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7 MISE EN ŒUVRE DE LA DUREE L’INTERACTION

7.3 Conclusions sur l’interaction

En ce qui concerne l’interaction avec l’audience, nous ne considérons pas nos réflexions comme abouties pour plusieurs raisons :

D’une part notre cheminement dans ce domaine a été essentiellement expérimental dans le but de répondre à quelques principes de base dont : la clarté, pour une visibilité conforme à la musique en train de se faire ; la fiabilité, pour qu’à chaque action corresponde une même réponse du sys- tème ; la lisibilité, pour qu’à chaque action le système retourne une information ; la simplicité pour un apprentissage rapide ; la vision à long terme pour comprendre le sens global de la démarche musicale. Cette approche expérimentale nécessiterait encore quelques réalisations pour être vali- dée et affinée. Il reste aussi à prendre en compte la qualité du graphisme des interfaces, qui aurait pu être un des critères de départ sur lequel nous avons choisi de ne pas mettre la priorité pour différentes raisons. Essentiellement parce qu’il s’agit d’un sujet difficile assez loin de notre re- cherche.

D’autre part, nous n’avons pas expérimenté tous les niveaux d’interactions possibles car, comme nous l’avons vu en début de chapitre, ils deviennent nombreux dès que le système s’enrichit. Parmi les pistes intéressantes non explorées nous avons les « interactions entre individus ou groupes d’in- dividus » qui, en relation avec le séquenceur distribué, devraient créer des opportunités intéres- santes en matière de création en petits groupes.

Par ailleurs, parmi les éléments qui complexifient l’interaction avec l’audience, nous avons le délai possible pour une activation de pattern lorsque nous avons plusieurs demandes sur un même ins- trument. Nous avons pris l’habitude de systèmes qui agissent assez rapidement à la suite de nos actions. Il n’est pas facile de faire comprendre que la prise en compte des sélections, et donc des choix de chacun, ne sont pas toujours instantanées. Faire prendre conscience à chacun qu’il fait partie d’un groupe de personnes et que ce groupe est soumis à des règles collectives est certaine- ment un des défis de nos travaux. L’interaction reste donc un chantier ouvert qui bénéficie pleine- ment des apports de la souplesse de la programmation Web et de JavaScript.

En complément des questions d’interaction, nous avons traité le besoin de simulation. Au-delà de notre projet initial de validation d’un travail orchestration dans un contexte d’interaction avec

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l’audience, c’est en mettant en œuvre un outil de simulation que nous avons réalisé que le moteur aléatoire produisait des versions cohérentes de nos pièces. C’est ainsi qu’en nous éloignant de notre projet initial lié à la durée, nous sommes entrés indirectement dans l’univers des systèmes de musiques génératives, c’est-à-dire des systèmes capables de produire des pièces musicales sans intervention humaine, sous forme de composition automatique ou de composition algorith- mique [5,24,46]. La musique générative est un vaste domaine de recherche, fort actif. Dans son article « A Functional Taxonomy of Music Generation Systems » [40] l’auteur nous donne un état de l’art récent sur les systèmes de musique générative. Notons aussi l’important article de J. Feran- dez et F. Visco qui donne un panorama très large des travaux autour de l’Intelligence Artificielle appliquée à la composition algorithmique [25]. Plus spécifiquement en ce qui concerne l’utilisation de « l’apprentissage profond » ou « deep learning » dans l’article [13] « Music Generation by Deep Learning - Challenges and Directions » de 2018 les auteurs font un point détaillé des technologies de réseau de neurones et des enjeux des différentes architectures (Restricted Boltzmann Machine, Recurrent Neural Network, Long Short Term, Generative Adversarial Networks…). L’utilisation de HipHop.js, et donc des automates, nous rattacherait à la famille des musiques « génératives com- binatoires » à base de « synthèse concaténative » [47,85]. La composition à partir de combinaisons possède une longue histoire remontant à l’Organum Mathematicum d’Athanasius Kircher [21,26] au 17ème siècle qui permettait, entre autres, de créer des pièces de musique à partir de phrases musicales combinées de façon aléatoire, une sorte de Skini fortement simplifié avec son simulateur. Au 18ème siècle apparaissent les Musikalisches Würfelspiel, ou jeux de dés musicaux qui permettent de composer des pièces à partir de combinaisons aléatoires de fragments (l’équivalent de nos pat- terns). Les formes ouvertes des années 60, dont parle U. Eco, sont parfois rattachées à ce mouve- ment. Néanmoins l’introduction d’automates complexes comme support de création me semble un domaine peu exploré. La combinatoire se définit souvent comme l’étude de la configuration de collections finies d’objets, or la création d’automates est une façon de traiter des combinaisons mais en définissant un ordre qui n’est pas purement mathématique.

Notre système faisant appel à des processus stochastique, il est assez logique de le comparer à l’approche de I. Xenakis qui a largement basé ses travaux sur des techniques probabilistes comme nous l’avons vu au paragraphe « en-temps, hors-temps », p.26. Le simulateur de Skini repose sur un moteur aléatoire mais il ne se situe pas au même niveau que les processus utilisés par Xenakis et tel qu’il les décrit dans son ouvrage « Musique Formelle » [43]. En schématisant nos approches, nous pourrions dire que Xenakis utilise des processus stochastiques complexes pour créer les ma- tériaux « hors-temps » de ses pièces et que la réalisation « en-temps » du geste musical est le tra- vail subjectif du compositeur, qui ne suit alors pas de processus stochastique. C’est d’ailleurs ce qui fait l’intérêt des pièces de Xenakis. La simulation Skini inversement est basée sur des structures « hors-temps » totalement subjectives, les patterns d’une part et l’orchestration d’autre part. Mais le geste musical est concrétisé par un processus stochastique qui active un automate complexe. Aléatoire et subjectivité se combinent dans les deux cas en utilisant des savoir-faire scientifiques, mais pas les mêmes, ni de la même façon.

Nous avons traité l’ensemble des éléments nécessaires pour mettre en œuvre la durée à partir de l’expressivité du langage HipHop.js. Nous avons vu que pour rendre effective la durée il était néces- saire d’introduire des concepts complémentaires à ce langage. Il s’agit des patterns, des groupes de patterns, de différents mécanismes de synchronisation et d’interaction qui ont été complétés par un simulateur. Nous avons vu comment réunir ces éléments, nous avons aussi éprouvé quelques principes de composition par patterns et vu comment réaliser des simulations. Il nous reste à voir comment nous avons validé nos concepts à travers la mise en œuvre de performances

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« réelles », c’est à dire avec de véritables audiences. Avant d’aborder nos retours d’expérience voyons comment nous avons organisé la plateforme expérimentale destinée à de véritables perfor- mances.