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CHAPITRE 2 : LE MEDIUM MUSICAL EN INTERDISCIPLINARITE

8 Conclusion

8.1 les m(e/é)dia musicaux

L’étude de l’écoute musicale dans une perspective de synchronisationdistingue de manière assez claire, deux groupes d'entités au sein de ce qui est communément appelé « média » et qui peuvent concerner la musique259 :

• les médias, supports de communication, qui sont les réseaux et les canaux sur lesquels les données musicales sont véhiculées, que nous appellerons média (pluriel : médias) et qui regroupent par exemple les radios, les chaînes de télévision, etc. ;

• les media, les supports d'information, supports physiques ou dématérialisés qui sont les véhicules de données permettant à un individu d'en tirer une information, que nous appellerons medium (pluriel : media).

Dans les deux cas, la notion de support est convoquée. Ici le mot « support » s'entend sous son acception vieillie d'un objet soutenant, donnant son appui matériel à quelque chose. Sans appui d’un support (même détangibilisé), une information numérique ou une donnée musicale ne peuvent exister. On peut aussi parler de support car il y a nécessité d'une « inscription » ou d'une « écriture » sur un support, comme le pose Jacques Arsac : « une information est une formule écrite susceptible d'apporter une connaissance » (Arsac, 1970). Ce qu’Arsac appelle information, de notre point de vue constructiviste nous l’appelons « donnée ». Nous convergeons ici avec Philippe Useille et Sylvie Leleu-Merviel pour qui « une donnée est un

259 Nous rappellons que l’air, considéré en acoustique comme un médium et qui pourrait être un médium

enregistrement, dans un code convenu par un groupe social, de certains attributs d’un objet ou d’un événement » (Leleu-Merviel, Useille, 2008). Il n’y a pas d’information sans sens et donc pas d’information au dehors du fonctionnement d’un agent humain260. Il n’y a que des flux de

données. Dans le cas d’un medium musical, même si ce dernier peut exister en autonomie sur les réseaux, il n’acquiert sa qualité de medium porteur d’un flux de données qu’à la lecture. Jusqu’ici la notion de medium musical est encore ambigue. Une musique enregistrée est en fait un document au sens des sciences de l’information (archivistique notamment). Si cette notion est très présente dans les sciences en question, elle est peu courante dans les sciences de l’ingénieur. On la retrouve certes dans la branche s’intéressant aux systèmes de recherche d’information (SRI) mais elle est presque inexistante dans les domaines comme la MIR (Music Information Retrieval) où l’on parle plus volontiers de « media ».

La mise en media (enregistrement/fixation) d’un signal musical est pourtant fondamentalement différente en analogique et en numérique. Lorsque je fixe un signal analogique, j’inscris sur un support une image analogique obtenue par une simple transduction (je néglige les différentes étapes de production) :

• dans le cas de l’analogique, le support c’est le medium, mon enregistrement est inséparable du support physique ;

• par transduction inverse, je récupère un signal sonore ;

• si ce signal sonore est qualifiable par un agent humain de musique, alors : • c’est un medium musical.

• dans le cas du numérique, il y a un support physique pour un medium, fichier numérique, qui est un « conteneur » ;

• le conteneur en question est ce que l’on nomme en anglais un « wrapper », c’est un fichier qui peut contenir des données numériques sous une forme dépendant d’un format normé (on parle alors des spécifications). Généralement les données à l’intérieur d’un conteneur sont organisées en flux ou en paquets (« chunks »).Pour des raisons de simplicité et dans le but de se rapprocher des notions de signaux, nous considérerons qu’il s’agit de l’abstraction simple d’un flux audiophonique numérique ;

• le flux de données numérique en question est la résultant du codage numérique d’un flux de données analogique équivalent (même si ce flux n’a, dans la plupart des cas, jamais existé tel quel dans le monde puisqu’il y a eu montage et mixage) ;

• si ce flux code numériquement un signal « analogique » équivalent à un flux audiophonique qualifiable de musique par un agent humain :

• alors le medium en question est un medium musical.

