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3. Analyse diachronique du régime institutionnel régulant le secteur aérien en Belgique

3.2. Phase 2 (1919-1944) : Les débuts de l’aéronautique en Belgique. La Convention de Paris

3.2.1. Composants internationaux du régime

3.2.1.1. La Convention de Paris de 1919 (droit international public)

Au niveau des composants internationaux, cette première phase de régulation est marquée par la conclusion de la Convention de Paris de 191928. Au lendemain de la Première guerre mondiale, en raison de l’effort de guerre, l’aviation présente un développement et une reconversion civile dont les potentiels s’avèrent plus que prometteurs. La réunion rassemble les anciens alliés de la guerre 1914-1918. La Convention entre en vigueur le 11 juillet 1922 entre vingt-sept Etats, dont la Belgique. Il s’agit du premier instrument légal à entrer en vigueur dans le domaine du droit aérien (Diedericks-Verschoor, 1988, p. 4). Le principe directeur du texte adopté tranche le débat débuté en 1910, l’article premier de la Convention reconnaissant que « chaque Etat détient la souveraineté complète et exclusive sur l’espace

aérien situé au dessus de son territoire » (art. 1). Pas de libre circulation aérienne donc.

Cette conception souverainiste de l’utilisation de l’espace aérien va encadrer les législations (inter)nationales pour des décennies : à partir de 1919, les mouvements aéronautiques ne peuvent se faire librement, chaque Etat détenant la souveraineté sur son espace aérien (infrastructure). Ce qui donne droit à chaque Etat de mettre en place des réglementations pour le trafic aérien dans son atmosphère (Wagner, 1970, p. 41). Par ailleurs, la Convention « autorise les Etats signataires à régler leurs relations aériennes par voie de traités

bilatéraux, arrêtés dans le respect de ses dispositions ». Outre la souveraineté de chaque

Etat sur son espace atmosphérique, ces dispositions – ou principes- sont (Bourqui, 2006; Csikos, 2010):

- accorder, dans la mesure du respect de la souveraineté et de la sécurité, une

navigation aérienne libre aux aéronefs des autres Etats contractants, moyennant des

règles d’admissions « raisonnables » et non discriminatoires ;

- formaliser le principe de nationalité unique des aéronefs, via un registre des immatriculations propre à chaque pays ;

- mettre en place des réglementations visant à rendre obligatoires les certificats de

navigabilité des aéronefs, les licences pour les pilotes et autres personnels navigants,

et les protocoles de sécurité quant à la signalisation, les phases d’atterrissages et de décollage ainsi que de circulation au sol ;

- accorder le droit de traverser le territoire à tout appareil d’un Etats contractant, sans que celui-ci n’ait à y atterrir ;

- accorder un traitement spécial aux aéronefs militaires et d’Etat en service commandé (aéronefs militaires, ou affectés exclusivement à un service d’Etat comme par exemple postes, douanes, police) ;

- accorder à tout aéronef d’un Etat contractant un accès à tous les aérodromes publics, sans discrimination en matière de redevances aéroportuaires ;

- donner effet aux différentes dispositions de la Convention par le biais de d’adoption d’une législation nationale ad hoc ;

- poser les bases d’une organisation internationale, la Commission internationale de la

navigation aérienne (CINA), relevant de la Société des Nations, et chargée d’établir

les normes communes en matière de navigation aérienne ainsi qu’une base cartographique, de coordonner les modifications de la Convention et de transmettre au Etats signataires les informations concernant l’évolution de la navigation aérienne (art. 34).

Le texte final suscite cependant un certain nombre de critiques. Les dispositions discriminatoires entre les pays contractants et les pays non contractants, ainsi qu’entre les Etats ayant combattu aux côtés des Alliés et les autres posent problème à certains Etats, de même que la position préférentielle accordée aux grandes puissances au sein de la CINA (Wagner, 1970, p. 51). In fine, de cette clause « entre Etats signataires » ressort la portée affaiblie du texte, limitée principalement au continent européen, contrairement à l’objectif initial de la convention, qui se voulait universelle ; ni les Etats-Unis ni la Russie ne l’ont ratifiée.

