• Aucun résultat trouvé

Genève par son histoire et son caractère international et cosmopolite fut un terrain opportun et approprié pour l’étude de la perception des médias électroniques et en particulier les télévisions satellitaires par les migrants arabes résidants dans ce canton sous l’angle du transnationalisme et de la construction de trajectoires identitaires. Cette ville qui représente le prototype idéal d’une ville à la pointe de la modernité vie au rythme des interférences de la globalisation et de la mondialisation et leurs effets sur la vie sociale de ses habitants toute origine confondue.

Une des conséquences directe de cette configuration est la création de réseaux transnationaux qui relient les pays d'origine aux pays de résidence des migrants et qui deviennent des canaux privilégiés de la circulation des idées et des manifestations identitaires. Même si elle ne s’étend pas sur l’ensemble du mouvement migratoire, l’approche transnationale permet de dépasser la configuration traditionnelle du schéma migratoire et de mettre en évidence la diversité, la complexité et l’étendu des stratégies de mobilité des migrants. Nous passons ainsi à une nouvelle phase basée sur la reconnaissance et la coexistence des différences avec l’affaiblissement de la notion de l’Etat-nation.

Suivant cette conception théorique qui a cadré notre recherche nous étions amenés à reconsidérer la notion de l'identité chez les groupes de migrants dans leur région de résidence. Les nouvelles technologies de l’information et principalement les chaînes satellitaires fournissent de ce fait un cadre convenable pour négocier des identités transnationales élargies. Nous avons privilégié l’approche qui traite les processus liés à la négociation identitaire dans un cadre transnational en terme d’orientations. La construction identitaire est ainsi une dynamique multidimensionnelle marquée par l’interaction entre différents facteurs objectifs et subjectifs qui accompagnent la trajectoire identitaire de l’individu y compris les technologies de l’information et de communications.

La prolifération des chaînes satellitaires en Europe et dans le monde a changé le paysage médiatique et a permis aux migrants de recevoir un flux d’une production médiatique provenant de leur région. Les chercheurs en sciences sociales s’intéressent désormais à la réception des médias transnationaux par les migrants et de leurs effets sur la reconstruction de leur identité et de leur socialisation dans les régions d’accueil alors qu’ils se limitaient au traitement de la thématique des migrants dans les médias occidentaux.

La divergence des points de vue sur le degré d’attachement des migrants des migrations en général, et des migrations arabes en particulier, aux chaînes satellitaires dans une ambiance pour le moins méfiante et craintive de ce moyen de communication au sein des régions d’accueil ainsi que l’absence de recherches dans ce domaine en Suisse, nous ont incité a étudié ces canaux de

production médiatique transnationale et leurs effets sur le processus de socialisation des migrants et comment ces derniers interviennent dans la construction et l’orientation des trajectoires identitaires des migrants arabes à Genève. Nous avons formulé ainsi l’hypothèse considérant que la réception de la télévision satellitaire arabe est un nouvel élément qui pourrait participer à l’élargissement du champ identitaire du migrant.

L’adoption d’une démarche méthodologique mixte qui combine les méthodes qualitative et quantitative fut d’une grande utilité. Le recours aux techniques des deux méthodes en l’occurrence l’observation participante, les entretiens et l’enquête par questionnaire a permis de cerner la thématique traitée sur ses différents angles. Ces outils méthodologiques nous ont fourni également la possibilité de constituer deux échantillons complémentaires permettant de couvrir les principales caractéristiques sociodémographiques de la population arabophone ou d’origine arabe résidante dans le canton de Genève. Ces deux échantillons sont considérés ainsi comme représentatifs des diférentes catégories sociales de la population arabe de Genève..

Le travail de terrain est un outil de recherche qui permet de rendre compte de l’objet étudié d’une manière efficace et objective. Toutefois, cette objectivité pourrait être altérée par diverses causes y compris l’implication directe et subjective du chercheur en particulier s’il fait partie de la population ciblée. Ce fut notre cas. Il nous a donc fallu entreprendre un effort d’objectivation très rigoureux pendant toutes les étapes de la recherche notamment en écartant nos connaissances de notre dispositif d’observation et des entretiens. Nous avons aussi constaté que la présence du chercheur sur le terrain de l’observation dans notre cas n’a pas eu généralement d’effet déformateur, sur les habitudes consommationnelles des personnes observées, pouvant fausser les résultats de la recherche. Cependant, il s’est avéré que la recherche des informateurs fut une tâche difficile et compliquée, ce qui nous a poussés à diversifier les démarches et les moyens de recherche durant une longue période.

La réception des antennes paraboliques ne fut pas problématique en Suisse.

