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Dans cette partie conclusive, nous dressons les grands enseignements qui peuvent être tirés de ce rapport ainsi que les pistes de recherches qu’il peut offrir pour la suite du projet de recherche (études de cas). Nous portons une attention particulière aux apports que nous ont offerts les particularités de l’approche par les régimes institutionnels de ressources (RIR). Pour plusieurs raisons, le changement de régime provoqué par la libéralisation du secteur est selon nous d’une toute autre nature que les changements de régime précédents. Selon nous, l’importance historique de ce changement tient tout d’abord à la logique nouvelle de

développement et de gestion du secteur qu’il met en place. L’analyse historique, de longue

durée, que nous avons réalisée, nous permet de mettre de le mettre en lumière. Avant la libéralisation, les transformations de régime étaient principalement les résultats de changements de politique de développement économique (par ex. développement des infrastructures, création d’entités publiques de gestion) ou des évolutions technologiques (par ex. croissance du secteur). Mais globalement, le régime institutionnel régulant le secteur conservait un même esprit, fondé sur l’idée de service public et/ou d’utilité

publique. La libéralisation a transformé cette situation en modifiant la logique du secteur,

qui se caractérise désormais par la mise en place d’un réseau dont les activités sont

organisées selon une logique commerciale.

L’analyse combinant politiques publiques (PP) et droits de propriétés (DP) met en effet en évidence une influence forte de la législation européenne en termes de limitation des droits

de propriété de l’Etat. De fait, la libéralisation a surtout modifié le contenu des règles

d’accès et d’usage du réseau (fonction 2), via l’introduction du principe de la concurrence (fonction 4) entre les compagnies aériennes et entre les prestataires de services. Tout en agissant formellement dans le cadre du principe de souveraineté nationale établi par la Convention de Chicago (composants internationaux), l’Union européenne, par des politiques publiques réglant l’usage de - et l’accès à - la ressource, transféré le contenu de cette souveraineté, à tout le moins pour les transports intra-européens (partiellement étendus aux Etats-Unis). On observe donc ici des politiques publiques qui absorbent le contenu de la propriété formelle de l’espace aérien, dont elles transfèrent la quasi-totalité des droits de disposition à l’Union européenne. En effet, du côté des droits de propriétés, l’analyse révèle que l’Etat, souverain sur – et propriétaire formel de – son espace aérien est, via la libéralisation, privé de sa légitimité à déterminer les conditions d’accès et d’usage d’une ressource qui est, formellement, la sienne. La libéralisation introduit donc un transfert des droits de propriétés (disposition, usages) de l’Etat, pour ce qui concerne l’espace aérien (infrastructure), à un organisme politique supranational. Le changement de régime induit

par la libéralisation s’effectue donc via l’impact des politiques publiques sur les droits de propriété.

Il faut ajouter que dans le contexte belge, la libéralisation est concomitante à la

régionalisation. Ce processus de régionalisation marque, lui, un changement de régime par les droits de propriétés ; c’est en effet la propriété et les compétences afférentes qui sont

transférées de l’Etat aux régions. L’Etat perd donc encore de la marge de manœuvre via ce transfert de propriété et de compétence. Après avoir perdu le contrôle de la définition des conditions d’accès au réseau, l’Etat belge (pouvoir fédéral) a ainsi délégué le levier du développement infrastructurel et logistique.

De ces constats, il faut conclure que le passage au régime institutionnel que nous connaissons pour le secteur aérien aujourd’hui s’est essentiellement effectué via trois

impacts sur la propriété : (1) une modification de la structure de propriété des opérateurs de

transports via la libéralisation (DP et PP), (2) une limitation des droits de propriété de l’Etat sur la ressource via des règles d’accès et d’usage libéralisées (PP) et (3) un transfert de propriété sur les infrastructures au sol via la régionalisation de la compétence aéroportuaire (DP et PP). Par ailleurs, la privatisation d’un nombre important d’acteurs du secteur (DP), témoigne également du basculement de la logique de service à la logique commerciale. En Belgique, les grandes infrastructures de réseau sont en effet gérées par des sociétés de droit privé, voire même possédées par des sociétés privées (c’est le cas de l’aéroport de Bruxelles-National). Ainsi, l’analyse nous enseigne que la privatisation accompagne

