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3. Chapitre Travail collectif transverse dans les processus organisationnels

4.1. Intervenir sur l’organisation dans une visée constructive

4.1.2. Concevoir une organisation favorable au développement : une organisation

4.1.2.1. Le développement : finalité et moyen des interventions

Dans une approche constructive de l’ergonomie, l’objectif posé est celui du développement

conjoint des individus, des collectifs et de l’organisation (Falzon, 2013). Le développement

des individus renvoie à la possibilité qu’ils ont d’acquérir des savoir-faire, des connaissances

et des compétences ; et le développement de l’organisation passe par la mise en place de

processus réflexifs qui permettent aux individus d’innover (Ibid).

Dans cette perspective, le développement est à la fois une finalité et un moyen (Coutarel,

Caroly, Vézina & Daniellou, 2015 ; Arnoud & Falzon, 2017). D’une part, il est la finalité de

l’action ergonomique qui cherche à concevoir un environnement qui permette de limiter les

entraves à la réussite et au développement, donc à intervenir sur les conditions dans lesquelles

se déroule l’activité pour permettre aux individus et aux collectifs d’être en capacité d’agir

(Falzon, 2013 ; Raspaud, 2014). D’autre part, l’action ergonomique constitue le moyen du

développement parce qu’elle devient « l’occasion d’une dynamique de développement et

d’apprentissage » (Falzon, 2013, p. 4), notamment par la mise en œuvre de méthodes qui

donnent la capacité aux individus de construire les ressources à leur action et à leur

développement (Arnoud & Perez Toralla, 2017). L’intervention vise donc à favoriser des

dynamiques de développement au cours même de son déroulement et à concevoir des

systèmes de travail qui favorisent le développement et les apprentissages (Falzon, 2013 ;

Arnoud & Falzon, 2017 ; Carta & Falzon, 2017) : « le développement comme moyen sert

alors le développement comme objectif » (Falzon, 2013, p. 4).

Or, le développement des individus et de l’organisation est possible à la condition que « les

individus disposent de marges de manœuvre, de libertés d’action, ces dernières incluant la

possibilité de construire de façon continue les règles du travail » (Falzon, 2013, p. 1).

4.1.2.2. Concevoir des organisations adaptables

Pour agir sur les leviers permettant aux individus et aux collectifs de se développer, il apparait

nécessaire de s’intéresser conjointement, voire préalablement, au développement de

l’organisation (Petit & Dugué, 2013a). En effet, si le travail d’organisation permet aux

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individus de mettre à leur main l’organisation – de l’adapter – il apparait nécessaire que

l’organisation offre les moyens de réaliser ce travail d’organisation.

Le projet de l’ergonomie constructive est alors d’élargir les objectifs des interventions :

celles-ci ne visent plus seulement à concevoir des systèmes adaptés mais à concevoir des

systèmes adaptables (Falzon, 2013 ; Petit & Dugué, 2013b). Cet élargissement des objectifs

renvoie au passage d’une ergonomie adaptative à une ergonomie constructive (Rocha, 2014).

Une organisation adaptée – dans l’ici et le maintenant – correspond à une approche classique

de l’ergonomie (« de l’activité »), qui ne permet pas de prendre en compte les changements

d’usage de la structure (Arnoud & Falzon, 2013). Une organisation adaptable, quant à elle,

renvoie à une organisation-instrument dans laquelle une genèse organisationnelle (ou travail

d’organisation) est possible afin de faire évoluer la structure (les règles) pour que celle-ci soit

« un outil au service de l’activité sociale » (Caroly, 2010, p. 197), c’est-à-dire au service des

acteurs. L’organisation se construit ainsi dans l’usage, et permet aux acteurs de la mettre à

leur main (Arnoud & Falzon, 2013 ; Petit & Coutarel, 2013).