Cependant, de multiples entraves rencontrent les migrants arabes et les contraignent à limiter leur champ de réception ou à renoncer complètement à avoir ces chaînes. La Suisse est restée fidèle à sa tradition libérale en respectant la liberté d’accès à l’information. Toutefois, les gens qui souhaitent recevoir les chaînes par le biais d’antenne paraboliques font face à des restrictions d’ordre public décidées essentiellement par des entreprises privés et non pas souvent par des organes étatiques.

Les résultats obtenus lors de cette recherche sont démonstratifs d’une réalité nuancée. Nous constatons d’abord qu’il n’existe pas de différence entre la durée de la consommation télévisuelle des personnes d’origine arabe et celle des autres téléspectateurs suisses ou résidants en Suisse. Par ailleurs, nous assistons à une helvétisation de la durée de la consommation qui est plus bas des taux de consommation européens. Il ressort également que les arabophones n’enregistrent pas une consommation exclusive des chaînes arabes bien au

contraire elles passent une grande partie de leur temps consacré à la télévision devant les chaînes francophones.

Toutes les familles regardent les différents programmes proposés dans les différentes chaînes arabes et françaises. Ainsi, toutes les familles suivent les informations, les débats, les documentaires, les interviews, les chroniques mais aussi les films, les feuilletons, les sites-com et les programmes de divertissement et des jeux. Elles regardent également mais à moindre mesure les programmes religieux et politiques. Il est ainsi remarquable de relever qu’à l’inverse de l’opinion publique répandue, les gens ne se concentrent majoritairement ni sur les infos notamment de la chaîne Aljazeera ou Alrabiya ni sur les programmes religieux. Il y a, en conséquence, une diversification notable et significative.

Plus particulièrement, nous constatons que la langue est un facteur important qui influence la réception des chaînes arabes. Les jeunes sont de ce fait ceux qui consomment le moins les produits télévisuels arabophones. La formation académique joue également un rôle dans le choix et la consommation des programmes télévisés. Ainsi, les universitaires suivent moins les chaînes arabes que les autres catégories. Par contre, les femmes et les 65 ans et plus sont les plus grands consommateurs de ces chaînes. Il est aussi constatable cependant que la religion n’a pas eu d’effet distinctif dans la consommation médiatique. Cette dernière est variable selon l’intérêt que les téléspectateurs arabes donnent à un certain type de programme indépendamment de la langue de transmission. Par exemple, une nette préférence est donnée au suivi des programmes sociaux sur les chaines européennes.

Nous constatons aussi un changement dans la consommation télévisuelle selon des périodes bien précises comme c’est le cas pendant les vacances ou durant les fêtes de Noël. Le mois du ramadan revêt une importance particulière.

Les habitudes consommationnelles changent considérablement et s’orientent vers une consommation massive des chaînes arabes sans pour autant couper complètement avec les chaînes européennes par tous les répondants sans distinction d’âge, de sexe, de niveau de formation, de type d’emploi et de religion. L’attachement aux chaînes arabes pendant cette période est dû à une ambiance festive qui met en avant la spécificité culturelle de ce mois pendant lequel nous assistons à un bouleversement totale de la grille des programmes télévisés.

Il est intéressant de remarquer sous un autre angle que les migrants hommes, qui ont vécu une période en solitaire avant d’être joint par leurs femmes ne donnaient pas d’importances aux chaînes arabes. Le besoin de recevoir les chaînes arabes a été ressenti au moment du regroupement familial.

Les chaînes arabes se sont proposées alors comme un lien à la fois culturel et affectif avec le milieu d’origine pour les femmes fraichement installées en Suisse.

Cependant, les enfants qui sont nés en Suisse regardent presque exclusivement les chaînes francophones. Même si ces enfants et adolescents regardent aussi les chaînes arabes et surtout pendant le mois du Ramadan, ils préfèrent suivre les

chaînes françaises parce qu’ils les comprennent mieux. L’intérêt pour les chaînes arabes augmente lorsque les enfants ont vécu une partie de leur enfance ou de leur jeunesse dans un pays arabe.

60 % de nos répondants considèrent que la télévision satellitaire est un moyen de communication qui revêt une importance particulière en le comparant avec d’autres moyens de communication. Cependant, les accros à cet outil de communications sont très minoritaires. Cette minorité même si elle ne dépasse pas les 7% nous interpelle. Même, et comme susmentionnée, si elle n’est pas très préoccupante, elle ouvre sur une perspective isolationniste qui pourrait engendrer des situations extrêmes allant jusqu’à renier totalement les valeurs et les réalités des régions d’accueil. L’étranger pourrait se réfugier dans son ancien modèle culturel plutôt que de le relativiser (Bolzman 2012). Ce refuge idéalisé qui pourrait apaiser les étrangers et réconforter le migrant pendant les premières périodes de son installation dans son nouveau d’accueil se transforme en un handicap majeur à une socialisation permettant d’élargir sa trajectoire identitaire. politiques orientés et religieux conjugués avec d’autres facteurs sociaux comme l’échec scolaire ou le chômage de longue durée sont susceptibles de nourrir un esprit de confrontation et alimenter les frustrations de cette frange de téléspectateurs.