On considère donc, dans le cas du numérique, une abstraction plus complexe que dans le cas de l’analogique. Il faut considérer les éléments suivants et leur intrications :

• un signal numérique, ou flux, est un signal codé dans un certain format ou standard.Une fois décodé, un signal numérique peut être transduit analogiquement ;

260 Nous optons ici pour une vision constructiviste de l’information. En effet informare signifie mettre en

forme. Ainsi les données-mises-en-forme telles que la musique ou tout enregistrement d’un son (puisque le codage PCM est une mise en forme particulière) sont un codage. Toutefois, dans ce travail, l’information qui est pertinente pour notre démarche, celle qui est « fructueuse » (Capurro, Hjørland, 2003) est la mise en forme interne à la personne, le construit de sens.

• le format ou le standard est un procédé algorithmique logique qui définit les concepts d’un certain type de codage et de décodage de données ;

• le codec est une implémentation logicielle (ou matérielle) permettant d’appliquer la norme du standard et de coder et décoder des flux compatibles avec ce dernier ;

• au passage, il existe deux grandes familles de codecs, les codecs « à pertes » et « sans perte » :

• Un codec sans perte rend exactement le même signal au moment du décodage, il ne fait que compacter les données.

• Un codec à pertes utilise généralement les défauts perceptuels humains pour éliminer au moment du codage ou du transcodage des portions de données jugées non perceptibles, il ne rend donc jamais le même signal qu’en entrée.

• le codec est mis dans un conteneur par un « muxer » ou multiplexeur qui encapsule un ou plusieurs codecs ensemble.

• un conteneur, enfin, est un encapsuleur.Comme son nom l’indique, il enferme en son sein un certain nombre de flux codés selon différents codecs ;

• le conteneur peut ensuite être stocké sur un certain format ou support.

Nous traçons ainsi une taxinomie que nous concédons ne pas être nécessairement valable dans tous les domaines, ce pourquoi nous parlons bien de distinction en contexte. Nous empruntons la précaution que Shannon montrait lorsqu'il concédait, au sujet de l'information: « [[i]l serait naïf de / [o]n ne peut guère] s'attendre à ce qu'un seul concept d'information rende compte de manière satisfaisante des nombreuses applications possibles de ce domaine général261 »

(Shannon, 1993).

Ce chapitre nous a permis de considérer le lieu de notre recherche. Nous sommes entre deux sciences : SI et SIC dans un cadre interdisciplinaire. Nous avons aussi vu que la médiatisation, la mise-en-medium n’a rien de neutre sur le medium et donc sur la possible construction de sens en réception. Dans le chapitre suivant nous allons donc rapidement passer sur la fixation de la musiqueou plutôt, la fixation du signal qualifié de musical une fois écouté. Nous pourrons donc, ensuite,envisager la constitution d’un canon descriptif d’un medium musical.

8.2 Synthèse des apports

Ce chapitre a aussi amené de nombreux apports qui seront cruciaux dans la fondation d’un cadre de réponse à la problématique. Nous les rappelons donc ici :

• Apport 1 : quelle que soit la solution développée pour répondre aux besoins des music supervisor et aller dans le sens de l’amendement de l’existant, cette solution devra être la plus simple possible à l’usage.

• Apport 2 : pour être utile, une description doit être la plus simple possible.

• Apport 3 : une description n’est simple que si elle est composée par des éléments de description partagés ou partageables avec un fort consensus intersubjectif.

• Apport 4 : quelle que soit la solution déployée, elle doit être en cohérence avec les normes techniques et socio-techniques en vigueur dans l’audiovisuel et le cinéma.

261 Nous traduisons et adaptons : « It is hardly to be expected that a single concept of information would satisfactorily account for the numerous possible applications of this general field ».

• Apport 5 : notre solution doit être déployée au niveau des media et doit donc être implémentable dans le cadre des « normes sur les media » en vigueur dans l’audiovisuel et dans le cinéma.