Agir sur l’organisation vise alors à concevoir une organisation qui permet un travail

d’organisation, producteur d’une organisation adaptée et adaptable. Celui-ci est favorable au

développement conjoint des individus et de l’organisation (Arnoud, 2013) : s’il est reconnu et

structuré de façon à permettre aux acteurs d’avoir une réflexion sur leur propre travail, de

pouvoir agir sur la manière de réaliser leur travail, « il devient alors un moyen pour

l’organisation de pallier ses défaillances (faire face aux variabilités) et pour les opérateurs

de construire leur propre santé » (Petit & Coutarel, 2013, p. 144). Le travail d’organisation

peut ainsi constituer une source de développement de l’activité et une capacité de

l’organisation pour traiter ce qui n’est pas prévu ou prescrit (Ibid) par « un processus

développemental de transformation permanente de l’organisation » (Falzon, 2013, p. 13).

Dans cette perspective, un enjeu de l’intervention est de structurer le travail d’organisation,

c’est-à-dire de créer les conditions qui le rendent possible pour permettre aux acteurs d’agir

sur l’organisation (Petit, 2005 ; Petit & Coutarel, 2013). L’ergonome peut ainsi avoir pour

rôle d’« organiser le travail d’organisation », sur lequel nous revenons plus loin (§ 4.3.1).

L’ergonomie constructive, en ayant pour visée d’être le moyen du développement – par la

mise en place des conditions de développement des individus et de l’organisation – elle

consiste alors à concevoir des organisations capacitantes, c’est-à-dire des organisations « qui

portent en elles les facteurs de développement potentiel des capacités futures des acteurs et

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qui favorisent l’instauration d’une dynamique d’apprentissage organisationnel » (Casse &

Caroly, 2017, p. 1).

4.1.2.3. Définition d’une organisation capacitante

Le terme capacitant est emprunté aux travaux d’Amartya Sen. Dans une perspective

constructive de l’ergonomie, Falzon (2013) mobilise ce terme pour poser un enjeu de la

discipline, qui serait de « développer le potentiel capacitant des organisations » qui

permettrait alors « d’organiser l’existant de sorte qu’il permette aux individus et aux

organisations de progresser » (Ibid, p. 2).

Des travaux récents permettent de définir une organisation capacitante comme étant d’une

part une organisation instrumentalisable et débattable, d’autre part une organisation capable

de créer les conditions du développement des individus et des collectifs (Barcellini, 2017).

L’organisation est considérée comme instrumentalisable lorsqu’elle « se prête à l’adaptation

d’elle-même » (Arnoud, 2013, p. 139), c’est-à-dire qu’elle est une organisation-instrument,

capable de se transformer (de se développer), par un travail d’organisation (Arnoud, 2013 ;

Barcellini, 2017 ; Arnoud & Perez Toralla, 2017), et ce à tous les niveaux de l’organisation

(Rocha, Mollo & Daniellou, 2017). Une organisation capacitante est également débattable, en

ce sens qu’elle autorise et encourage le débat et la confrontation de points de vue sur les

critères, les buts, les logiques, et plus largement sur les règles organisationnelles (Barcellini,

2017 ; Arnoud & Perez Toralla, 2017). Pour être capable de se transformer, une organisation

capacitante – instrumentalisable et débattable – doit créer les conditions de sa mise en débat,

notamment par la mise en place d’espaces de discussion (Arnoud, 2013 ; Raspaud, 2014)

permettant aux acteurs de faire un travail réflexif sur leur propre activité (Barcellini, 2015).

Une organisation capacitante a pour deuxième caractéristique d’être « capable de créer les

conditions du développement des individus et des collectifs » (Barcellini, 2017, p. 3). Or, le

développement des acteurs (individuels ou collectifs) est lié au développement de

l’organisation elle-même puisque « c’est par la coordination d’acteurs multiples que

l’organisation se développe et, par ce biais, individus et collectifs peuvent se développer »

(Arnoud & Perez Toralla, 2017, p. 6).

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