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Pour conclure, nous ne pouvons pas éluder les effets potentiels du projet de recherche PASTEL sur la « patrimonialisation » des traces scientifiques étudiées, comme l’a évoqué Jérôme Lamy dans sa contribution. En explorant, en analysant et surtout en donnant à voir de manière publique les matériaux sur lesquels nous avons choisi de travailler (à travers les enquêtes menées, la présentation de leurs fruits dans des manifestations scientifiques, mais également dans un carnet de recherche en ligne et un webdocumentaire réalisé par un groupe d’étudiants de master) 85 nous avons nous-mêmes contribué à alimenter le processus analysé. Ainsi que l’avait rapporté Cécile Tardy 86 en évoquant son enquête sur les parcs naturels, en tant que chercheurs, nous ne pouvons que nous questionner de manière réflexive sur notre implication et notre participation directe à une mise en patrimoine du corpus utilisé pour PASTEL. On peut ainsi légitimement s’interroger sur les interprétations que nous proposons aujourd’hui d’actes et de discours qui ont parfois plus d’un siècle : quel sens donner à des pratiques anciennes, qui n’ont pas forcément été vécues comme telles ? N’avons-nous pas parfois construit du patrimoine, là où il n’y en avait pas nécessairement pour les acteurs initialement impliqués ? En quoi notre recherche est-elle finalement susceptible de comporter une dimension performative ?

Le travail réflexif de mise en abyme, amorcé par Anne-Claire Jolivet et Gaylord Mochel 87, reste donc à accomplir dans le détail : en quoi les choix de corpus opérés par les chercheurs (que ce soit en termes de disciplines analysées, de figures, de sites choisis ou encore de sources mobilisées) ont-ils transformé ces mêmes objets ? Cette problématique n’est pas sans rappeler celle inhérente à toute démarche ethnographique, qui induit nécessairement une réflexion sur le statut de l’objet pour les acteurs sociaux, mais également pour les chercheurs 88. Cette démarche est d’autant plus indispensable que l’université de Toulouse connaît aujourd’hui d’importants bouleversements qui la conduiront peut-être, à relativement court terme, à un processus de fusion entre les différents établissements toulousains, tout comme d’autres grands sites universitaires français 89. On peut supposer que dans un souci de cohésion entre les différents établissements impliqués, cette nouvelle configuration, si elle était confirmée, s’appuierait sur un récit consensuel de l’histoire de l’université de Toulouse, mobilisant notamment son patrimoine scientifique. D’ailleurs, le programme PASTEL, a été financé via le programme Idex 90 (Initiative d’excellence) de

85

« Patrimonialisation ? Mémoire des sciences en Occitanie » disponible sur http://artecom- life.fr/patrimonialisation

86 Tardy, 2003. 87

Réflexions formulées dans un billet du carnet de recherche du programme de recherche PASTEL : http://pastel.hypotheses.org/349

88 Ciarcia,2011. 89

Musselin, 2017.

90 Pour en savoir plus : http://www.univ-toulouse.fr/recherche-doctorat/recherche/programmes-idex- recherche

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l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, via un axe thématique stratégique dédié au patrimoine. Il résulte donc d’une politique de recherche de site concertée, construite sur les enjeux douloureux de la répartition des moyens et des compétences à différentes échelles institutionnelles : l’équipe, le laboratoire, l’institut, l’université, la communauté d’universités. Ceci renforce les enjeux identitaires liés aux processus patrimoniaux. PASTEL n’a pas été « commandé », nous ne nous inscrivons pas dans une démarche directe de recherche-action, démarche relativement courante d’ailleurs quand il s’agit d’études sur des patrimoines. Cependant, dans ce contexte de restructuration institutionnelle, le patrimoine scientifique pourrait apparaître utile pour légitimer à différentes échelles une activité et les moyens qui lui sont attribués : à une échelle des ressources humaines, justifier un rôle « bénévole » d’entrepreneur de mémoire, à une échelle organisationnelle, renforcer une discipline ou faire rayonner une institution en mettant en avant sa profondeur historique et sociale 91.