En contrepartie, et par contraste, non moins de 40 % d’arabophones en particulier les jeunes se désintéressent des chaînes arabes et minimisent l’effet de ce média et lui préfère d’autres moyens plus adéquats selon leurs préférences. En outre, nos répondants n’apprécient pas l’absence de la télévision arabe pendant des périodes bien précises comme le mois du Ramadan.

Cependant, seule une minorité pense que l’absence de ces chaînes représente tout à fait une coupure avec leurs pays d’origine et un lien avec le pays d’origine très difficile à surpasser.

Par ailleurs, la télévision arabe représente pour 64 % des migrants arabes un lien important entre eux et leur région d’origine. Cette importance est expliquée par une volonté de connaître et de suivre l’évolution de la société de cette région. Il ne s’agit pas dans ce cas d’un processus d’identification à la région d’origine mais plutôt d’un intérêt particulier aux défis socioéconomiques qu’elle rencontre. En outre, la télévision comble un vide et apporte un soutien, notamment pour les nouveaux arrivés pour retrouver un équilibre psychologique et social leur permettant de bien intégrer leur nouveau cadre social.

Vu sous l’angle de la crédibilité, en tant qu’un des paramètres permettant de mesurer l’attachement aux médias arabes, nous constatons que les arabophones

portent un jugement critique et plus nuancé sur les différents médias en donnant toutefois plus de crédibilité aux chaînes d’information avec un avantage pour les chaînes arabes d’information. En possession de ressources supplémentaires comparé aux parents et proches restés dans le pays d’origine et aux autochtones, le migrant développe une vision plus large et plus varié lui permettant d’être plus objectif dans l’analyse des faits sociaux relatifs à ses deux sphères de socialisation. Il est notable que l’éventuel effet nostalgique qui pourrait être suscité par ces chaînes n’anéantit pas l’esprit critique du consommateur arabe. Cependant, le regard méfiant et les critiques dirigées vers les médias arabes et européennes reflètent une fragilité et un manque de confiance en ces canaux d’information. …

En se positionnant simultanément dans les deux contextes de production et de réception, les migrants sont à même de qualifier la nature du traitement médiatique. Leur connaissance des deux sphères médiatiques augmente ainsi leur compétence de jugement critique. Il s’agit par conséquent d’une réception ciblée et interactive basée sur un travail comparatif cherchant plus de fiabilité et de crédibilité. Même si le critère de la langue est un élément important dans le choix des chaînes de télévision, d’autres éléments rationnels interviennent en parallèle dans le choix du téléspectateur, en particulier la ligne éditoriale du média et sa manière de couvrir l’actualité.

De point de vue méthodologique, Il est également primordial de prendre en compte lors de l’analyse, la notion de temporalité pour saisir la nature de l’interaction du migrant avec son milieu de socialisation pendant les périodes calmes et celles de fortes tensions. Nous constatons qu’en temps normal, la personne suit son processus de socialisation d’une façon paisible et l’interaction avec son milieu de socialisation se fait souvent d’une façon tranquille et ouverte.

Par contre, dans les moments forts une certaine crispation pourrait se ressentir.

Ce fut le cas lors de l’attaque militaire israélienne contre les territoires occupés de Gaza qui a eu lieu le 26 décembre 2008 et qui a duré 61 jours. La majorité de personnes interviewées y compris celles qui ne regardaient que peu les chaînes arabes se sont retournées vers Aljazeera et Alarabia. Les chaînes européennes ont perdu de leur crédibilité et ont été taxées de partialité. Les arabophones s’alignent souvent sur les thèses rapportées par les supports médiatiques dans leur région d’origine. C’est aussi le cas lors de la production d’un grand évènement dans le monde arabe. Les regards se retournent donc massivement vers les chaînes arabes.

Cependant, la chaîne publique suisse de langue française bénéficie à la fois d’un grand taux de suivi et de crédibilité marquant ainsi l’intérêt que porte les migrants arabes à l’actualité dans leur pays de résidence. Il s’agit de la manifestation d’un attachement à Genève et à la Suisse et d’un signe d’ouverture à la société d’accueil. La télévision locale fourni ainsi un cadre intégrateur qui participe à rapprocher le migrant de sa société de résidence. Elle joue également un rôle informatif équilibrant face à la télévision arabe.