Néanmoins, les principes importants du texte sont largement reconnus. D’ailleurs, la

Convention panaméricaine sur l’aviation commerciale, adoptée le 20 février 1928 à La

Havane, reconnait également le principe de souveraineté complète et exclusive (Grard, 1995, p. 8; Wagner, 1970, p. 52).

3.2.1.2. La fondation de l’International Air Traffic Association (IATA)

Toujours au niveau international, il faut mentionner que l’International Air Traffic

Association (IATA) est fondée en 1919 à La Haye (Pays-Bas) par six compagnies aériennes

européennes29. Cette association, symbolisant une première tentative d’autorégulation du secteur par les opérateurs, est l’ancêtre de l’actuelle International Air Transport Association (IATA). Elle avait pour objectif de « préparer et d’organiser le trafic aérien dans un esprit

de coopération en vue d’en tirer un avantage mutuel » (Allaz, 2005). Dans

l’entre-deux-guerres, cette association va contribuer à uniformiser les procédures et les documents du secteur, établir un corpus de normes techniques, et dès 1929, coordonner les horaires, les correspondances entre les vols et les tarifs, à travers des conférences ad hoc (The

Conference of Timetables and Accounting) réunissant à Berlin l’ensemble de ses

compagnies membres, alors même qu’aucune base légale particulière ne lui en donnait alors le mandat. En 1936, l’IATA comprend vingt-neuf compagnies membres sur quatre continents (Europe, Amérique, Afrique, Asie), mais son encrage restera, à cette époque, européen (Allaz, 2005). On peut faire l’hypothèse que l’IATA va fortement bénéficier de la faible portée universelle de la Convention de Paris et du fait que les États vont

29 Aircraft Transport and Travel Ltd. (Grande-Bretagne), Det Danske Luftartselskab A.S. (Dannemark), Det Norske Luftfartrederi (Norvège), Deutsche Luft Reederei (Allemagne), Svenska Lufttrafik (Suède), KLM (Pays-Bas). A noter que cette association regroupera un opérateur allemand et britannique alors même que le traité de paix entre les deux pays n’avait pas encore été signé (Allaz, 2005).

essentiellement se concentrer sur les enjeux de souveraineté de l’espace aérien en adoptant une démarche d’ « exclusion » du système des États non-signataires. L’association va ainsi se charger d’une partie de l’organisation du secteur au travers de la définition d’un certain nombre de modalités d’usage du réseau, entre ses membres, telles que les règles de compétition entre eux, l’arbitrage de leurs éventuelles rivalités d’usage du réseau, ou encore la facilitation des processus d’interconnexion entre les réseaux.

Ainsi, dès 1919, on peut considérer que cette association fait partie intégrante de la gouvernance du secteur aérien et constitue l’un des principaux composants autorégulés du régime institutionnel du secteur (Csikos, 2010)30.

3.2.1.3. La Convention de Varsovie de 1929 (droit international privé)

Ce n’est qu’à la fin des années 1920 que l’on assiste à la définition d’un cadre de régulation juridique du secteur aérien de portée véritablement mondiale, qui distingue les principes d’unification internationale des règlementations « publiques » applicables à la navigation aérienne, des conventions unifiant ou harmonisant les règles applicables aux relations internationales « privées » (Verhoeven, 2000, p. 588). La Convention de Varsovie de 192931 fait partie de ce second type de règlementation, en ce sens qu’elle régit les litiges de nature privée, entre les usagers finaux et les opérateurs aériens sur la base d’une convention internationale. Pour Grard, le secteur aérien est ainsi l’un des rares domaines « où l’unification législative internationale de droit privé joue un rôle aussi prépondérant » (1995).