Les enquêtes présentées dans ce rapport ont réactivé un passé par la recherche et le dépouillement de fonds d’archives, ou encore par la réalisation d’entretiens. L’enquête crée de fait des liens parfois inédits entre les acteurs, et peut ainsi révéler des intérêts communs autour des objets de l’enquête, d’ailleurs amplifié par le fait que les recherches sont menées par des universitaires auprès d’autres universitaires, dont certains assument des responsabilités patrimoniales au sein de leur institution. Peut-on parler d’un effet catalyseur lorsque les archives départementales mobilisent leur service pour continuer la numérisation du fonds photographique d’Henri Gaussen suite à une visite d’informations des membres PASTEL ? L’intérêt porté à l’objet étudié pourrait se traduire alors aussi bien par de simples initiatives de transmission et de valorisation, que par un phénomène de durcissement institutionnel du statut de l’objet, c’est-à-dire par la création d’une mission pour sa gestion, par une procédure de dépôt d’un dossier d’inscription aux Monuments historiques, un projet de musée, etc. Mais « l’effet PASTEL » ne saurait toutefois être conçu comme univoque. La même démarche de connaissance pourrait provoquer des effets exactement opposés aux conséquences que nous venons d’évoquer, que nous pourrions dès lors qualifier d’ « effet émollient ». Notre démarche implique nécessairement la mise en question(s) – qui n’est pas pour autant une remise en cause – des fondements de la croyance des acteurs considérés en la « dignité patrimoniale » de tel objet ou figure ainsi consacré-e soit par le verdict d’instances officielles, soit, de façon plus informelle, par un collectif d’acteurs. Sans aller jusqu’à dire que PASTEL pourrait déstabiliser les normes de fonctionnement d’un collectif, les résultats pourraient être perçus comme remettant en cause des valeurs historiques et culturelles partagées : de l’effet émollient nous irions ainsi jusqu’à un « effet sacrilège » ! Mais, bien au contraire, il se pourrait même qu’un tel dévoilement débouche plutôt sur une réaction de crispation et de réaffirmation des revendications par les acteurs, que sur l’émoussement de ces dernières. Finalement, l’effet émollient attendu – pourtant bien réel

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en termes de relativisation sociologique des verdicts patrimoniaux – pourrait ainsi dans le même temps paradoxalement aboutir, en réaction, à un durcissement de ce statut patrimonial questionné. Alors, que faire ? Assumer la mise en abyme. En analysant la mise en patrimoine des activités scientifiques, nous espérons contribuer à enrichir et à affiner la connaissance de l’histoire des sciences, de l’université et des liens qu’elles entretiennent avec leur environnement. La conscience de n’être que les maillons d’une longue chaîne nous conduit dès maintenant à nous assurer de la transmission de nos données et résultats, afin que notre travail puisse lui-même être repris et mis en perspective à l’avenir. Par ce projet, mais aussi par une attention particulière à nos archives des sciences 92 nous alimentons le « dossier d’œuvre » de l’activité scientifique en voie de patrimonialisation.

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6.

Productions scientifiques

a.

Ouvrage

Lefebvre, M. & Jolivet, A.-C., (coord.), 2019, Des patrimoines en action. Les processus de mise en mémoire des activités scientifiques, PUM (sous presse).

b.

Articles

• Barrera C., "La diffusion des recherches méridionales : revues et éditeurs régionaux", dans Cent ans d'études méridionales, Toulouse, Méridiennes, 2017, p. 234-247.

• Jolivet A.-C., "Temporalités en tension dans les mondes scientifiques : les patrimoines en construction d’un botaniste géographe" dans Les temps des arts et des cultures de Bonaccorsi J., Collet L., Raichvarg D., 2017, p119. Actes du colloque de SFSIC 2016.

Maisonobe M., "Le versant français des Pyrénées : terrain de la science mondiale ?", Sud-

Ouest Européen, n°46, 2018 (sous presse).