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Le vieillissement de la population favorise le développement de pathologies chroniques. Parmi les mécanismes impliqués dans la survenue de ces pathologies, la sénescence cellulaire joue un rôle particulier. En effet, la sénescence, un mécanisme qui modifie en profondeur la transcription génique et la biologie des cellules, joue un rôle délétère lors du vieillissement (Baker et al., 2016). Cependant, le rôle de la sénescence dans la survenue de pathologies cardiaques avec le vieillissement demeure mal décrit. Le processus de sénescence dans le cœur, et plus particulièrement au sein des cardiomyocytes post-mitotiques, n’a jamais été profondément étudié et les données actuelles doivent encore être consolidées (Chimenti et al., 2003; Torella et al., 2004). Ceci peut notamment s’expliquer par la difficulté et la controverse associée à l’étude de la sénescence dans un type cellulaire post-mitotique comme le cardiomyocyte. Par le biais de ce projet, nous avons souhaité apporter plusieurs éléments concernant la caractérisation de la sénescence des cardiomyocytes, via l’étude des mécanismes inducteurs mais aussi l’identification de nouveaux marqueurs spécifiques.

Nos travaux démontrent que le processus de sénescence peut avoir lieu au sein de cardiomyocytes lors du vieillissement. Cela se traduit notamment par l’expression de gènes d’arrêt du cycle cellulaire, qui sont des marqueurs classiques de la sénescence, comme p16INK4a, p15INK4b et p21CIP1. De plus,

dans une seconde partie, nous avons démontré que les cardiomyocytes acquièrent certaines caractéristiques uniques lorsqu’ils entrent en sénescence. Parmi-elles, l’expression de la Prom2, du Kcnk1 et du Pah. Les cardiomyocytes adoptent aussi un profil sécrétoire original lorsqu’ils sont sénescents puisqu’ils sécrètent de l’EDN3, du TGFβ2 et du GDF15 qui peuvent être dosées dans le plasma et constituer des biomarqueurs de sénescence. Les données obtenues in vitro sur les souris H9c2 et in vivo démontrent que les gènes Gdf15 et Prom2 sont dépendants de l’activation de la voie p53. L’utilisation de construction siRNA p21/p53 permettra de confirmer cette observation. Ces caractéristiques représentent une signature unique des cardiomyocytes sénescent. Nous avons aussi démontré que la sénescence de cardiomyocytes est induite par la présence de télomères endommagés et de mitochondries altérées favorisant la production de stress oxydant. La biologie mitochondriale joue donc un rôle tout à fait particulier dans l’induction de la sénescence post- mitotique des cardiomyocytes et la caractérisation des mécanismes associés à sa dysfonction est un aspect important qui demeure à ce jour partiellement compris.

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De façon intéressante, via plusieurs approches in vitro et in vivo nous avons démontré que la sénescence des cardiomyocytes est associée à un processus d’hypertrophie avec notamment chez l’homme l’expression de PROM2 en association avec l’hypertrophie cardiaque. Ce phénomène d’hypertrophie, en plus de répondre à une demande compensatoire suite à la perte de cellularité avec le vieillissement, pourrait aussi être directement relié à l’acquisition d’un phénotype sénescent. A ce stade, nous savons que cette hypertrophie est notamment associée à l’expression de certains gènes embryonnaires comme β-Mhc, mais les autres processus favorisant cette modification morphologique restent mal connus. L’ensemble de cette étude démontre que les cardiomyocytes sénescents expriment de façon spécifique des gènes qui pourrait être reliés au processus d’hypertrophie. En effet, la sécrétion d’endothelin3 et Gdf15 sont connues pour leur action hypertrophiante (Heger et al., 2010; Tamamori et al., 1996) sur les cellules cardiaques et la Prominin- 2 régule la présence des cavéoles membranaires dont le rôle dans l’hypertrophie (Markandeya et al., 2015; Wu et al., 2017) et la sénescence (Yu et al.) est connu. Afin de mieux comprendre l'implication de ces facteurs dans l'hypertrophie, nous envisageons de traiter des cardiomyocytes avec du GDF15 et de l’EDN3 recombinants afin d'étudier leur implication directe et la potentialisation réciproque de leur effet sur l’hypertrophie. Dans la même optique, l’effet de la Prominin-2 sur l’hypertrophie des cardiomyocytes sera étudié par des approches de surexpression et d'inhibition dans les modèles de SIPS in vitro que nous avons validés dans la seconde étude.

L’élimination des cellules sénescentes (via la stratégie p16 ATTACK) et par utilisation d’un composé sénolytique (Navitoclax) conduit à une diminution de l’hypertrophie cardiaque et du nombre de cardiomyocytes ayant des dommages aux télomères. De plus, il existe une corrélation entre l’expression de PROM2 et le vieillissement chez l’homme. Cet ensemble de résultat nous permet de conclure quant à la présence de cardiomyocytes sénescents lors du vieillissement. Toutefois, même si nous retrouvons une surexpression de PROM2 dans le cœur des patients âgés en ICFEP le rôle des cellules sénescence dans le développement de cette pathologie reste encore à déterminer. Dans la première étude, nous ne retrouvons pas d’insuffisance cardiaque en association au vieillissement via la mesure de la fonction systolique et il apparait donc difficile d’identifier un rôle délétère de la sénescence dans ce contexte non-pathologique. Cependant, nous n’avons pas évalué la dysfonction diastolique alors qu’elle représente la principale altération associée au vieillissement. Une analyse plus fine et détaillée de la fonction cardiaque avec le vieillissement est donc au préalable nécessaire. Pour cela, nous développons actuellement la mesure par doppler des ondes E et A pour le calcul du ratio E/A ainsi que l'analyse de la déformation myocardique du ventricule gauche (strain) en

