois variables : la nouveauté, l'originalité, sa complexité et sa compréhension.

A partir du moment où l'attention du visiteur est captée, à partir de la contemplation d'un objet ou d'un dispositif par exemple, ce dernier sera en mesure de s'approprier de manière efficace le message. Beaucoup de dispositifs jouent sur cet aspect documentaire, d'apprentissage, mais ils ne sont pas les plus à même d'impliquer le visiteur.

* De la manipulation à l'interaction

Parmi les dispositifs permettant d'exposer l'immatériel, les dispositifs mettant l'expérience pratique au cœur de leur principe sont nombreux : écrans tactiles, manipulations, dispositifs à toucher. Pourtant, comme nous avons pu le voir dans l'exposition La Voix : l'expo qui vous

parle et Economie, Krach, Boom, Mue, tous ces dispositifs ne font pas appel de la même

manière aux sens du visiteur. Les dispositifs manipulables, ont un aspect plus sensuel et plus tactile. Par exemple, en parlant du Préhistosite, centre d’interprétation, Aurélie Linxe met bien en exergue les bienfaits de la manipulation : « en reproduisant les gestes préhistoriques,

pour mieux les intégrer, on cherche à faire éprouver des sensations mais aussi à réfléchir à la notion de primitivité ; le savoir se veut ludique et sensible, au point d'équilibre entre le discours scientifique et les sens ». Dans un sens, une relation s'établit entre l'objet et le visiteur

par ce lien tactile. Et quand plusieurs personnes peuvent réaliser la même manipulation, alors des interactions vont pouvoir naître entre elles.

L'interactivité diffère en ce qu'elle suppose un retour, une réponse, dans la relation qui s'établit entre objet et visiteur. En cela, les dispositifs multimédias sont les plus à même de pouvoir constituer des dispositifs interactifs.

171 SANDER, David ; VARONE, Carole. « L'émotion a sa place dans toutes les expositions ». La Lettre de l'ICOM, n°134, mars-avril 2011.

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* De la mise en contexte à l'immersion

Pour se replacer dans un espace spatio-temporel, permettant de mieux appréhender les valeurs immatérielles de l'objet, besoin est d'avoir des éléments replaçant soit dans le contexte, soit dans une ambiance. Au Musée du Quai Branly, pour présenter les objets de la culture Bowli d'Afrique, présentés dans des boites, un mur de verre est parcouru par un film transparent, où se déploie l'image d'une forêt. Cet élément participe d'une mise en ambiance, et non pas d'une mise en contexte qui nécessiterait dès lors l'introduction d'un élément authentique, comme par exemple la diffusion d’extraits musicaux d’instruments traditionnels. Dès lors que le fictionnel rentre dans cette mise en scène, on préférera l'ambiance au contexte, moins diffus et plus scientifique.

Les mises en scène peuvent être immersives, et fera appel à un mécanisme émotionnel plus fort chez le visiteur. L'immersion renvoie à « une expérience envoûtante, de « forte »

intensité, qui se caractérise par une augmentation de l'émotion et une diminution de la distance critique. Elle se traduit par une absorption mentale du sujet qui le conduit d'un état à un autre, avec le sentiment d'être dans « un temps et un lieu particuliers »172. Même dans ce cadre là, l'appropriation est facilitée par les références communes partagées entre le concepteur et l’ensemble des visiteurs.

Nos hypothèses de départ se trouvent donc soutenues par la base de données que nous avons établie. Des études plus approfondies seraient nécessaires, pour apprécier plus justement toutes les composantes de la réception de l'immatériel chez le visiteur. Néanmoins, même si cela n'est toujours pas visible, l'immatériel tend bien à s'incarner dans les types de dispositifs, sous tendus par des logiques parfois nouvelles, souvent revisitées, où le rôle majeur est confié à la scénographie, principe d'unification du parcours.

De plus, un élément – subjectif – reste à étudier. Le public est confronté, lors de sa visite, à un ensemble d’objets et de dispositifs. Comment va-t-il créer des liens entre ces éléments ? Le principe d’association alors à l’œuvre est également à prendre en compte. Les expositions réalisées par le Musée d’Ethnographie de Neuchâtel jouent sur cette logique, créant de dispositifs en associant par exemple les sons des coquillages écrasés sous les pas des visiteurs aux collections de coquillages issues des collections d’histoire naturelle. Au Musée du Quai

172 BELAEN, Florence. « L'immersion dans les musées de science : médiation ou séduction ? ». Culture et musées, vol.5, n°5, 2005. pp. 91-110

139 Branly également, c’est la capacité du visiteur à faire des associations entre les différents éléments présentés : œuvres, sons, voix, qui est questionnée. L’association est un mécanisme majeur du fonctionnement du visiteur, qui mériterait d’être minutieusement disséqué et analysé.