Dès 1920, la prise de conscience des dangers inhérents à l’aviation pour les personnes et les biens incite la France à proposer, lors d’une conférence internationale organisée par elle à Paris, la mise en place d’un Comité international technique d’experts juridiques aériens (CITEJA) qui reçoit pour mandat de rédiger un projet de convention ayant trait à la responsabilité du transporteur aérien. Suite à ces travaux, la Convention de Varsovie est signée en octobre 1929 et entre en vigueur en 1933. Ce document acquiert rapidement une portée quasi-universelle, dans la mesure où en 1979 on comptait 132 États l’ayant ratifié (Grard, 1995)32.

Cette Convention, qui confirme la perception du transport aérien en tant qu’activité commerciale, « s’applique à tout transport international de personnes, bagages ou

marchandises, effectué par aéronef contre rémunération. Elle s’applique également aux transports gratuits effectués par aéronef par une entreprise de transports aériens » (art.1).

Le principe général qui guide le texte est « la présomption de faute à l’égard du

transporteur et dispense de ce fait le réclamant de l’obligation d’apporter la preuve de celle-ci » (Ibid.) (art. 17). La charge de la preuve passe donc à la compagnie aérienne. Pour

se dégager de sa responsabilité, le transporteur doit démontrer que le dommage n’est pas de son fait (art. 20). On peut percevoir cette règle comme une protection de la partie la plus faible du contrat (l’usager final) qui, du fait de la haute technicité du secteur aérien, et de la

30 Ces considérations sur la fondation de l’IATA sont « copiée-collées » du rapport suisse.

31 Convention du 12 octobre 1929 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (avec protocole add.).

maitrise de celle-ci que nécessite la recherche de preuve de culpabilité du transporteur, entraine de facto une forte dissymétrie dans l’évaluation des responsabilités. A noter que la Convention définit aussi des limites pécuniaires de la responsabilité du transporteur (art. 24), sauf en cas de faute grave de celui-ci (art.25). Le texte institue aussi le principe de délivrance d’un billet de transport pour les personnes et les marchandises, qui bien que facultatif, permet de limiter la responsabilité du transporteur aux limites définies par la Convention (art.3, 4, 8, 9). Si le transporteur ne délivre pas de billet, il ne bénéficie pas des limites de responsabilité définies par la celle-ci.

Un certains nombre de protocoles additionnels vont être adoptés entre 1929 et aujourd’hui, qui vont essentiellement avoir pour but le relèvement de la responsabilité du transporteur, notamment en terme de niveau d’indemnisation pécuniaire, et la révision du régime de responsabilité dans le transport de marchandises (notamment exclusion du trafic postal de la Convention), ou de la définition des responsabilités concernant les vols opérés par un autre opérateur que celui contractuellement désigné (i.e. partage de code). On peut cependant relever qu’avec les amendements successifs au texte, la Convention de Varsovie, même si elle conserve un statut de « référence universelle », ne « fonde plus un régime juridique unitaire » (Grard, 1995). Ceci dans la mesure où « coexistent les parties à Varsovie, les parties au protocole de La Haye, et l’accord de Montréal » (Ibid.), et que le nombre de pays les ayant ratifié reste très variable. La dernière révision en date des principes de la Convention de Varsovie datent de 1999 avec la Convention de Montréal. Cette dernière marque une amélioration de la protection des usagers du transport aérien en prévoyant une responsabilité illimitée du transporteur en cas de décès ou de blessure des passagers aériens. Cette Convention a été notamment ratifiée par la Suisse et la Communauté européenne. Elle ne remplace cependant pas la Convention de Varsovie au niveau mondial et coexiste donc avec celle-ci, ceci dans la mesure où certains pays ne l’ont pas ratifié

En somme, si la Convention de Paris se focalisait sur la régulation des rapports entre États et des rapports entre les opérateurs aériens et les États, la Convention de Varsovie sera quant à elle orientée vers la régulation des rapports entre opérateurs aériens et usagers

finaux33.