fréquemment et presque logiquement la libéralisation. L’intégration des droits de propriété

dans l’analyse montre ici toute sa pertinence, puisqu’elle permet de cerner les contours, les caractéristiques et in fine, l’importance du changement de régime. Ce changement s’observe par ailleurs à plusieurs égards, et n’est pas sans conséquence sur l’avenir du secteur, sur sa durabilité, puisqu’il modifie son mode de fonctionnement – sa logique.

L’évolution du couple acteurs-fonctions (cf. supra) montre très clairement le passage d’une

conception organique du réseau à une conception fonctionnelle ; à cet égard, le secteur

aérien a subi le même type de transformation que d’autres secteurs d’industrie de réseau. L’évolution du régime institutionnel régulant le secteur se caractérise en effet par la diminution du rôle de l’Etat national et l’augmentation du nombre d’acteurs, dorénavant indépendants entre eux. En référence au cadre d’analyse, la libéralisation a provoqué une

modification de la configuration des acteurs bien plus importante que lors des changements de régime précédents ; il y a une forte complexification de cette configuration : pouvoirs

publics, gestionnaires privées, régulateurs indépendants, prestataires de services aériens et au sol. On passe d’un acteur pour toutes les fonctions, à un acteur par fonction de

régulation. Ceci met en évidence que les différentes activités et/ou composantes du secteur

ne sont plus de facto coordonnées entre elles via l’Etat (par exemple faire coïncider le développement des infrastructures avec les objectifs politiques), qui pouvait, avant cela, décider et agir en même temps. Ainsi, le nouveau régime institutionnel du secteur en Belgique se caractérise par l’ambigüité de la position de l’Etat et des acteurs publics, pris entre les objectifs économiques liés au développement du secteur, et la limitation des externalités négatives de ce développement.

En effet, limité dans ses fonctions de contrôle et de limitation de l’accès au réseau, l’Etat ne peut que, d’une certaine façon, « subir » la croissance du secteur provoquée par la libéralisation. Car la modification des règles d’accès, beaucoup plus ouvertes, impacte fortement l’intensité des activités au sol, au sein des aéroports, qui demeurent les nœuds du réseau, mais sur lesquelles l’Etat n’a aucune prise, puisqu’il n’en a plus la compétence ni la propriété. Le contexte de croissance pousse chaque Région, chaque aéroport – c’est-à-dire

chaque propriétaire des infrastructures au sol – à développer sa propre stratégie pour attirer les compagnies aériennes. Dans le cas belge, les aspects de coordination et de cohérence que nous avons définis plus haut témoignent de la tension qui existe entre libéralisation et

régionalisation, non sans lien avec le contexte de concurrence entre autorités locales permis

la conjugaison de ces deux processus. Le problème est que cette concurrence, qui par définition se caractérise par l’absence de coordination, pourrait mener à un nivellement par

le bas les exigences environnementales et/ou sociales entre les sites. Dans une perspective

de durabilité, le régime actuel, issu de la combinaison de la libéralisation du secteur et de la régionalisation, apparaît a priori comme incohérent ou non coordonné157. Il s’agit ici d’une constatation centrale pour les futures études de cas. Le défi pour les pouvoirs publics est donc d’une part de pouvoir encadrer ou limiter de façon raisonnée le développement du secteur, en vertu des objectifs de durabilité. Il apparaît, au regard de ce rapport, que les pouvoirs publics devront davantage mobiliser diverses politiques publiques pour limiter certains droits de dispositions (des propriétaires des infrastructures notamment), voire certains droits d’usages (exigences environnementales fortes, taxes, etc.) que de modifier les structures et la distribution de propriété.

157 Nous tenons à insister sur le fait que cette remarque demande encore à être empiriquement vérifié, ce que nous réaliserons au cours de la seconde partie de ce projet de recherche.