Dans ce sens, les personnes interrogées se disent intégrées. Le fait d’être connecté avec leur pays d’origine par le biais de la télévision ou par d’autres moyens notamment le retour annuel ou biannuel au pays pendant les vacances, n’altère pas leur intégration dans le tissu social genevois. Ces personnes même s’ils se considèrent suisses ou intégrées revendiquent leur appartenance à une culture arabe et islamique. Cependant, l’écrasante majorité des interviewées dit qu’elle fait sienne les valeurs de la Suisse notamment la neutralité, la démocratie, la liberté d’expression, le respect et le mode de vie basé sur la séparation des pouvoirs.

Notre travail empirique et les résultats du questionnaire abondent dans ce même sens. La télévision n’attise pas le sentiment d’appartenance à une minorité, ni ne suscite un sentiment d’exclusion. Elle ne constitue pas non plus une forme de repli identitaire et ne crée pas un décalage entre l’individu et la vie genevoise. Au contraire, la réception des chaînes arabes s’est avéré être un vecteur d’interactivité riche entre les différentes composantes de la population autochtone et migrante et joue un rôle dans la dissipation des méfiances réciproques. Loin de tout esprit communautariste, les arabophones et principalement les jeunes refusent toute sorte de ghettoïsation.

L’opinion sur la présence de la télévision arabe et son rôle dans le processus de transmission intergénérationnelle est mitigée entre une partie qui pense que la télévision joue un rôle actif dans la sensibilisation et la transmission des valeurs familiales et une autre qui minimisent l’effet de la télévision, notamment sur les pratiques religieuses ou des liens entre les membres de la famille. Selon ces derniers, l’identité et l’appartenance sont ancrées en tout individu au moyen d’un processus d’éducation particulier à tout individu. En général, les jeunes générations ne recourent pas de leur propre chef à la télévision arabe.

Cependant, le choix de la langue et des programmes télévisuels chez les adolescents est susceptibles de créer des tensions au sein de la famille.

Dans une sphère plus large, l’interaction entre l’individu et son milieu extérieur favorise les échanges affaiblissant l’effet isolationniste qui résulterait de la consommation des produits télévisés de langue arabe. L’engagement dans des réseaux et à des activités associatives permettrait aussi l’insertion des migrants dans le tissu associatif intégratif extraprofessionnel. Cependant, la faible participation dans les autres activités de type culturel, sportif et politique nous appelle à relativiser l’ampleur et l’effet de cette participation associative.

Les migrants affichent une grande fierté d’appartenir à la fois à leur région d’origine et à leur région d’accueil. Cette double appartenance est le résultat d’un processus d’identification multiple qui se crée et donne naissance à une identité élargie. La diversité culturelle de Genève est aussi un élément stabilisateur qui permet aux marqueurs identitaires spécifiques à un groupe d’individus de bénéficier d’une visibilité dans des cadres institutionnels et publics ouverts et flexibles.

Il ressort ainsi de notre recherche conformément à notre hypothèse que la réception des chaînes satellitaires arabes est un élément important qui

intervient dans la construction identitaire des migrants arabes à Genève dans un sens qui permet d’élargir les compétences et les ressources de cette population.

A l’opposé des thèses qui soutiennent que ces chaînes ont un rôle isolationniste et handicapent l’intégration des arabophones dans les sociétés d’accueil, ces canaux d’information de communication permettent d’accroître le spectre identitaire de ces migrants. Nous parlons désormais d’une identité élargie qui se construit selon une dynamique sociale active et enrichissante.

La rareté d’études entreprises dans ce domaine en Suisse nous ne fournit pas un champ de comparaison nous permettant de confronter les résultats et les données récoltés. Cependant, selon les conclusions de la Commission fédérale des étrangers et une étude intitulée Vers une meilleure communication, Coopération avec les réseaux de migrants réalisée par Joëlle Moret et Janine Dahinden (2009) pour le compte de la Commission fédérale pour les questions de migration (CFM), il semble que nous nous acheminons vers une convergence sur les traits principaux d’un attachement certain aux chaînes satellitaires en suisse de la part des migrants toute origine confondue. Même si la durée de la consommation est plus élevé chez certaines populations notamment les turcs et les albanophones (Moret et Dahinden 2009 : 29), nous aboutissons à des conclusions similaires notamment concernant la consommation des jeunes ou la mixité dans le suivi des programmes et le choix de la langue d’écoute.

Il nous semble, vu le peu d’études réalisées dans ce domaine qu’il est prématuré d’élargir notre analyse et nos conclusions sur l’ensemble des populations migrantes en Suisse. Il est cependant opportun d’entreprendre des recherches plus étendues en intégrant notamment des analyses de la réception et du discours des médias sur la base de la théorie des effets afin de cerner cette

Il nous semble, vu le peu d’études réalisées dans ce domaine qu’il est prématuré d’élargir notre analyse et nos conclusions sur l’ensemble des populations migrantes en Suisse. Il est cependant opportun d’entreprendre des recherches plus étendues en intégrant notamment des analyses de la réception et du discours des médias sur la base de la théorie des effets afin de cerner cette