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collaboration avec la plateforme d'exploration de Montpellier (Dr P. Sicard; UMR CNRS 9214-Inserm 1046, CHU Arnaud De Villeneuve). Si nous visualisons une dysfonction diastolique avec le vieillissement, l’implication des cellules sénescentes dans ce processus pourra être démontrée suite à leur élimination par stratégie de gène suicide ou par traitement au Navitoclax. Il est aussi possible d’envisager éliminer les cellules sénescentes dans des contextes de pathologies cardiaques induits après traitement à la doxorubicine et la surexpression de la MAO-A. Nos premiers résultats démontrent, en effet, que dans ces modèles de stress cardiaque il est possible d’observer une augmentation de l'expression des gènes classiques de sénescence (p16INK4a, p15 INK4b et p21CIP1) mais

aussi des facteurs du SASP des cardiomyocytes. Cependant, l'induction des gènes codant pour les protéines non sécrétées comme Kcnk1, Prom2 et Pah n’est pas retrouvée. Il est ainsi possible de suggérer que le SASP est une signature précoce de sénescence des cardiomyocytes alors que les gènes Prom2, Pah et Kcnk1 sont secondaires et plus tardifs. Par ailleurs, des données préliminaires dans un modèle de stress cardiaque par constriction de l’aorte transverse (TAC) indiquent aussi qu’après une semaine de constriction aortique, des cardiomyocytes sénescents apparaissent (expression de p16, p21 et le SASP) (voir résultats complémentaire 1). Dans l’ensemble de ces modèles le rôle de la sénescence dans l’évolution de la pathologie reste encore à définir. Ainsi il pourrait être intéressant de traiter ces animaux avec un composé sénolytique afin d’évaluer les rôles délétères de la sénescence (fibrose, hypertrophie, fonction) dans la survenue de l’IC.

Par ailleurs, le rôle des nouveaux marqueurs devra être étudié afin de pouvoir mieux comprendre la biologie complexe de la sénescence des cardiomyocytes. Pour cela, il est possible de surexprimer ces derniers dans des cellules cardiaques en culture, ou in vivo par utilisation d’un vecteur AAV9 ayant un tropisme cardiaque. Dans ce contexte, nous pourrions évaluer leurs effets sur le devenir sénescent des cardiomyocytes, et dans le développement des caractéristiques pathologiques comme l’hypertrophie, la fibrose et la mort cellulaire. De façon intéressante, concernant la Prominin-2, nous avons d’observé une accumulation de la Prominin-2 à la base du cil primaire dans un modèle in vitro de SISP par traitement doxorubicine sur des cellules H9c2 (voir résultat complémentaire 2). Ce résultat préliminaire suggère un rôle de la Prominin-2 en association avec le cil primaire, une protrusion cytoplasmique régulant de nombreuses voies de signalisation comme Wnt, hedgehog (Berbari et al., 2009) et TGFβ (Clement et al., 2013). La littérature au sujet de l’implication du cil dans la sénescence reste peu détaillée et les conclusions divergent sur son rôle dans ce processus (Gallage and Gil, 2014). Toutefois, de récents travaux suggèrent que la longueur du cil module l’activation de la voie mTOR (Carroll et al., 2017). En effet, des chondrocytes rendus sénescents par irradiation

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possèdent des cils primaires de taille inférieure aux cellules non sénescentes et ce mécanisme conduit à une activation constitutive de la voie mTOR. Ainsi, il pourrait être intéressant de mesurer la taille des cils primaires associés à la Promin-2 afin de savoir si cette association réduit la taille de ces cils primaires et active la voie mTOR dans les modèles de SISP que nous avons décrit (traitement doxorubicine ou tyramine).

L’ensemble de ce projet nous permet aujourd’hui d’apporter de nouveaux éléments de caractérisation concernant le phénotype sénescent des cardiomyocytes. Il reste cependant particulièrement important de pouvoir incriminer leur rôle dans la survenue de pathologies comme l’insuffisance cardiaque. De plus, la caractérisation de l’importance des mitochondries et des télomères dans l’induction de ce mécanisme nous permet d’apporter de nouveaux éléments dans la mise au point d’outils préventifs de cette pathologie. Dans cette optique, l’utilisation de composés sénolytiques pourraient ainsi être d’excellents candidats. Enfin, l’identification des nouvelles voies moléculaires activées au sein des cardiomyocytes sénescent nous permet d’envisager de nouveaux champs d’investigation dans la compréhension de la biologie de ces cellules avec notamment les mécanismes impliqués dans l’hypertrophie en association avec le vieillissement. En conclusion, la sénescence des cardiomyocytes est un processus bien réel, avec des caractéristiques uniques, et dont l’implication au sein des pathologies cardiaques peut s’avérer importante. Cette étude, nous offre de nouvelles perspectives de traitements et de diagnostic de l’insuffisance cardiaque associée au vieillissement.

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